Dans cette rue étroite du Xe arrondissement planquée derrière le canal Saint-Martin se développe le laboratoire de la food parisienne le plus étrange et excitant du moment. La gastronomie est souvent une affaire de géographie. Au bout de la rue Lucien Sampaix, dans le Xe arrondissement parisien, le canal Saint-Martin aimante touristes et amateurs d’apéros […]
Dans cette rue étroite du Xe arrondissement planquée derrière le canal Saint-Martin se développe le laboratoire de la food parisienne le plus étrange et excitant du moment.
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La gastronomie est souvent une affaire de géographie. Au bout de la rue Lucien Sampaix, dans le Xe arrondissement parisien, le canal Saint-Martin aimante touristes et amateurs d’apéros en plein air – l’été, les berges sont noires de monde. Mais arrivera-t-on seulement jusque-là ? Pas sûr. Depuis quelques mois, les raisons de s’arrêter en chemin entre le bruyant boulevard Magenta et la rive préférée des bobos se sont multipliées, comme par enchantement. Sans logique apparente, plusieurs établissements forment un bloc compact sur un pan de bitume d’une centaine de mètres. Ils ne se ressemblent pas mais attirent les foodies et/ou locaux en quête d’une expérience simple et chic. Pas besoin d’un diplôme d’ethnologue pour y repérer un laboratoire des transformations que connaît en ce moment l’Est de la capitale : les influences étrangères se mêlent à un désir de lieux hybrides, à la fois cosy et branchés, pas trop chers et accros au produits. Cela valait bien une visite en quatre temps, entre les filles épatantes du délicat Tuck Shop, leurs voisins de Bob’s Juice Bar, véritable pilier du quartier, et les nouveaux venus du coffee shop Holybelly et de la pâtisserie Liberté, ouverte à l’angle avec la rue des Vinaigriers – elle aussi en pleine mutation – à la mi-novembre. Visite guidée et mise en bouche.
1/ TUCK SHOP : LE GANG DE FILLES
Si la rue Lucien Sampaix était un film, ce serait peut-être le splendide brûlot féministe Boulevard de la mort de Quentin Tarantino – en plus pacifique quand même. Anna Rice, Stella Rice et Rain Laurent, les trois propriétaires australiennes du Tuck Shop, ont ouvert en novembre 2012 ce petit espace adorable qui attire grands-mères végétariennes, petits groupes de « modeuses » amatrices de bio et barbus fans de café. L’un des meilleurs mochas (mélange de chocolat chaud et d’expresso) de Paris se boit d’ailleurs ici. « Le coût d’installation était bien moins élevé que dans certains quartiers comme le Marais », explique Rain, qui travaille aussi comme assistante éditoriale au magazine Purple. « Il y a eu quelques réticences car nous sommes trois filles, mais cela me rend d’autant plus fière d’avoir réussi notre pari », note Stella Rice. Les compères se sont connues à travers leurs connexions dans la mode. La déco s’en ressent, mais avec ce qu’il faut de délicatesse pour ne pas tomber dans l’abus de bon goût. On se sent au Tuck Shop comme à la campagne mais aussi loin de France. L’Anglais est souvent la première langue depuis que garçons et filles des antipodes en ont fait leur QG. So sweet.
La tuerie : Restauration sur le pouce délicieuse à base de sandwiches et de soupe. Mais on ne repartira pas sans avoir essayé la boisson LSD, mélange de latte, de lait de soja et d’une décoction miel/pissenlit. 100% légal et 100% bon.
Tuck Shop. 13 rue Lucien Sampaix, 75010. De 5 à 15 euros. Fermé le lundi.
2/ BOB’S JUICE BAR : LE PIONNIER
La porte à côté du Tuck Shop, on trouve des jus pressés à froid, des smoothies à la demande, des muffins aériens et de quoi déjeuner d’un bagel ou d’une soupe hyper sains, le plus souvent à emporter. New-Yorkais d’origine, ancien de Harvard et cinéaste de formation, Marc Grossman habite le quartier depuis le début des années 2000, après un passage par la Californie. Il a lancé le Bob’s Juice Bar en 2006 et fait aujourd’hui figure de « vétéran ». Son échoppe minuscule ne désemplit pas malgré la nouvelle concurrence. « Au départ, j’ai aimé l’idée d’investir une rue où personne ne venait spontanément, raconte ce quadra souriant. Les clients se déplaçaient exprès pour nous, je connaissais chaque visage, c’était différent. » De temps à autres, Grossman s’assoit et joue quelques morceaux à la guitare, même s’il s’y colle plus rarement aujourd’hui, trop occupé à préparer l’ouverture du Bob’s Bake Shop, dans le XVIIIe arrondissement, au mois de janvier. Pas question de quitter le quartier pour autant. « Moi, je rêve que le Juice Bar soit encore ici dans cinquante ans : la tendance du moment ne m’intéresse pas. La seule chose que je redoute avec l’essor de la rue, c’est que les branchés finissent par créer une nouvelle mode où tout est cool, mais tout se ressemble. A New York, dans l’Upper East Side, on commence à voir des cafés ‘à la manière’ des endroits hip de Williamsburg, comme si tout était imitable. J’espère que Paris ne prend pas ce chemin. »
La tuerie : Pour se prémunir du froid, hormis les vitamines à gogo que procurent les smoothies, ne pas manquer le tout nouveau combo Rice and Beans, un classique mexicain/californien rehaussé par une salade fraiche. Réconfortant.
