Futura 2000 (de son vrai nom Leonard Hilton McGurr) est un pionnier du graff new-yorkais. Il est même l’un des premiers street artists à être passé de la rue aux galeries d’art. Lui qui ne pensait pas vivre jusqu’à l’an 2000 a désormais gommé ce nombre de son pseudo. Aujourd’hui, Futura fait l’objet d’une exposition à […]
Futura 2000 (de son vrai nom Leonard Hilton McGurr) est un pionnier du graff new-yorkais. Il est même l’un des premiers street artists à être passé de la rue aux galeries d’art. Lui qui ne pensait pas vivre jusqu’à l’an 2000 a désormais gommé ce nombre de son pseudo. Aujourd’hui, Futura fait l’objet d’une exposition à Paris, à la galerie Magda Danysz, dans le centre de Paris. Et même s’il expose principalement aujourd’hui, il a su garder l’esprit et les codes urbain. Rencontre avec une légende dans sa discipline, sans chichis, devant une énorme toile.
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D’où est-ce que tu viens ?
Je viens de New York. Je vis à Manhattan mais j’ai vécu à Brooklyn pendant plus de 30 ans, jusque dans les années 80.
Comment as-tu découvert le graff ?
Le graff était un mouvement qui émergeait tout juste à l’époque. J’étais un ado, j’allais à l’école en métro et je voyais tous ces pseudos écrits sur les murs et les trains. Et à chaque fois je me disais « Whaou, c’est super, j’aimerais faire la même chose moi aussi ». Au départ, on en voyait parfois sur les trains, mais la plupart des tags étaient fait dans les gares ou dans les rames. Maintenant on trouve même des graffs dans les tunnels, tu vas dans un tunnel et tu peux voir des mecs en train de taguer dans l’obscurité. Tout ça était très excitant. En tout cas, ça m’excitait beaucoup quand j’avais 15 ans.
Tu as commencé à quel âge ?
J’ai commencé à quinze ans, ce qui est en fait plutôt vieux pour débuter. Beaucoup de mômes commencent à 12 ou 13 ans !
Tu as commencé par graffer sur quel support ?
J’ai commencé à taguer dans le métro. Quand j’allais à l’école, sur le chemin, je pensais à un nom, à une signature. A y réfléchir, c’est comme une publicité pour soi-même. Bien sûr, au moment où on le fait, on n’y pense pas vraiment, on se dit pas que ça va durer.
Ton pseudo à toujours été le même ?
Toujours, depuis le début, Futura 2000. On était dans les années 70, à l’époque je n’aurais cru vivre jusqu’aux années 2000 !
Tu as gommé le 2000 alors ?
Exactement. Le mot « Futura » vient de plusieurs choses : il y a une avait une voiture appelée Futura (une Lincole – ndlr) et une célèbre police d’écriture, créée par Paul Renner en 1927. C’était une combinaison d’un nom et d’un numéro, c’était à la mode à l’époque. Souvent le nombre correspondait au numéro de la rue d’où tu étais originaire.
Quand tu as commencé à graffer, à quoi ressemblait une journée type pour toi ?
Chaque matin, les gens prenaient le métro en direction du centre ville. Du coup dans l’autre sens, les trains étaient vides ! On était tranquille pour taguer.
Il y avait des moments dangereux ?
Oui, les tunnels, les voix ferrées, les gares de dépôt, tous ces endroits étaient dangereux, à cause de l’obscurité et de l’électricité. Mais ça faisait aussi partie du mouvement, tout ce danger rendait les choses encore plus excitantes. De plus, quand tu es jeune, tu ne penses pas à tout ça, au danger. Tu vis dans le moment. Je ne pense pas qu’aujourd’hui à mon âge, je referais la même chose. Je suis beaucoup plus prudent maintenant, je veux vivre ! (rires)
Tu avais des amis dans le milieu du graff ?
J’étais plutôt du genre solitaire mais j’avais quelques amis avec moi, rien que pour une question de sécurité. Le premier nom qui me vient à l’esprit, c’est Dondi, qui est décédé aujourd’hui. C’était un ami très proche. Il y avait souvent une autre personne avec moi qui s’appelait Zephyr. Ils étaient mes deux « mecs » : nous avons fait pas mal de choses ensembles.
