Toujours riche d’une programmation mêlant grosses têtes d’affiche et choix audacieux, jeunes pousses et valeurs sûres, le festival Primavera sound, qui s’est déroulé du 31 mai au 3 juin à Barcelone, a réuni quelque 15 000 visiteurs par jour, venus assister à plus de 125 concerts répartis sur cinq scènes installées au bord de la mer. Compte rendu.
La soirée du vendredi commence pour nous vers 18 heures, avec le concert de Portastatic sur la scène Rockdeluxe. Mené par Mac McCaughey, également leader de Superchunk et fondateur de l’excellent label indé américain Merge, ce groupe discret (dont l’édition européenne du dernier album est sortie sur le label espagnol Acuarela) excelle dans une pop à la fois mélodieuse et énergique, urgente et intemporelle. La passion que le vétéran McCaughey met dans chacun de ses disques est encore plus éclatante sur scène, surtout quand les arabesques d’un violon échevelé viennent se mêler à ses (brefs) solos de guitare. Total respect.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
On court ensuite à l’auditorium pour applaudir un autre vieux de la vieille, qui n’a pas dû jouer en France depuis des lustres : Billy Bragg, qui chroniqua à longueur d’album les méfaits du thatchérisme avant d’enregistrer une partie du répertoire de Woody Guthrie avec les Américains de Wilco (qui se produisaient d’ailleurs le lendemain). On aimerait bien que tous les gauchistes (ou ex-gauchistes) soient aussi drôles que lui : entre les chansons, Billy – alias « Johnny Clash » – fait dans la « stand up comedy » et, pour qui comprend l’anglais, c’est franchement hilarant. Entre les sketchs, on retrouve avec une certaine nostalgie tous ses classiques des années 80, comme le superbe A New England, dont il laissera le public chanter le refrain.
Un petit tour par la grande scène pour la fin du concert des formidables Rakes, qui eux non plus ne se prennent toujours pas au sérieux mais savent mieux que personne faire monter la température de quelques degrés. A l’auditorium, ambiance nettement plus cool avec Barry Adamson. Le bassiste des années new wave (Magazine, Nick Cave…), compositeur de B.O. de films imaginaires, s’est mué en crooner-lecteur sur fond de jazz ténébreux. Est-ce la musique, très chic mais trop lisse, ou le confort des fauteuils ? On s’assoupit assez vite.
On se réveille juste à temps pour aller voir The Fall sur la scène Estrella Damm. A part Mark E. Smith et la claviériste Elena Poulou (Mme Smith à la ville), les musiciens sont de nouvelles recrues, leurs prédécesseurs ayant été, comme de coutume, virés par l’acrimonieux Mancunien lors de la tournée précédente. Ceci dit, la différence ne saute pas à l’oreille : toujours ces morceaux réduits à quelques accords, sur lesquels le canard post-punk marmonne des imprécations qu’il semble le seul à comprendre. Le concert est quand même d’une certaine tenue, Smith évitant cette fois-ci de « chanter » dans deux micros à la fois et de dérégler les amplis des guitaristes dès qu’ils ont le dos tourné (enfin, peut-être juste une ou deux fois, comme ça, pas réflexe…). On aurait juste aimé un peu moins de décibels et un peu plus de vieilles chansons, mais le récital best-of à volume raisonnable n’est pas vraiment le genre de la maison.
Autre ambiance sur la scène Rockdelux, où le jeune Américain Beirut (alias Zach Condon) donne enfin à entendre en live les morceaux de son très attachant premier album. Entouré de sept musiciens et musiciennes passant avec aisance des cuivres aux ukulélés, il livre devant un public conquis un concert parfois un peu brouillon mais indéniablement chaleureux, entre flonflons balkaniques et envolées folk. Très bientôt à Paris, mais c’est complet depuis belle lurette.
Chez Maxïmo Park, qui se produisent comme il se doit sur la grande scène, c’est plutôt l’efficacité qui domine. Le groupe panache sans temps mort les meilleurs titres de ses deux albums, le chanteur Paul Smith, coiffé d’un chapeau melon, court dans tous les sens, et le joueur de claviers n’est pas en reste. Pas la moindre frime ici, pourtant, juste le plaisir contagieux d’enchaîner des tubes irrésistibles en assurant le spectacle – et de ce point de vue, c’est irréprochable.
