1. Six ans déjà. Six ans qu’il n’y a pas eu de “nouveau Lynch”, depuis Inland Empire, sorti en France le 6 février 2007. La couverture du n° 584 des Inrocks, avec Laura Dern floue et hurlante sur un boulevard de Los Angeles. Inland Empire, vu par presque personne, et compris par le seul Stéphane […]
1. Six ans déjà. Six ans qu’il n’y a pas eu de “nouveau Lynch”, depuis Inland Empire, sorti en France le 6 février 2007. La couverture du n° 584 des Inrocks, avec Laura Dern floue et hurlante sur un boulevard de Los Angeles. Inland Empire, vu par presque personne, et compris par le seul Stéphane Delorme – qui y avait consacré un mémorable article des Cahiers du cinéma, dans lequel il tentait d’expliquer un film fermé à double tour. Tout le monde était encore sous le choc provoqué par Mulholland Drive, encore six ans avant, et l’on n’avait pas besoin de comprendre pour aimer, se disait-on. Erreur. J’ai vraiment aimé Mulholland Drive quand j’en ai compris les ramifications narratives. Et parler de (bad) trip à propos d’Inland Empire ne suffisait pas à rendre le film aimable. Son évidente noirceur restait si indéchiffrable qu’elle en devenait presque gratuite.
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2. David Lynch déteste qu’on lui demande la signification de ses films. Ça, tout le monde le sait, et c’est normal. Mais en janvier 2007, dans ce salon d’un grand hôtel parisien, interview après interview, David Lynch s’est aperçu que personne ne comprenait Inland Empire. Il en était sincèrement étonné, malheureux et passablement agacé. Un parmi bien d’autres, j’eus le malheur de lui dire qu’il n’y avait pas vraiment d’histoire, que c’était plutôt une suite de sensations, une logique de cauchemar, bref, le bla-bla habituel du critique paumé et admiratif : il se mit presque en colère et me signifia qu’il y en avait bien une, d’histoire, et parfaitement claire… Des amis, pourtant fans de Mulholland Drive, me demandaient si le film était une merde opaque ou s’ils avaient raté un truc…
3. La vérité : j’aime bien Inland Empire, surtout l’ouverture, après je vous renvoie au texte de Delorme. Mais là, tout de suite, c’est plutôt Lost Highway ou Blue Velvet que je préférerais revoir. Et Lynch, lui, ne s’est pas remis de l’échec total du film, comme le raconte l’enquête menée par Romain Blondeau : comment un cinéaste en exil, carbonisé à Hollywood, et fragilisé auprès de ses producteurs français, se demande s’il va pouvoir se retourner. Parce qu’il a besoin d’acteurs, d’une certaine imagerie coûteuse à ordonner, et des moyens qui vont avec. Le film fauché et artisanal à la Eraserhead, c’était il y a trente-cinq ans. Et Lynch n’a plus 20 ans. Il a besoin d’idées et d’argent. Dans cet ordre.
4. En attendant, il fait des lithographies, du café, des bouteilles de champagne, du rock, des vitrines de grand magasin, des campagnes de pub pour Louboutin, des clubs privés, des expos à la Fondation Cartier et de la porcelaine de Limoges. Et je préfère oublier la propagande sectaire pour la méditation transcendantale… Lynch est devenu une marque et orchestre une foultitude de produits dérivés. C’est très chic, très warholien et tout, “artiste global” à mort. Il n’est pas question de le lui reprocher. Mais tout ça plaît beaucoup aux snobs qui détestent le cinéma – parce que ça prend du temps social et qu’on ne peut même pas parler pendant. Que Lynch s’occupe en attendant des jours meilleurs, très bien. Mais toutes ces babioles ont un intérêt très limité (ses photos et lithos, à la rigueur) et ne suffisent pas à combler le vide de son absence. Lynch est partout ; “lynchien” est devenu un adjectif fréquemment employé. Mais ses films manquent terriblement.
5. En regardant les beaux portraits de Nicolas Hidiro, je constatais que Lynch ressemble de plus en plus à James Stewart période Vertigo, le personnage de Scottie et le film le plus séminal de l’histoire du cinéma, avant que Mulholland Drive ne le détrône en le vampirisant. Lynch est vraiment devenu Scottie. Bouleversante gémellité.
Frédéric Bonnaud
Retrouvez le nouveau numéro des Inrockuptibles en ligne ici et en kiosque le 24 avril. Au sommaire : David Lynch : pourquoi fait-il TOUT sauf des films ? ; The Knife, electro coupante et Denis Robert, prophète en son pays.
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