Quik nous parlait aussi beaucoup de Dondiqu’il considérait comme l’un des plus talentueux graffeurs…
Oui, mais une de mes plus belles réalisations sur un train, je l’ai faite en collaboration avec Quik. Je bossais sur mon train, Quik avait le sien, Dondi aussi… C’est comme ça qu’on faisait on y allait tous ensemble mais tout le monde faisait sa propre partie. Mais il y avait toujours l’un d’entre nous qui faisait le guet au cas où la police passait nous rendre visite.
Quik m’a aussi raconté comment vous tu l’avais poussé, à l’époque, pour qu’il fasse sa première exposition…
Tu parles de Yaki Kornblit. C’était un marchand d’art qui venait d’Amsterdam. Il a exporté pas mal d’artistes vers l’Europe à commencer par moi, mais aussi Dondi et Zephyr. Un jour il m’a demandé : « Qui est ce Quik ? » C’est drôle qu’il vous ait raconté ça, on recommandait les artistes qu’on connaissait et Quik en faisait partie. Et Quik a vu sa carrière décoller aux Pays-Bas, il y allait régulièrement, passait beaucoup de temps là-bas. Vous savez quand je pense à Quik aujourd’hui, je pense aux Pays-Bas. C’est de la Hollande que sont venus les premières galeries à nous soutenir depuis presque quarante ans.
Tu es un précurseur du street art, et notamment un des premiers à l’avoir fait entrer dans les galeries d’art. Quand as tu réalisé que cette migration était possible ?
Ce n’était pas mon but premier, ce n’était pas ma vision du street art et du graffiti. A l’époque, je n’y connaissais rien en « ar ». Je ne tentais pas de faire procéder à la transition entre la rue et les galeries d’art. Mais autour de moi gravitaient des personnes que vous connaissez probablement : Keith Haring, Jean-Michel Basquiat et d’autres artistes que je connaissais très bien ! De la même façon que Quik vous a dit « Futura m’a beaucoup aidé », quelqu’un comme Keith Haring m’a aidé a percer. Il m’a recommandé de nombreuses fois dans des galeries new-yorkaises.
Keith Haring avait fréquenté les écoles d’arts ?
Oui, lui mais aussi Sharp par exemple avaient ce bagage, ce qui n’était pas le cas de Basquiat. Mais il était spécial, Basquiat, c’était quelqu’un de très intelligent, il lisait tout ce qui lui passait par la main. Comment vous dire, vous connaissez le film Will Hunting ? Il était de ce type de génie. Il n’avait pas besoin de recevoir une éducation pour devenir brillant. Il était naturellement brillant. Il avait un don. Il s’y connaissait beaucoup en art, son histoire. Ces gens-là m’ont initié au monde de l’art. Ils m’ont aidé à être accepté par cette communauté, qui formait une sorte d’élite. Le monde de l’art est une énorme machine. Basquiat ou Haring savaient comment elle fonctionnait, tout simplement. Ce sont les plus grands artistes que j’ai jamais rencontrés et connus.
Comment était l’esprit créatif new-yorkais dans ces années-là ?
C’était dingue, c’était génial, mais ça n’a pas duré si longtemps que ça en fait. Cinq ans tout au plus. De 1981 à 1985/1986 environ. Puis ça c’est essoufflé, comme n’importe quelle autre chose. Quand une bougie brille fortement, elle se consume plus rapidement. C’était un mouvement qui était très brillant. Mais il est mort rapidement. Peut-être est-ce allé trop vite. A la fin des années 1980, Keith Haring est mort, Basquiat est mort, Warhol est mort. Ça a coïncidé avec la mort de cet âge d’or. Les années 90 ont été très « mortes ». Il n’y avait pas grand chose d’intéressant.
Et maintenant ?
Ça revient un petit peu car, selon moi, une nouvelle génération émerge, et avec elle un nouvel espoir. Des jeunes de 20 piges qui sont nés dans les années 90 et qui n’ont pas connu les anciens. Comme ma fille, elle va avoir 24 ans. L’art et la culture urbaine, ils sont nés dedans, ça fait partie de leur vie. Partout autour d’eux, dans les médias, c’est immédiat pour eux. On peut prendre des photos, les diffuser sur Internet et les commenter. On peut partager. Et ça va très vite !
