Au milieu de Old Joy de Kelly Reichardt, il y a une longue scène de feu de camp où les deux personnages principaux, campant en pleine forêt, devisent sous les étoiles. Dans Joe Strummer: The Future Is Unwritten de Julien Temple, tous les témoins racontent leurs souvenirs autour d’un feu, plutôt urbain ce coup-ci. Etonnant […]
Au milieu de Old Joy de Kelly Reichardt, il y a une longue scène de feu de camp où les deux personnages principaux, campant en pleine forêt, devisent sous les étoiles. Dans Joe Strummer: The Future Is Unwritten de Julien Temple, tous les témoins racontent leurs souvenirs autour d’un feu, plutôt urbain ce coup-ci. Etonnant comme deux films, dont les réalisateurs ne se sont sans doute pas concertés, remettent en jeu une sorte de scène primitive qui avait peu ou prou disparu de l’inconscient collectif. Autre coïncidence, qui n’en est peut-être pas une, les deux films ont à voir avec le rock – l’un des deux acteurs de Old Joy est Will Oldham, alias Palace, et la BO du film est signée Yo La Tengo. Le feu de camp vient de loin, remonte à la préhistoire et à la découverte même du feu. Plus près de nous et de l’histoire du cinéma, le feu de camp a habité maints westerns : combien de fois avons-nous vu la troupe de cow-boys ou la charrette de pionniers se réunir le soir autour du foyer et du traditionnel plat de haricots arrosé de la non moins traditionnelle tasse de café en fer-blanc ? Le feu de camp a voyagé ensuite de colos de vacances en rassemblements hippies, de panoplies boy-scouts en festivals rock, de refuges urbains de SDF en chansons country. Il y a donc une vraie généalogie du feu de camp et on est à peine surpris de retrouver le chanteur de country décharné Will Oldham dans un rôle de vieux baba dépassé par son époque, orphelin de sa jeunesse envolée, en quête d’un contact oublié avec les hommes, la nature, le cosmos. Dans le cas de Joe Strummer…, on pourrait être plus étonné, le mouvement punk étant censé honnir les symboles babas. Mais le portrait dressé par Julien Temple s’attache au contraire à montrer que Joe était plus proche de l’éthique beat, de l’humanisme hippie que du nihilisme punk. Les films de Kelly Reichardt et Julien Temple sont très différents, de même que Joe Strummer et Will Oldham sont deux chanteurs que l’on ne saurait confondre, mais les scènes de feu de camp des deux films se rejoignent comme un symbole, une aspiration à retrouver quelque chose de primitif, de chaleureux, un sens de la communauté, un lien perdu avec les éléments, un refus latent de l’évolution du monde actuel, de l’individualisme à outrance, une méfiance envers le progrès technico-capitaliste qui atteindrait peut-être un point de non-retour, une nostalgie de paradis perdu. Il n’est sans doute pas étonnant que l’on retrouve des rockers dans ces films feu de camp : le rock ne fut-il pas la dernière aventure collective d’envergure de l’Occident, le tout dernier feu de camp planétaire ? Old Joy, Joe Strummer…, deux modestes tentatives de maintenir explicitement le feu sacré, de raviver un flambeau en voie d’extinction.
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