Bob’s Juice Bar. 15 rue Lucien Sampaix, 75010. De 5 à 15 euros. Fermé le dimanche.
3/ HOLYBELLY : LE NEO CAFE
« We may have killed Paris, but we brew a mean cup of coffee » – « Nous avons peut-être tué Paris, mais notre café déchire. » La petite affichette trônait goguenarde devant Holybelly mi-novembre, juste après la parution d’une tribune du New York Times accusant les hipsters d’avoir fait de la capitale française une étape de plus dans le parcours fléché de la branchitude globalisée, « où les brunchs sont les mêmes partout ». Français mais exilés cinq ans entre Vancouver et Melbourne, les proprios Sarah et Nicolas devraient plutôt être remerciés : ils participent au redressement en cours des coffee shops made in France en y ajoutant un petit twist. Le pitch ? « On mange très bien à Paris, on commence à y boire du bon café, mais faire les deux à la fois, c’est plus difficile », explique le tatoué Nicolas, qui officie au bar et sert un expresso puissant – les grains viennent de Belleville Brulerie. « Dès le départ, on a voulu se démarquer d’autres endroits en s’équipant d’une vraie cuisine », poursuit Sarah, qui s’attelle aux fourneaux avec l’américano-danoise Lise Kvan (ex-école Ferrandi, passée par L’Astrance). L’alternative sandwich/soupe est largement dépassée pour laisser place à des préparations sans chichi mais précises et généreuses. Ceux qui savent ce que c’est mangeront du kale, les autres se jetteront sur l’Aligot ou le poisson du moment. Il y a même un flipper et une grande table collective pour draguer. Ouvert début novembre, Holybelly cartonne et c’est mérité.
La tuerie : Plus besoin d’acheter du « pancake mix » industriel pour combler ses matins de nostalgie anglo-saxonne : légers, fondants et accompagnés de noisettes caramélisées, les pancakes du Holybelly sont inoubliables.
Holybelly. 19 rue Lucien Sampaix, 75010. De 5 à 20 euros. Fermé le mardi.
4/ LIBERTE : LA BOULANGERIE-PATISSERIE LUMINEUSE
« Avec mon associé Mickaël Benichou, nous parcourions Paris en scooter. Nous sommes entrés dans cette boulangerie et avons demandé si elle était à vendre, tout simplement. C’était au mois de mai, il n’y a pas vraiment eu de calcul. » Six mois plus tard, Liberté ouvrait ses portes et achevait de faire de la rue Lucien Sampaix le spot du moment. Signe de la possible « gentrification » pointée par certains, le chef pâtissier Benoît Castel avait plutôt l’habitude des quartiers chics avant de débarquer dans le Xe. Il a travaillé avec Hélène Darroze, les frères Costes, dirigé pendant huit ans la pâtisserie de la Grande Epicerie du Bon Marché et ouvert en 2012 Joséphine Bakery, rue Jacob (6e arrondissement). Le lieu n’a pourtant rien de surplombant. Des voyages fréquents à New York ont inspiré cet espace ouvert sur la rue – de grandes vitres laissent entrer la lumière – où « les préparations sont faites devant les clients », insiste Mickaël Benichou. Breton monté à Paris à l’âge de dix-sept ans, Castel dit apprécier la concurrence et l’émulation alentours – la boulangerie Du pain et des idées, rue Yves Toudic, attire le tout Paris grâce au « Pain des amis ». Castel, lui, a élaboré depuis quelques années son « Pain du coin » au sel de Salish et propose des pâtisseries ultra raffinées et belles à croquer, ainsi qu’une petite restauration à emporter. « L’époque est sensible à la légèreté et j’aime les pâtisseries qui ne sont pas saturées de sucre. Mais je vous rassure, en bon breton, j’adore le beurre ! » De quoi terminer son périple dans la rue la plus gourmande du moment avec quelques calories de plus. Mais quelles calories.
La tuerie : Peu salée, la baguette tradition à 1,10 euros est une affaire, comme le délicieux pain de mie quasi brioché. Mais la vraie signature du lieu, c’est une étonnante tarte à la crème vanillée que même Noël Godin refuserait de gâcher.
Liberté. Angle Rue Lucien Sampaix/ Rue des Vinaigriers, 75010. Gâteau individuels entre 3,5 et 4,5 euros. Fermé le dimanche.
Olivier Joyard
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