Tu es venu en France pour la première fois en 1981 avec le groupe de rock The Clash. Comment tu les as rencontrés ?
Je les avais rencontrés la même année à New York. Ils étaient venus pour un concert. Je n’étais pas spécialement un fan des Clash au départ, je ne connaissais que quelques chansons tout au plus. A l’époque, je travaillais beaucoup avec un autre graffeur qui s’appelait Zephyr. Quand les Clash sont venus à New York, ils ont vu notre travail et ont demandé « Qui sont ces mecs ? » [rires]. C’est comme ça qu’on s’est finalement rencontrés. Ce fut une des plus belles rencontres de ma vie. Je n’avais pas de plans à l’époque, je n’avais pas grand chose à faire, pas de projets…
Vous êtes devenus potes ?
Exactement. Et ils m’ont invité sur leur tournée. On est allés en France à Paris, c’est la première fois que j’allais en Europe d’ailleurs ! Mes années dans l’armée m’avaient fait faire le tour du monde, mais je n’étais jamais allé en Europe avant.
Crédit photo : Stéphane Bisseuil (courtesy galerie Magda Danysz)
Pourquoi as-tu choisi de t’engager dans l’armée entre 1974 et 1978 ?
En 1973, je me rappelle, je ne faisais rien d’autre que graffer. Un soir, j’avais prévu d’aller peindre dehors, avec un ami. Et ce soir-là, il y a eu un feu, à cause de la peinture. Mon ami a été salement brûlé ce soir-là. Après cet accident, je ne me sentais pas bien, je ne savais plus si je voulais continuer ou non de graffer. J’avais besoin de m’échapper de cet environnement. Et puis, on était en plein Vietnam en 1974 également. Ici à New York, je n’avais pas beaucoup d’argent, une famille plutôt pauvre et pas vraiment d’opportunité. S’engager dans l’armée, ça a été une fenêtre ouverte sur le monde pour moi. Une expérience de vie.
Qu’est ce que ça t’a apporté au final ?
Dans un sens, ma carrière militaire a été pour moi comme quatre ans à la fac. J’y suis allé pendant quatre ans, comme on va à l’université. J’y ai tout appris là-bas. J’ai appris à devenir un homme. Et toute ces choses que tu n’apprends pas à la fac : j’ai appris à communiquer, à prendre ses responsabilité, à s’engager dans quelque chose qui nous tient vraiment à cœur.
Il n’y a pas eu de mauvais côté pourtant ?
Je n’ai jamais laissé le gouvernement américain et toutes ces conneries me défoncer le cerveau, tu vois ce que je veux dire ? J’ai pris tout ce qu’il y avait de bon à prendre de l’enseignement militaire. Et il y a pas mal de bons trucs à prendre. Déjà dans les années 70, l’armée commençait à utiliser Internet et le GPS ! Moi j’avais une vingtaine d’années, j’étais sur une porte-avion dans la mer du Japon, c’est plutôt cool.
Revenons à ton séjour à Paris avec les Clash, ça c’est passé comment ta première fois ?
J’ai exposé pour la première fois de ma vie à Paris à la galerie d’Yvon Lambert. C’était incroyable. C’était en 1982, c’était encore le début du mouvement. Il arrivait seulement en Europe. Je me rappelle, les Clash jouaient au théâtre Mogador, cinq soirs. J’étais avec eux sur scène chaque soir, je peignais derrière le groupe. Il y avait une énorme toile sur scène et chaque soir je peignais un peu plus. Jusqu’au cinquième soir où j’avais peint un énorme truc ! Et au même moment, j’ai même fait un morceau, que j’ai chanté sur scène avec le groupe. Après ça, les gens ont commencé à se demander qui j’étais, ce que je faisais. Il se demandait ce qu’était le graff en fait. Et c’est comme ça que je me suis retrouvé à exposer chez Yvon.
http://www.youtube.com/watch?v=gR9K2ISCUqg
Yvon Lambert avait déjà des artistes à lui dans sa galerie non ?
