Longtemps, avec des films aussi forts que Les Rebelles du dieu néon, The Hole, Vive l’amour ou La Rivière, le Malaisien Tsai Ming-liang fut considéré comme le grand cinéaste de Taiwan après Hou Hsiao-hsien. Puis, avec une série de films plus espacés dans le temps et moins marquants, Tsai Ming-liang s’était légèrement éloigné du centre […]
Longtemps, avec des films aussi forts que Les Rebelles du dieu néon, The Hole, Vive l’amour ou La Rivière, le Malaisien Tsai Ming-liang fut considéré comme le grand cinéaste de Taiwan après Hou Hsiao-hsien. Puis, avec une série de films plus espacés dans le temps et moins marquants, Tsai Ming-liang s’était légèrement éloigné du centre de nos préoccupations cinéphiles. En 2007, il signe un retour au premier plan avec sa participation à Chacun son cinéma (le film commandé par Gilles Jacob pour le 60e anniversaire de Cannes) et le très puissant I Don’t Want to Sleep Alone, tourné chez lui, à Kuala Lumpur.
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ENTRETIEN > Le point de départ de I Don’t Want to Sleep Alone était le thème des travailleurs immigrés ?
Oui. Ayant quitté la Malaisie depuis longtemps, le pays m’était un peu inconnu quand je suis revenu. Par ailleurs, on avait attaqué mon cinéma à Taiwan, l’accusant d’être trop difficile, mais on m’avait aussi attaqué personnellement, disant que j’étais un étranger et que je prenais l’argent de Taiwan pour faire des films. Le thème du travailleur immigré reflétait mon parcours et mon identité.
Mais votre film dérive aussi vers des zones poétiques, plastiques, abstraites…
En apparence, on part sur une observation sociale, mais ce qui m’intéresse davantage, c’est observer les humains, les individus. La Malaisie est mon pays natal, mais en raison du mélange de cultures, de langues, j’ai parfois le sentiment d’y être aussi étranger qu’à Paris. J’ai donc un rapport double à ce pays. Je le regarde parfois à partir d’éléments absurdes : par exemple, la fumée. Cette fumée provient des forêts d’Indonésie que l’on brûle. C’est un élément concret, grave, mais qui nous plonge aussi dans une rêverie.
Avez-vous trouvé l’immeuble du film tel quel ?
Oui. En 1997, il y a eu la crise économique en Asie, beaucoup de constructions de grands immeubles d’affaires qui étaient lancées ont été abandonnées. En 1999, l’immeuble était déjà tel quel, mais c’est seulement au cours des repérages que j’ai découvert cette espèce de mare à l’intérieur. Ce type de construction, qui pousse partout dans le monde, ce sont des forêts artificielles qui ont une force symbolique. Cette frénésie de construction mondialisée incite à se demander ce que vont devenir les hommes dans ces forêts de ciment. Peut-être va-t-on vers une sorte de désert ? Dans ses constructions gigantesques, l’homme a peut-être oublié l’essentiel. Cet essentiel est peut-être sous la mare.
Vos personnages parlent peu, ont peu ou pas de vie sociale…
Dans la société actuelle, on désire plein de choses et, du coup, on a beaucoup de déceptions. Ce qui m’intéresse, c’est retrouver ce qui est essentiel à chaque être humain. On ne sait pas d’où viennent mes personnages, ils ne sont pas attachés à une maison ou une famille, et c’est ainsi plus facile pour moi d’observer ce qui leur est essentiel : avoir de l’affection pour une autre personne, prendre soin d’autrui… Je ne crois pas aux dialogues de cinéma. Selon moi, le cinéma est essentiellement un art de l’observation. Ça passe par le regard et la réflexion sur ce qu’on regarde.
Vos films sont fondés sur de longs plans-séquences, quand notre époque multiplie les écrans et les images qui poussent au zapping permanent.
Il faut garder un esprit révolutionnaire. La société force à consommer à outrance. Il est de notre devoir de créateur de garder nos distances et de réfléchir sur l’art et l’image. Il y a un risque de consommer de plus en plus d’images, mais dans la confusion, voire le non-sens. Nous devenons des machines à consommer. Il faut de nouveau réfléchir, et voir des films différents peut aider à cette réflexion.
Pourriez-vous tourner un film sans votre acteur fétiche Lee Kang-sheng ?
Au début, c’était juste mon acteur principal, mais ensuite, à travers nos collaborations successives, j’ai l’impression que mon cinéma dégage un autre sens. Pour garder ce sens, ça m’est devenu nécessaire de continuer à travailler avec lui. Plus le temps passe, plus le filmer devient un geste profond. Travailler avec lui est aussi une sorte de contrainte, et les contraintes permettent de fixer un cadre et de me forcer à en repousser les limites.
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