Rencontre avec Raphaël Nadjari, auteur d’un film modeste et philosophe autour de la croyance et du deuil.
Rencontrer Raphaël Nadjari, c’est prolonger par la parole la réflexion induite par ses films, c’est adopter une position modeste, ouverte, philosophique par rapport à certaines grandes questions qui se posent aux hommes. A partir de la disparition d’un père, des différentes façons dont réagissent la mère et les deux fils, Tehilim parle des notions à géométrie variable de bien et de mal, des différentes formes que peut prendre la croyance. “On voulait parvenir au symbolique mais en partant de l’intime, explique Nadjari. Notre moyen d’y arriver a été la disparition du père : ça nous a permis une réflexion sur l’espoir, la croyance, par un autre biais que la sociologie ou l’actualité.” La croyance, vaste thème qui semble omniprésent, avec le retour du religieux et les tensions communautaires. Mais Raphaël Nadjari prend soin d’éviter de coller de trop près à l’actualité, se méfie des raccourcis d’un cinéma idéologique ou sociologique : “J’ai préféré ouvrir sur le conte moderne. S’il faut des références, mes sources sont plutôt chez Kafka ou Saul Bellow. Je pars du très singulier pour tenter d’aller vers l’universel.” Quand on dit à Raphaël Nadjari qu’il pratique un cinéma philosophique, parce qu’il est fait de questionnement, d’incertitudes, parce que c’est un cinéma tremblé, fragile, qui laisse beaucoup d’espace à investir pour le spectateur, il répond qu’il essaie avant tout de rester dans le concret, dans le prosaïsme, et il espère qu’à partir de là le spectateur investira le film et réfléchira. “Tehilim est un film de questions et pas de réponses, parce que je n’ai pas les réponses. J’aimerais bien les avoir. Il faut repasser par l’humain, par le quotidien, par la simplicité. Il faudrait arrêter de catégoriser, de systématiser. Le questionnement permet un dialogue.” Il énonce aussi cette belle intuition, en ces temps d’efficacité et de rentabilité dans tous les domaines, y compris celui de la fiction : “La force d’un plan, c’est parfois de lâcher, pas tout le temps de tenir.” Quand on entend parler Raphaël Nadjari, ou quand on voit ses films, on sent qu’il est imprégné d’une éducation pétrie d’éthique et de dialectique juives. Descendant de juifs d’Egypte et de Salonique, le cinéaste a grandi à Marseille. Ces dix dernières années, il a vécu sept ans à New York et, depuis trois ans, partage sa vie entre Paris et Tel Aviv. Nadjari présente la grande particularité d’être un cinéaste français qui n’a fait des films qu’à New York et en Israël : “J’ai fait un jour un travail sur la nationalisation des films par l’arrivée du parlant. Charlot n’avait pas de langue, il avait un corps, un esprit, ça parlait à tout le monde dans le monde entier. Le cinéma n’a pas été pensé en termes de nationalisme mais d’internationalisation. Je ne sais pas ce que c’est qu’une nationalité pour un film.” Evidemment, choisir de faire des films israéliens en Israël n’est pas indifférent à une époque où l’image du pays est désastreuse, où il arrive que l’on déprogramme des films israéliens (comme aux Etats généraux du film documentaire à Lussas), douteux “privilège” dont ne bénéficie aucun autre pays, aucun autre régime politique. Mais là encore, Nadjari répond en cinéaste, non pas en consommateur d’actualité : “Je n’ai absolument pas à l’idée de donner une autre image d’Israël. Je ne vends pas d’image. Je cherche juste à retrouver une dimension éthique en essayant d’écouter ce qui se passe entre les gens. Si mes films font sens, alors la réflexion continue d’avancer. Mais je ne suis pas là pour produire une image de remplacement. Je ne vais pas avoir la prétention de représenter quoi que ce soit, j’ai déjà assez de mal à représenter ma personne ! Ce n’est pas mon métier de véhiculer des images, de la propagande.” Dans un monde gangrené par les médias, le bombardement d’infos et d’événements, les fausses certitudes et la propagande, la modestie interrogative et incertaine de Raphaël Nadjari et de ses films fait du bien, leur fragilité est une force.
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