La sublime actrice chinoise livre (un peu) les clés de sa relation avec Wong Kar-wai, de son travail et de son rapport au cinéma.
Dès qu’elle apparaît, on est en mesure de le confirmer : oui, Zhang Ziyi est aussi spectaculairement belle dans la vie que dans les films et sur les photos. Et aussi impeccablement vêtue, coiffée, maquillée, manucurée : une star, une image de papier glacé en train de s’incarner sous nos yeux. L’idée étant bien sûr de tenter de saisir l’être humain derrière l’icône du cinéma asiatique. Elle se prête au rituel de l’interview avec courtoisie, grâce et bonne volonté, mais aussi une parole très calibrée. Elle présente The Grandmaster, superproduction où Wong Kar-wai imprime sa sensibilité singulière au genre éprouvé de la fresque historique en costumes.
Dans ce deuxième film sous la baguette du maître hong-kongais (après 2046), Zhang Ziyi est l’héritière d’une école de kung-fu, rivale et amoureuse d’un certain Yip Man (Tony Leung). On se demande si cette guerrière romantique est inspirée de la réalité, à l’instar de Yip Man ?
« Mon personnage est fictif, précise-t-elle. Peut-être existait-il des femmes qui pratiquaient le kung-fu dans les années 40, mais si c’était le cas, c’était clandestin. Socialement, le kung-fu était réservé aux hommes. En Chine, certains hommes n’apprécient pas le film, mais la majorité des femmes l’adorent, notamment celles des classes moyennes urbaines. Je pense qu’elles se sont identifiées à ce personnage. »
Quand on lui suggère que The Grandmaster est peut-être féministe, elle réfute en souriant, comme si elle craignait de tenir un propos trop marqué, préférant souligner le côté masculin et déterminé de son personnage.
Elle confirme ce qu’on sait de la personnalité obsessionnelle de Wong Kar-wai, décrit sa compulsion à refaire les prises, ces constants changements d’angle de caméra, sa recherche sisyphienne de perfection, mais n’en fait pas pour autant un tyran des plateaux : « Il n’a pas un comportement autoritaire, il n’en a pas besoin parce qu’il est très respecté par toute l’équipe. »
On sonde l’actrice sur la mélancolie de Wong Kar-wai, qui raconte encore l’histoire de deux personnages passant à côté de leur amour faute d’oser l’exprimer. On lui demande si elle partage cette idée élégiaque qui consiste à ne pas vivre ce qui nous tend les bras.
« La femme que je joue avoue finalement ses sentiments parce qu’elle sait qu’elle va bientôt mourir. La déclaration d’amour est un adieu. Dans les films de Wong Kar-wai, il y a toujours cette dimension mélancolique, cette tristesse, ces amours secrètes et non vécues. C’est triste, mais c’est cela qui tourmente, et qui fait la particularité de son cinéma. C’est peut-être une leçon pour les spectateurs d’aujourd’hui : si on est amoureux, il faut le dire, ne pas avoir de regrets ! »
Zhang Ziyi a travaillé avec Wong Kar-wai, Ang Lee ou Zhang Yimou mais ne saurait expliquer les différences entre ces réalisateurs. Elle est plus diserte pour pointer ce qui sépare les cinéastes chinois de ses expériences hollywoodiennes. « Aux États-Unis, la relation entre acteurs et réalisateurs est purement professionnelle : c’est le travail, le travail, et rien d’autre. Alors qu’en Chine, il y a certes le travail, mais aussi un attachement amical. C’est pour cette dimension affective que j’aimerais retravailler avec Wong Kar-wai, Ang Lee et Zhang Yimou (des rumeurs lui ont prêté une relation amoureuse avec Yimou – ndlr). »
Apprentie danseuse quand elle était enfant et ado, Zhang Ziyi est venue au cinéma sur le tard et a vu peu de films dans sa jeunesse. Quand on s’enquiert des actrices ou acteurs qui l’ont marquée, lui donnant peut-être envie de se lancer sur leurs traces, elle sort le nom de Sophie Marceau – on ne sait trop si c’est par goût véritable ou pour solliciter de notre part une subliminale empathie tricolore. Parmi ses consoeurs et confrères actuels, elle cite aussi Johnny Depp, parce que « c’est un acteur fantastique qui peut tout jouer, mais il dégage aussi un charme personnel très fort ».
Son prochain film sera son premier sous la direction de John Woo, une grosse production spectaculaire située en 1949 pendant un naufrage entre Shanghai et Taiwan. « Ce sera la version chinoise de Titanic : un film qui mêlera catastrophe, histoire, amour… mais pas de kung-fu ! » Elle est belle, elle est charmante, elle est pro, Zhang, mais difficile d’aller trouver la fêlure, la singularité, l’aspérité derrière sa beauté et son sourire. Pudeur asiatique ou langue de bois de star internationale ? Grand mystère.