En juillet, Spiritual Punx imprimait des svastikas sur des t-shirts en voulant lui redonner son sens pré-nazi. Il y a quelques jours, Zara sortait une marinière pour enfant avec une “étoile de shérif” ressemblant fortement à une étoile de David. La multiplication de ce genre d’affaire pose une question centrale : quel pouvoir a la mode sur […]
En juillet, Spiritual Punx imprimait des svastikas sur des t-shirts en voulant lui redonner son sens pré-nazi. Il y a quelques jours, Zara sortait une marinière pour enfant avec une « étoile de shérif » ressemblant fortement à une étoile de David. La multiplication de ce genre d’affaire pose une question centrale : quel pouvoir a la mode sur les symboles qu’elle réutilise ?
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L’histoire de la mode n’a pas attendu 2014 pour réutiliser des symboles et faire polémique. En 1994 déjà, Karl Lagerfeld, directeur artistique de la maison Chanel, faisait imprimer des versets du Coran sur une robe portée par Claudia Schiffer. Le vêtement fait à l’époque scandale et le créateur s’excuse auprès des autorités musulmanes avant de détruire la pièce en question. De même, La Redoute a provoqué il y a quelques années l’indignation du monde catholique en mettant en vente un bijou en forme de squelette intitulé Corpus Christi. Là encore, la marque avait retiré l’article de sa collection.
Les exemples sont nombreux, l’affaire Zara étant le dernier en date. La marque espagnole a en effet produit un pyjama rayé pour enfant (de 3 mois à 3 ans) et comportant une étoile jaune à six branches. Inspiré semble t-il par les étoiles de shérif, les internautes y ont tout de suite vue une ressemblance avec l’uniforme des juifs dans les camps d’extermination nazie. La marque a donc retiré l’article de la vente avant de présenter ses excuses : « Nous ne voulons qu’aucun de nos produits ou design soit perçu comme étant irrespectueux ou offensant. Zara est une entreprise dans laquelle plus de 180 nationalités, cultures, origines et religions différentes, travaillent ensemble afin de représenter le monde moderne. (…) Le respect et la dignité sont des principes qui définissent et guident les valeurs véhiculées par notre entreprise. »
A chaque polémique de ce genre les marques retirent les vêtements incriminés de la vente et les détruisent, laissant ainsi sous entendre qu’aucune volonté autre qu’esthétique ne se cache derrière leurs créations. Jean-Michel Bertrand, ancien normalien professeur à Institut Français de la Mode ajoute même : « Les gens sont ignares. Il est tout à fait possible qu’un jeune de 25 ans n’ait pas pensé à l’étoile de David. D’un autre côté les réactions sont quand même symptomatique du politiquement correct. L’ampleur de celle-ci va bien au-delà du nécessaire. Les gens s’indignent pour faire partie des indignés ». La mode ne serait donc pas toujours consciente des symboles avec lesquels elle joue et ne penserait pas à mal. Sauf que…
La mode phagocyte
En 2013 déjà, la mode « nazie-chic » a conquis une frange de la Thaïlande qui n’hésite pas à porter des t-shirts à effigie d’Hitler ou des uniformes à croix gammée. Depuis, on a vu apparaître des marques qui réutilisent sciemment des symboles forts et négativement connotés. Elles axent d’ailleurs toute leur rhétorique sur la réhabilitation de ces derniers. C’est le cas de Spiritual Punx qui imprime des t-shirts avec des svastikas et le message suivant : « Si ceci vous offense, vous avez besoin d’un cours d’histoire ». La volonté – légèrement new age – de revaloriser ce symbole est clair. Il est d’ailleurs vrai que la svastika est un symbole millénaire dont le sens à été perverti par les nazis, puisqu’elle signifie par exemple l’éternité en Chine. Il faut également noter que le designer américain Sinjun Wessin a changé le sens de rotation de cette dernière et qu’elle n’est pas inclinée à 45° comme la croix gammée nazie. On peut pourtant se demander si c’est le rôle de la mode d’essayer d’infléchir le sens d’un symbole, et si tout simplement elle le peut.
La mode a toujours joué avec les signes, cela fait partie de son fond de commerce. Pour Jean-Michel Bertrand : « la mode est une industrie symbolique, c’est une grande prédatrice qui génère moins un univers symbolique qu’elle n’en phagocyte. Elle a besoin d’une pseudo transgression, elle flirte toujours avec le scandale. La mode est à la limite du bon et du mauvais goût, du décent et de l’indécent, du sexy et du non sexe. » Toutes les personnes interrogées s’accordent cependant sur le fait que la mode n’est pas dans son rôle lorsqu’elle reprend ce genre de symbole : « La mode peut détourner des symboles mais il y a des choses auxquelles elle ne doit pas toucher. Ce n’est pas par respect du religieux, mais la mode n’est pas le lieu pour prescrire ce genre de choses » affirme Marc Audibet, créateur, couturier et designer (Vionnet, Hermès, Prada…).
Une nuance, peut être, tient au contexte d’émission et de réception des ces symboles : « Peut-être qu’il y a moins d’ambigüité dans le monde asiatique », avance prudemment Jean-Michel Bertrand en rappelant que le symbole fait partie depuis longtemps, par exemple, de la culture hindoue. Pour la mode néo nazie asiatique découverte l’année dernière, le même argument d’aire culturelle a été avancé. Si une partie des jeunes s’habillent comme des SS, ce serait moins par volonté politique que par ignorance de l’histoire du XXème siècle. Le professeur tient également a rappeler que « le sens d’un symbole existe indépendamment de son utilisation par la mode. Si on reprend un symbole, c’est parce que son sens est déjà sédimenté. » Il ajoute : « La mode n’est pas assez forte pour donner du sens à un symbole. Quand elle réutilise un symbole, elle est dans une relation de dépendance. Elle n’a ni la force ni l’intérêt de le transformer. La mode est une grande opportuniste ! »
Lorsqu’on évoque le mauvais goût de ce genre de collection, Alexandre Samson, responsable de la création contemporaine au Palais Galliera, nuance : « Ce n’est pas du mauvais goût, je pense même que ça part d’un bon sentiment. Quand on voit le site, qui n’est pas punk ou néonazie, on voit bien que c’est gentillet, acidulé, kawai. » On peut se dire que cette collection est un joli coup de communication de la part du designer Sinjun Wessin, mais on se demande si ces fringues trouveront un jour leur public. Pour le créateur Marc Audibet, cette esthétique n’est que « le reflet de la confusion des genres qui est l’expression de notre époque », et serait moins une provocation qu’un symptôme à interroger.
Quentin Monville
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