Ancien élève de l’école Ferrandi et passé par des grandes maisons comme le Pré Catelan ou le Ritz, Matthieu Roche, 26 ans, est chef du restaurant Semilla, qui tourne à plein régime depuis son ouverture il y a deux ans. Midi et soir, sept jours sur sept. « C’est Eric Trochon qui est venu me […]
Ancien élève de l’école Ferrandi et passé par des grandes maisons comme le Pré Catelan ou le Ritz, Matthieu Roche, 26 ans, est chef du restaurant Semilla, qui tourne à plein régime depuis son ouverture il y a deux ans. Midi et soir, sept jours sur sept.
« C’est Eric Trochon qui est venu me chercher pour le job. » Février 2012, « flying chef » à Singapour, Tokyo, Bangkok et MOF (Meilleur ouvrier de France) 2011, Eric Trochon, réquisitionné comme chef pour le Semilla, dans le VIe arrondissement de Paris, décide de confier cette mission à Matthieu Roche : jeune étoile montante de la gastronomie française. Né à Aix-en-Provence et bardé d’origines italiennes et maghrébines, sa grand-mère est sicilienne et sa mère est née en Algérie, le jeune homme baigne dans l’univers de la cuisine depuis toujours. « Chez moi on mangeait du couscous, des pâtes, mais aussi des petits farcis, beaucoup de légumes et la traditionnelle soupe au pistou » raconte-t-il.
Lors de son stage de troisième chez le chef étoilé Jean-Marc Banzo, Le clos de la violette, à Aix, il tombe amoureux du métier de cuisinier. « J’ai tout de suite accroché avec le chef et c’est lui qui me guide encore dans ma façon de faire de la cuisine aujourd’hui. » C’est d’ailleurs Banzo qui l’envoie faire le lycée hôtelier à Marseille. « J’ai touché un peu à tout : j’ai fait de la cuisine, de la salle, de la théorie. C’est là que j’ai appris toutes les bases. » Car c’est ça le plus important pour être un bon restaurateur, connaître toutes les facettes du métier. Pour lui, les clients viennent manger au restaurant mais ils viennent aussi passer un bon moment, apprécier le cadre et l’énergie qui se dégage.
De Ferrandi au Ritz
Encouragé par Banzo, devenu son mentor, il monte à Paris, intégrer l’école Ferrandi. « Au regard de ses qualités d’élève, je pensais qu’il fallait qu’il “shoote” haut, plus haut que l’apprentissage. » Il n’a pas 20 ans. Il fait ses premières armes au Ritz, pendant un an, auprès de Michel Roth. Les mots d’ordre sont cadre et discipline. « J’ai découvert un monde incroyable: très strict mais passionnant. J’ai tellement appris que j’ai senti que je passais un cap. » Après Ferrandi, il passe quatre ans au Pré Catelan, sous l’égide de Frédéric Anton, où il acquiert encore en technique, en méthode et en organisation. Il peaufine son style et affûte ses couteaux, dans l’espoir de devenir bientôt chef.
Team cuisine et Tribe Called Quest
Aujourd’hui, Mathieu Roche mène sa barque comme un vrai chef d’entreprise. Il passe son temps au téléphone avec sa bande de fournisseurs. « J’ai un petit producteur pour la poularde, un autre pour le cochon, un pêcheur, plusieurs poissonniers, un ramasseur d’herbes et je leur fais totalement confiance. » Il multiplie le sources d’approvisionnement en matières premières pour s’assurer d’une qualité irréprochable, quitte à se compliquer la vie. Lorsqu’il n’est pas au téléphone, le chef s’immisce dans l’ambiance hip-hop de la cuisine avant le service pour élaborer la carte du lendemain avec ses jeunes coéquipiers. En fond sonore, des tracks de Tribe Called Quest, A$AP Rocky ou Gramatik annoncent la couleur ou plutôt l’état d’esprit un tantinet rebelle mais non moins sérieux du Sémilla.