Après une telle débauche d’adrénaline, on préfère aux revenants hardcore Girls vs Boys les moins bruyants Low, programmés sur la petite scène ATP (confiée aux bons soins des organisateurs du festival anglais et pointu All Tomorrow’s Parties). Toujours impressionnant d’intensité minimaliste et de violence rentrée, le trio de Duluth alterne chansons du dernier album et titres plus anciens, dont Canada, qu’ils n’avaient joué ni à leur Black session, ni au Café de la danse (dans notre souvenir, en tout cas). Leur succède un autre groupe américain apparu dans les années 90, et un peu perdu de vue depuis : Built to Spill, dont l’indie-rock brut de décoffrage a gardé toute sa puissance.
Après un passage par la scène CD Drome pour jeter une oreille aux trois Brésiliens délurés de Bonde Do Role (amusant, agité, mais musicalement assez pauvre), on termine vers 4 heures du matin avec Hot Chip, affairés tels des nerds derrière claviers et machines. Pas forcément très spectaculaire, mais imparable, ces jeunes Anglais étant parmi les meilleurs pourvoyeurs internationaux de pop dansante ET intelligente. La fatigue nous fera pourtant capituler au bout de quelques morceaux.
L’attrait des plages où les festivaliers tout en jean et en barbe se mélangent volontiers à la gente féminine locale qui découvre ses attraits sans complexe nous fait arriver trop tard pour Shannon Wright qui livrera dans la salle de l’auditorium un concert enchanté aux dires de quelques camarades. Jonathan Richman lui succède pour un tour de piste rigolo et touchant, mêlant l’espagnol, le français et l’anglais, l’ex modern-lover nous livre un spectacle léger et nostalgique à la fois.
L’énergie épique des huit australiens d’Architecture in Helsinki, à la fois joyeuse et chevaleresque, pop et grandiloquente se retrouve un peu noyée ce soir par un son éclaté et le fouillis des orchestrations. Dommage.
Nous irons trouver du bon son auprès de Pelican sur la scène ATP, groupe atypique aux antipodes de la vague fluo, les deux guitares et la basse nous livre un étrange balai métalleux. Trois têtes au vent, trois têtes baissés sur les cordes avec concentration et avidité, toujours synchro avec la batterie surpuissante. Le public suit en se balançant d’avant en arrière, ravi par le côté brut de l’affaire.
Pendant ce temps, Patti Smith passe en revue son dernier album Twelve soit douze reprises cultes des Rolling Stones à Neil Young, qui reprennent vie ce soir grâce à la voix éternelle de la diva du rock’n’roll. De sa voix rocailleuse, la reine punk et dégingandée parvient à faire le pont entre Because the night, son hymne de 1978, et Smell like teen Spirit de Nirvana tout en provoquant l’hystérie de ses fans.
Après cette claque, The Good, The Bad and The Queen, déçoit un peu. C’est un plaisir de voir Damon Albarn sur scène mais le concert n’est pas à la hauteur de leur premier album, se perdant un peu en mélancolie.
Après Patti Smith, c’est au tour de Sonic Youth d’allumer les feux du passé sur la scène Estrella. Pour la première fois, il joue en entier le mythique Daydream Nation sorti en 1988, Kim Gordon, autre papesse du rock n’roll est toujours aussi fascinante, provoquant le désir féminin et masculin. Ils livrent un concert fleuve et historique, presque deux heures de puissance pure, sans jamais s’essouffler laissant le public béat d’admiration.
Même si les Grizzly Bear ne sont pas habitués aux grands raouts en plein air, dixit Edward Droste chanteur et guitariste du groupe, les américains cousins d’Animal Collective se sortent très bien de cet exercice. Il faut dire que la petite scène ATP, décidément l’une des scènes les plus intéressantes, convient parfaitement à l’univers intimiste des garçons chantants. Sous le chapiteau étoilé, les voix s’envolent et bercent nos oreilles.
Wilco poursuivra le travail d’apaisement avec son folk doux et souriant. Les Klaxons ont annulé et il est presque bienvenu de finir sur ces notes tendres…
Site officiel : www.primaverasound.com
{"type":"Banniere-Basse"}