Le Caprices Festival, perché dans la station de Crans-Montana en Suisse, se tient actuellement jusqu’à samedi. On y était ce week end pour l’ouverture. On y a croisé des légendes de la techno entre deux tartiflettes. C’était cool. On vous raconte. En quelques années, une mythologie de la teuf à la montagne s’est construite autour […]
Le Caprices Festival, perché dans la station de Crans-Montana en Suisse, se tient actuellement jusqu’à samedi. On y était ce week end pour l’ouverture. On y a croisé des légendes de la techno entre deux tartiflettes. C’était cool. On vous raconte.
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En quelques années, une mythologie de la teuf à la montagne s’est construite autour de la multiplication des festivals en altitude. Via les gros médias, et surtout la télé, on en a retenu ces images, qui tendent aujourd’hui à rester figées : des « jeunes » qui foutent le bordel en écoutant de l’electro, des abus et des risques en tous genres (forcément, il y a de la drogue dans tout ça), des paysages gâchés par une horde d’abrutis ne respectant rien ni personne. Il faut dire que pendant longtemps, mer et montagne sont restés synonymes de bêtise musicale et de comportements purement vacanciers : en gros on oublie tout, et on se lâche sur une programmation bien pourrie.
Mais pendant que s’inventait cette vérité ennemie du bon goût, quelques festivals européens ont su résister à cette vision prémâchée par les reportages télévisés. En Suisse, c’est le Caprices Festival qui depuis une décennie maintenant contribue à redorer la réputation de ces événements perchés au milieu des pistes. Il ne s’agit toutefois pas de dire que tout est sage ici, que le bordel n’existe pas, ni que les individus ne s’en donnent pas à cœur joie. Mais il y a l’art et la manière : quand la programmation d’un festival tape dans le qualitatif, la logique est d’y retrouver des comportements civilisés ; la musique étant une mise en forme orientée des bruits du monde, son intention naturelle sera toujours d’influencer la manière de les pratiquer.
Sous le dancefloor, la neige
Cette année, le Caprices n’y est pas allé par quatre chemins. Dans une programmation contenant certes quelques trucs chelous, il a tout même convié parmi les plus gros et les plus excitants DJ du monde. Se seront ainsi succédés, en l’espace de trois jours, Jeff Mills, Carl Cox, Richie Hawtin et Ricardo Villalobos. Comme si l’idée était de retracer l’histoire de la techno, d’y dessiner ses accointances avec celle de la house, et ainsi de montrer que le purisme se porte bien, que rien encore ne l’a ringardisé, et qu’au contraire les pionniers et leurs suiveurs les plus directs continuent d’imposer leur style et d’influencer, et ce plus que jamais, celui des nouvelles générations de DJ. Par ailleurs, quelques groupes pop étaient également de la partie ce week end (Owlle, notamment). Entre les deux, quelques têtes montantes de la scène électronique, dont le sombre Gesaffelstein. Soit un festival à la fois pointu et ouvert, ni borné ni de mauvaise foi.
Le Caprices se déroule sur deux lieux principaux. En bas, dans la station, il y a le Moon. C’est une gigantesque tente qui abrite le gros de la programmation en format nuit. En haut, perché à 2000 mètres, il y a le Modernity, une espèce de serre avec vue sur la vallée. Ce dernier lieu se pratique en journée, et vu le spot, voici le schéma idéal : pour ceux et celles qui n’ont pas laissé leur forfait à l’hôtel, vous arrivez de la Plaine Morte, à 3000 mètres, vous glissez tranquillou sur la neige qui commence à se faire rare (beaucoup de soupe dégueu, il fait trop chaud à cette période), puis vous déchaussez au pied du Modernity et vous allez danser. Mais en vrai, skier l’aprem est impossible ici, un peu comme danser avec des pompes de ski, hein. Vers 17h, après la sieste, les gens décollent donc de la vallée : c’est drôle de débarquer en télécabine à une soirée.
Neige et sens du style
Samedi : au Modernity, il y a Ricardo Villalobos, pointure germano-chilienne de la house contemporaine. Le set sera riche et tordu, parfois complexe, souvent décousu : Villalobos passe autant de temps avec ses potes qu’avec ses machines. Pas toujours concentré derrière ses lunettes de soleil, et malgré la perte occasionnelle de cohérence dans l’enchaînement des rythmes et des morceaux, il a l’air plutôt content de lui. Et tant mieux, car l’ensemble est assez cool pour faire bouillir un public hyper heureux d’être là, profitant du son comme de la vue avec la même insouciance. Évidemment, la salle est blindée. En bas des œufs, il y en a qui tentent de choper des bracelets. D’autres dealent des places sans trop se cacher. Ceux-ci seront en haut quelques minutes plus tard, et enchaineront les cocktails avec l’argent récolté : bravo, les gars.
Le Caprices est un festival assez friqué. Le public, constitué d’une majorité de trentenaires, a les moyens de venir à Crans-Montana pour faire la fête. Il ne ressemble pas des masses au public techno-house français. Un chouilla plus vieux donc, et moins hipster, moins rigoureux dans le style, il semble pratiquer le dancefloor pour la fête en soi plutôt que pour l’expérience musicale. Et si le style a un sens, alors les gens ici ne sont visiblement pas les artisans de l’émergence sous-culturelle de la teuf, mais plutôt des curieux ouverts d’esprit et détendus sur le budget. Dans un cadre pareil, même les sons les plus obscurs peuvent trouver une résonance. Au pire, un semblant d’écho.
L’autre point de vue serait de considérer que les légendes de la musique électronique sont aujourd’hui capables de réunir un public large, loin de toute revendication d’underground. En pas loin de 30 ans, c’est-à-dire le temps d’un saut de génération, la techno et la house ont montré leur capacité à émerger, à bouleverser solidement la pop et à engendrer de nouveaux mouvements musicaux (la french touch notamment, et puis ses héritiers de l’écurie Ed Banger, ou encore l’école de Reims), pour aujourd’hui prospérer sous sa forme originelle sans avoir besoin de mimer quoi que soit. La hype s’est emparé du minimalisme, et l’avenir tout entier semble s’inspirer encore une fois des éternels purismes.
Richie Hawtin, Carl Cox, Jeff Mills
La veille, c’est une des références de Ricardo Villalobos qu’on croise au Moon : Richie Hawtin (et non pas Richard Autain, comme on l’a entendu quelques fois durant le week end). Solide et violent, maximal dans ses intentions autant qu’épuré sur la forme, celui qu’on a aussi connu sous le nom de Plastikman aura comme officialisé l’ouverture du festival : ça y est, le public est dense, super chaud, proche de la transe. Aux toilettes, on entend des gens qui… vous voyez. Partout ailleurs, ça se bouscule et ça danse, certains en se mettant absurdement en scène, d’autres bougeant de façon plus renfermée, plus tendue, plus fiévreuse.
Samedi soir, même ambiance pour le sommet de la programmation : Carl Cox passera juste avant Jeff Mills, pour de longues heures de set en forme d’histoire de la techno. Le premier se placera dans un savant mélange de sons à l’ancienne, de tubes confidentiels et de bavardages ibiziens ; le second dans une folie de violence totale, tout en progressions et ruptures, bourrée de va-et-vient rythmiques hypnotiques, de déchainements destructeurs et d’envolées futuristes hallucinantes. Le reste du festival, qui se poursuit jusqu’à samedi, fera difficilement aussi bien. Mais on n’y sera plus pour vérifier. On a quitté Crans-Montana en baillant de fatigue : bon signe.
Texte et photos Maxime de Abreu
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