A quelques semaines de la sortie de son nouveau livre The architecture of sense and taste, Guillaume Sanchez est l’un des pâtissiers français les plus talentueux de sa génération. Il revient avec nous sur son parcours et sur la cuisine, à l’heure de l’hypermédiatisation. 9h du matin, trench coat beige, slim noir, boots en cuir et casque de scooter à […]
A quelques semaines de la sortie de son nouveau livre The architecture of sense and taste, Guillaume Sanchez est l’un des pâtissiers français les plus talentueux de sa génération. Il revient avec nous sur son parcours et sur la cuisine, à l’heure de l’hypermédiatisation.
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9h du matin, trench coat beige, slim noir, boots en cuir et casque de scooter à la main. Chic et rock, Guillaume Sanchez en est déjà à son deuxième rendez-vous. A seulement 24 ans, c’est un homme d’affaire : consultant pâtisserie pour des grands palaces, gérant de l’Atelier noir (manufacture sucrée et laboratoire de création dans le 18e arrondissement), il donne aussi des cours de pâtisserie, participe à des émissions culinaires (Qui sera le prochain grand pâtissier? sur France 2) et écrit des livres.
Partir à l’usine
Après six années chez les Compagnons du devoir, Guillaume Sanchez commence à travailler. Il sourit et raconte: « Quand j’ai découvert la pâtisserie, il s’est passé un truc marrant : tout me paraissait normal et logique ». Il passe très vite par des grandes maisons comme Ladurée, Dalloyau, Fauchon et par des plus petites. C’est là qu’il apprend le plus. « Dans les petites maison, j’étais quasiment aux manettes, j’avais des responsabilités. Alors que chez Ladurée, chaque matin, j’avais l’impression de partir à l’usine ». En 2010, il ouvre l’Horror Picture Tea, un salon de thé rock éphémère avec studio de tatouage au sous-sol. Cette épisode, dont il parle, avec du recul comme d’un « joyeux bordel » lui permettait d’allier plusieurs passions : la pâtisserie, le rock et le tatouage. L’aventure ne dure pas longtemps et l’HPT ferme ses portes en 2012.
« J’ai des gros blocages psychologiques »
Bouillon de créativité (il crée une dizaine de gâteaux par jour) Sanchez se lance ensuite dans le consulting en pâtisserie auprès de grands palaces, en France et à l’étranger (Londres, Autriche, Maastricht). « C’est comme du consulting en entreprise sauf que c’est avec des gâteaux. Je les conseille sur leur carte, je leur donne des idées ». Il ouvre en 2013 son propre laboratoire, L’Atelier noir, rue Muller, dans le 18earrondissement. « Manufacture sucrée & espace de création tourné vers le goût » peut-on lire sur la home page du site. Cet dans cet espace qu’il passe la plupart de son temps, pour y donner des cours, faire des expériences et laisser le champ libre à son imagination. La carte des cocktails et des pâtisseries servis au Blue Club (désormais Blue Note), le bar club branché de la rue Muller? C’est aussi lui.
Pourquoi avoir appelé cet espace l’Atelier noir ? Un brin obsessionnel, Guillaume Sanchez a fait de cette couleur sa marque de fabrique. Tout est noir chez lui, des murs de l’Atelier aux pâtisseries qu’il crée, en passant par ses fringues et même sa moustache. Pas avare sur l’auto-dérision, il explique : « J’ai des gros blocages psychologiques. Par exemple, je suis resté sur la forme ronde pendant un an. Tout ce que je créais était rond. Depuis trois ans, je suis bloqué dans le monochrome black ».
ll parle de cycles créatifs et emploie les mots « zinzin » et « dingo », comme si les lubies faisaient systématiquement partie de son processus créatif. Il n’empêche, il est l’un des premiers à s’être lancé dans le monochrome culinaire. Avant lui, la pâtisserie en total look black, ça n’existait pas. Et de préciser : « Je me suis aperçu que toutes les choses élégantes sont noires. Le noir c’est classieux. Et en pâtisserie, ça rend hyper bien aussi ! ».
Médiatisation versus talent
Lorsqu’il parle de son métier et revient sa carrière, tout semble s’être passé de manière linéaire, sans embûches. Alors quand on lui demande son avis sur tout le ramdam autour de la violence en cuisine, il prend un air affligé. Pour lui, « la violence en cuisine c’est vieux comme le monde ! Il ne faut pas oublier que ce n’est pas un métier de faibles, c’est un métier dur, qui ressemble beaucoup à l’armée. »
Il estime que la surmédiatisation de la cuisine s’essouffle et « pousse alors les médias à déterrer des thèmes chocs et vendeurs ». Pourtant, depuis quelques semaines, les vieilles casseroles ressortent, remplies d’anecdotes frissonnantes de brimades verbales et physiques vécues par des commis, des apprentis ou des femmes dans les cuisines des grands et petits restaurants. A commencer par le récent épisode du Pré Catelan (où un apprenti a été volontairement brûlé sur les bras par un chef de partie) qui a brisé l’omerta.
D’après Sanchez, c’est « la politique du chiffre et du buzz » qui pousse la presse à s’enticher davantage de personnalités médiatiques que de talents. Or, pour lui, médiatisation ne rime pas toujours avec talent. Il s’indigne : « Je connais mille mecs qui sont bien meilleurs que ceux qui sont connus » et poursuit: « La preuve, une heure passée à répondre aux questions des journalistes, même si c’est positif pour mon image, c’est une heure perdue en laboratoire à créer. Aujourd’hui les gens passent plus de temps à taper leur nom sur Google plutôt que d’aller à une expo d’art pour trouver des idées ».
Joug de l’Etat islamique
Des idées, il en a par centaines et des projets aussi. Comme son nouveau livre, sorti cette semaine: The architecture of sens and taste.
©Brice Portolano
Ce livre retrace son périple de deux mois dans les Balkans l’été dernier. « Je suis parti avec un pote photographe, Brice Portolano, faire un road trip. J’avais besoin de trouver de l’inspiration de cultures différentes de la nôtre ». L’une des leçons qu’il tire de ce grand voyage : « lorsqu’un pays va mal et que ses valeurs sont en crise, ce qui résiste toujours c’est la bouffe ».
Sanchez et Portolano échangent beaucoup avec les locaux sur la globalisation, sur le rejet de l’UE ou encore sur la question de l’indépendance de la partie Kurde de la Turquie, en dépit du joug de l’Etat islamique. Pendant un mois et demi, les deux acolytes parcourent Grèce, Macédoine, Kurdistan, Serbie, Croatie, Roumanie, Ukraine, Slovénie, Slovaquie…. »J’ai trouvé plein de nouvelles idées, mon carnet était rempli, on a tout mis dans une assiette puis on a shooté ».
Le jeune pâtissier est plein de paradoxes. Il veut sortir du cadre, faire de la pâtisserie noire, écrire des livres atypiques, ne pas copiner avec les autres pâtissiers et pourtant, il participe à des émissions de télé et donne régulièrement des interviews dans la presse. L’histoire de Guillaume Sanchez c’est l’histoire de celui qui ne veut pas être mainstream mais qui finalement est plus mainstream que le mainstream. Visiblement, il le vit bien!
The architecture of sense and taste, Hardcover, 2014
Mathilde Samama
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