Et oui ! Toutes les galeries en avaient. Le problème c’est que les artistes d’Yvon n’appréciaient pas trop ma présence parmi eux. Je n’avais pas été très bien reçu. Ils se disaient : « Mais c’est qui ce mec ? » Je pense que ce sont eux qui ont peint sur les fenêtres « rentre chez toi ! » Ce n’était pas très gentil, j’étais déçu. Je n’étais pas là pour les offenser. Mais je pouvais comprendre, c’était leur territoire en quelque sorte. Puis au fil des années, je voyais ces mêmes personnes, encore et encore. Et ils ont fini par m’accepter. Ils ont compris. Ils ont compris qu’il se passait quelque chose, qu’il y avait à partager entre nous tous. Plus tard, certains d’entre eux sont mêmes venus à New York, comme Robert Combas par exemple.
Qu’est ce que tu as appris à l’étranger, en exposant en dehors de ta ville d’origine ?
J’ai appris quelque chose d’important, je vais t’expliquer. Quand tu viens, c’est toujours bien de travailler avec les gens chez qui tu vas, de partager avec eux ton savoir, ton expérience. Comme ça, ils n’ont pas le sentiment que tu arrives comme un conquistador. Tu vois ce que je veux dire ? Et malheureusement, nous les Américains, c’est souvent ce qu’on fait, regarde ce qu’on a fait avec la Lune !
Tu reviens souvent à Paris ?
Tous les ans je crois, depuis 1981. Paris est ma seconde maison après New York, même si je n’y ai jamais vraiment vécu. Ma femme est de Paris, je l’ai rencontrée en 1982. Et ça m’a pris presque deux ans pour la faire venir à New York [rires]. Trente ans plus tard, elle vit toujours à New York et elle n’a toujours pas perdu son accent français quand elle parle anglais, il s’est même renforcé !
On dit que l’accent français plaît beaucoup…
Totalement. [rires]
Comment décrirais-tu le mouvement du street art aujourd’hui ?
Je pense qu’aujourd’hui il existe de très bons street artists. Les gens aiment ça. Il y a Banksy, Space Invader, Shepard et j’en oublie sûrement. Il y a toute une liste. Ils ont contribué à ce que notre mouvement soit totalement accepté aujourd’hui. Comme Banksy notamment. La façon dont les artistes occupent l’espace aujourd’hui me plaît, c’est comme si la planète était une putain de toile géante ! Partout sur le planète, du Brésil à la Russie, en passant par l’Afrique, on graffe partout, c’est cool. On est devenus un vrai mouvement artistique à part entière, avec ses écoles, ses techniques et ses propres tendances. Je n’étais pas très optimiste à la fin des années 80, je le suis beaucoup plus maintenant, ça va de l’avant. Je me dis que ce n’est pas totalement fini, et c’est plutôt encourageant.
Le mouvement a changé aussi, il est devenu commercial. Les marques ont compris qu’elle pouvait monétiser cet art en quelque sortes. Moi le premier j’ai collaboré avec des marques de whisky, ou de fringues. A y penser, c’est un peu fou. Car avec le recul, tout ce qu’on a fait, ce n’est pas pour l’argent. Ce n’est pas moi qui dicte le prix des œuvres, c’est le marché qui veut ça. Mais ce n’est jamais la motivation première, ce n’est que le « résultat positif des choses ».
Que réponds-tu aux personnes qui disent que le street art doit rester dans la rue et ne pas être exposé en galerie ?
Ce débat, je l’ai entendu pour la première fois à la fin des années 70, lors des mes premières expositions. A l’époque, c’était plutôt vrai. On n’était pas prêt pour ce changement. Le travail n’était peut-être pas assez bon pour être exposé encore. Peut être aussi que le street art « rend mieux » dans un lieu public. Le processus qui nous a fait émigrer vers les galerie est naturel. Mais j’ai aussi le sentiment que ça dépend de l’artiste dont on parle. Il y a certains artistes que je trouve géniaux en intérieur. Mais certains ont plus de puissance en extérieur. Je ne donnerai pas de nom. [sourire] Peut-être que pour eux, c’est l’argent qui est le moteur, et non l’art. C’est le problème. When the money starts, the art stops.
Propos recueillis par Julien Rebucci
Futura : Introspective, jusqu’au 26 juillet à la galerie Magda Danysz – 78, rue Amelot Paris 11
http://www.magda-gallery.com/
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