Vous venez de jouer à touche-pipi, quoi de mieux qu’un petit selfie ? Ceci est un couple en train de se griller tranquillement une cigarette après une session de sport en chambre. Ils en profitent pour prendre une photo d’eux- mêmes, histoire d’immortaliser leurs expressions postcoïtales encore suantes. Voici la nouvelle tendance web de la génération Z : ces […]
Vous venez de jouer à touche-pipi, quoi de mieux qu’un petit selfie ?
Ceci est un couple en train de se griller tranquillement une cigarette après une session de sport en chambre. Ils en profitent pour prendre une photo d’eux- mêmes, histoire d’immortaliser leurs expressions postcoïtales encore suantes. Voici la nouvelle tendance web de la génération Z : ces ados et jeunes adultes (nés après 1995), tout contents d’avoir tiré leur coup, ne peuvent s’empêcher de le crier sur tous les toits et partagent un selfie accompagné des hashtags #sexfie, #sexselfie ou #aftersexselfie outre-Manche. Ainsi, on retrouve son cliché sur Instagram, entouré d’autres couples souriants, certains burgers à la main, d’autres joints entre les lèvres. S’endormir, c’est réservé aux générations X et Y.
Ainsi, ce cliché voyeuriste oscille entre fierté ado (“you’re gonna score”, c’est-à-dire “tu vas tirer”, hurlait Stifler dans le cultissime American Pie) et activité humaine des plus primaire et donc, par nature, unifiante. A l’ère 3.0, voilà les murs de la chambre devenus invisibles, et la plus intime des rencontres transformée en prétexte à faire grimper son indice Klout (soit son influence en ligne sur les réseaux sociaux).
Cette médiatisation d’une sexualité ordinaire, permettant une gloire des plus démocratique, ne date pas d’hier. On peut penser à Loana dans l’épisode de la piscine de Loft Story qui l’a rendue célèbre. Cela marque l’apparition d’un public autorisé de l’intime. Aujourd’hui, après la tendance homeporn ou le buzz #cockinasock (bite dans une chaussette, on se passe d’explication), on découvre aussi le site Pornostagram qui incite bobonne à poster des photos d’un quotidien coquinou, ou encore Snapchat, la coqueluche des ados (un cliché olé-olé apparaît quelques secondes seulement puis disparaît – rien de tel pour un numéro de drague surprenant).
Alors, exhibitionnisme ou free love seventies version ultramoderne ? Pour les sociologues du numérique, une branche naissante des sciences sociales à travers le monde, cela s’appelle “extimacy” – terme introduit par l’anthropologue Paula Sibilia. Il raconte une perte de frontière entre intimités réelle et numérique, où les places des réseaux sociaux et de la vie tangible ont été interverties. Instagram n’est plus un outil de documentation : au contraire, c’est le quotidien qui devient une quête de situations loufoques et likable, destinées exclusivement à nourrir la bête. On se met en mode avion ?
Alice Pfeiffer