Les invités de Sunny Suits Basée à Paris, la photographe américaine Sunny Suits signe des clichés à l’intimité fiévreuse : après avoir flâné dans les rues de la capitale aux côtés de l’écrivain-dramaturge Ariel Kenig, du danseur Axel Ibot, ou de l’icone Leslie Winer, elle pose cette fois son regard sur l’écrivain et dramaturge marocain […]
Les invités de Sunny Suits
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Basée à Paris, la photographe américaine Sunny Suits signe des clichés à l’intimité fiévreuse : après avoir flâné dans les rues de la capitale aux côtés de l’écrivain-dramaturge Ariel Kenig, du danseur Axel Ibot, ou de l’icone Leslie Winer, elle pose cette fois son regard sur l’écrivain et dramaturge marocain Abdellah Taïa, dont le nouveau roman sort le 8 janvier.
Abdellah Taïa est un héros. L’écrivain et réalisateur aide à changer le discours sur l’homosexualité au Maroc, et peut-être même, à changer ailleurs le regard porté sur les Arabes. Son talent singulier lui donne une place unique dans le paysage culturel, traversant avec grâce et courage la ligne entre l’artiste et l’activiste.
Sa force tenace et sa générosité nous ont donné une vue privilégiée sur son voyage. Nous le suivons à travers ses désirs, passions, rêves et luttes, du Maroc à la France, de la Suisse à L’Egypte. A l’occasion de la sortie de son 7ème roman, Un Pays Pour Mourir (www.seuil.com) le 8 janvier et de la diffusion en 2015 aux Etats-Unis de son film L’armée du Salut, adapté de son roman du même nom, il a accepté de nous parler de sa participation à l’édition 2014 de la Biennale du Whitney Museum, de Saint Genet, des politiques post Printemps Arabe.
Paris a connu un Automne marocain. Comment avez-vous trouvé cet événement culturel jusqu’à maintenant?
J’ai beaucoup aimé l’exposition « le Maroc contemporain » à l’Institut du Monde Arabe. Et j’ai adoré « Zu », la nouvelle pièce de l’extraordinaire chorégraphe Bouchra Ouizguen. J’ai énormément d’admiration et d’amour pour cette femme avec qui j’ai dansé en 2012. Nous avons créé ensemble un duo, « Karantika ». Nous l’avons présenté à Bruxelles, Charlerois, Casablanca.
Le DVD de votre film L’Armée du Salut vient juste de sortir. Un des bonus concerne la tombe de Jean Genet à Larache, au nord du Maroc. Genet avait une loyauté féroce, personnellement et politiquement, envers le Maroc, l’Afrique du Nord et le Moyen Orient. Pouvez-vous nous parler de ce court-métrage, ainsi que de la conférence que vous avez donnée récemment dans le cadre d’Un Automne marocain à Paris?
En mai 2008, je suis allé à Larache pour rendre visite à la tombe de Jean Genet. Pour la première fois. J’avais ramené avec moi ma caméra. Dès que j’ai mis les pieds dans cette ville, j’ai ressenti un besoin urgent de filmer, enregistrer, capturer des images dans ce chemin vers cette tombe « sacrée ». Et c’est ce que j’ai fait. J’ai réalisé ainsi, tout seul, ma première oeuvre de cinéma qui mélange tout ce que je suis dans cette vie: les origines pauvres, l’homosexualité, le désir de nudité absolue, le besoin de crier et de s’offrir à quelqu’un, un saint. Jean Genet est en train de devenir un saint au Maroc, d’une manière mystérieuse, fascinante, magique. Il n’est pas célébré là-bas pour ces livres mais pour les souvenirs qu’il a laissés dans les mémoires des gens simples, les pauvres. C’est ma mère, femme analphabète, qui m’a parlé dans les années 80 de Jean Genet… J’aime cela… J’aime que l’écrivain sorte des frontières de la littérature et soit au coeur de la vie de tout le monde… Un écrivain ne doit surtout pas être la propriété des spécialistes et de ceux qui estiment comprendre les livres mieux que les autres.
Vous êtes une figure clé du changement de perception et de la libération de l’homosexualité au Maroc. Une sorte de libération se produit-elle vraiment? Qui d’autre, diriez-vous, aide le mouvement?