Dans cette brigade de cinq filles et cinq garçons, entre 20 et 26 ans, tout le monde met la main à la pâte pour créer un menu original et qui colle avec la formule du midi à 24 euros : un trio d’entrées (généralement un velouté, un croustillant et une autre entrée) et un plat au choix entre viande, poisson ou veggie. Chacun est libre de mettre son grain de sel, dans tous les sens du terme. « Mon but c’est que tous les membres de la team cuisine se sentent impliqués car lorsqu’ils se sentent concernés, ils mettent de l’amour dans ce qu’il font. Les client le sentent, ils nous le disent ensuite. »
Amour, soleil et tempérament
Matthieu met un point d’honneur à fournir une cuisine généreuse, avec une touche méditerranéenne qui fait écho à ses origines. L’enjeu, c’est aussi d’accentuer le côté gourmand, pour plaire à tout le monde. Car la clientèle du Semilla est très éclectique. « Le midi, c’est surtout les vieux habitués du quartier qui viennent déjeuner, moyenne d’âge entre 40 et 60 ans. Mais le soir, c’est différent, il y a aussi bien des touristes américains et japonais que des jeunes et des bobos. » Quoi qu’il arrive, le restaurant – qui peut accueillir jusqu’à 150 couverts – est systématiquement plein et l’équipe en cuisine dans le jus. D’où l’organisation millimétrée orchestrée par le chef : chacun a un rôle précis, du dépeçage des carcasses de gibier au “désarrêtage” des poissons, en passant par la fabrication des veloutés et crèmes salées.
Mathieu supervise le tout, sans presque jamais perdre son calme. « Il lui arrive de s’énerver, raconte Violette Sart, la très jeune pâtissière (21 ans), qui a participé à l’ouverture du restaurant en 2012. D’ailleurs au début, c’était un peu électrique entre nous car il a un fort tempérament et moi aussi. Heureusement, il a une grande capacité à prendre du recul et à faire preuve de diplomatie, et c’est grâce à ça que ça roule en cuisine! » Obstiné mais pragmatique, Matthieu, qui a pratiqué le judo pendant plus de dix ans, sait très bien mener ses combats et s’affirmer. Le fait qu’il n’y ait pas de bordeaux à la carte des vins par exemple est un choix délibéré. « Plus ça va et plus les gens boivent des noms, plutôt qu’un vin. Nous on cherche de la qualité, on préfère servir un vin plutôt qu’un nom », martèle-t-il.
Casser les codes ?
Depuis quelques années, la culture « food » est en pleine ébullition, accaparée par la nouvelle génération, armée d’idées nouvelles et de concepts. Il ne se passe pas une semaine sans qu’un énième bistrot ouvre ses portes ou que ne soit découvert un nouveau chef, jeune, branché, tatoué et barbu de préférence, à l’instar de Gontran Cherrier, le « Cyril Lignac de la boulangerie », 35 ans, égérie de l’émission La Meilleure Boulangerie de France sur M6 ou Bertrand Grébaut, chef du Septime, 32 ans, ancien graphiste et grapheur.
Matthieu Roche a indéniablement sa place dans cette nouvelle vague, qui bouscule les styles et les méthodes des vieux briscards de la french food. Il est d’ailleurs le premier à revendiquer cette évolution générationnelle : « Il fallait que ça bouge. Ca ne pouvait plus continuer comme ça, avec les anciens qui occupent les meilleures places. » Néanmoins, il est difficile de parler d’une déconstruction totale au regard de la reproduction des codes de pouvoir qui s’opère dans la cusisine : il y a toujours un chef et des exécutants. Le mode de fonctionnement institutionnel perdure mais il se modernise. Moins à la dure, plus à la cool.
« On est pas obligés d’être cons »
L’ambiance décontractée qui règne en cuisine, c’est aussi ça la nouvelle génération. « On est pas obligés d’être cons et d’obéir à la rigueur des grands restos ou des palaces où les employés répondent “oui, chef !”. » Dans la team de Matthieu, chacun est déjà passé par une grande maison, tout le monde sait ce que c’est que le sérieux et la rigueur. Une fois qu’il respectent cette rigueur, ça roule. « On n’est pas à l’armée, comme dans certains grands établissements où tout se déroule selon une hiérarchie bien précise avec des chefs, des seconds, des chefs de partie et des commis, tous subordonnés les uns aux autres”, explique Mathieu. Ici, c’est la cuisine qui met du son mais c’est la salle qui donne le tempo. Le soir, pendant le coup de feu, une énergie folle se dégage entre les deux, comme un spectacle.
Semilla bis
Lorsqu’on lui demande quels sont ses projets pour la suite, Matthieu Roche dégaine du tac au tac: « Ouvrir un autre restaurant juste à côté. Une sorte de Semilla bis mais en plus simple, moins gastro, plus bistrot. » L’ouverture est prévue pour cet hiver et tout semble déjà réglé comme du papier à musique: un grand bar, une cuisine centrale, une carte épurée, que des petites assiettes pour des petites pièces. Seul le nom reste à trouver. Pour le chef et son équipe, c’est une pierre deux coups. L’ouverture d’un Semilla bis va leur permettre de dégager plus de place en cuisine et de désengorger le bar le soir. « On y enverra les gens qui attendent au bar. Et désormais, quand je commencerai un cochon ici, je garderai l’échine, le carré, les grosses pièce pour ici et j’enverrai le reste à côté pour des plats plus simples. »