Ce qui a réellement changé au Maroc sur la question de l’homosexualité c’est le regard des médias qui, maintenant, la traite de manière objective. C’est déjà énorme. Mais pas du tout suffisant. Car on continue de mépriser les homosexuels au Maroc, de les tuer à petit feu. L’homosexualité est toujours considérée comme un crime aux yeux de la loi. Et, selon un sondage récent, 83 % des marocains se déclarent sans honte homophobes. La situation est donc toujours dangereuse, triste, pour les homosexuels marocains. Bien sûr, au quotidien, le Marocain est habitué à jongler avec les interdits et les différents niveaux d’hypocrisie et à voler des instants de liberté. Mais jusqu’à quand le pouvoir marocain continuera-t-il à briser l’individu (homosexuel comme hétérosexuel) dans ce pays, sans cesse le brimer et lui imposer un silence terrifiant? On est quand même au 21ème siècle…
Vous avez dit que le « Maroc intellectuel » était resté silencieux après votre coming-out public, que vous n’aviez eu aucun soutien. Cela a-t-il changé?
Ce sont surtout les journalistes marocains qui m’ont soutenu. Pour les autres, je n’étais qu’un « petit pédé » qui voulait devenir célèbre en affichant son homosexualité, en scandalisant le Maroc. Il m’a fallu prouver le contraire. Imposer une voix digne. Un « je » libre malgré les autres. Et ce n’est pas fini. Je continue de le faire. Seul… Il y a trois ans, des jeunes homosexuels marocains ont créé une revue mensuelle gay en arabe merveilleuse et très importante: « Aswat ». On peut la lire sur Internet. J’ai énormément de respect pour eux et pour leur courage. En mai dernier, ils ont publié une vidéo où l’on voit des professeurs et des intellectuels marocains soutenir la cause homosexuelle à l’occasion de la Journée Mondiale contre l’homophobie. C’est une première.
Arabs Are No Longer Afraid (Semiotext(e)) vient juste d’être publié aux Etats-Unis. De quoi s’agit-il?
Ce livre faisait partie de la Biennale 2014 du Whitney Museum. Il était exposé dans la section réservée à mon éditeur américain, Semiotext(e). On peut y lire, traduits en anglais, tous les textes politiques que j’ai publiés depuis 2006 (dans « Le Monde », « The Guardian », « The New York Times », etc.) sur des thèmes comme le postcolonialisme, le Printemps arabe, l’homosexualité, la jeune artiste égyptienne révolutionnaire Aliaa Magda Elmahdy, le 20 Février…
Comment vous sentez-vous par rapport au climat actuel, politique et social, du Maroc et du monde arabe?
On entend de plus en plus l’expression « Automne Arabe » pour décrire ce qui se passe en ce moment dans le monde arabe. On se félicite au Maroc de ne pas avoir connu de troubles politiques majeurs durant cette période. On ré-active des discours anciens: la peur de l’islamisme. On met les Arabes devant ce choix terrifiant: soit le pouvoir autoritaire ou bien l’islamisme comme en Egypte. Soit la paix comme au Maroc ou la destruction d’un pays comme en Syrie… Les Arabes ne méritent pas qu’on les enterre de nouveau après qu’ils ont trouvé la force nécessaire pour se soulever contre les dictatures, sortir dans les rues, dès la fin 2010, pour réclamer la justice, la dignité, la démocratie. Ils ont fait tout cela sans le soutien du monde occidental. Ils avaient atteint une maturité politique, historique, culturelle. Ils avaient compris la nécessité de mener le combat contre ceux qui les opprimaient réellement: les classes dirigeantes. Ils avaient réussi à dépasser La Peur… Pour moi, il s’agit là d’un basculement historique. Malgré les complications et les tragédies d’aujourd’hui, les Arabes ont compris ce qu’ils doivent faire. Pour moi, ils ne reviendront pas en arrière. C’est impossible. Impossible. Ils savent maintenant qui est le véritable ennemi. L’espoir n’est pas complètement mort dans le coeur des Arabes. J’en suis convaincu.
Vous avez été invité récemment à participer aux Ecrivains entre Cultures à Beyrouth. Comment trouvez-vous Beyrouth?
J’ai été surtout marqué par deux quartiers incroyablement vivants, chaotiques, fascinants: Borj Hammoud, le quartier des Arméniens, et Dahiya, l’immense et vertigineux quartier des Chiites. J’ai très envie d’y retourner et de filmer. Filmer. Filmer la vie là-bas. La vie dans une intensité folle, dangereuse, explosive. La vie où tout se mélange, où les frontières bougent sans cesse.
Votre prochain roman Un pays pour mourir sort le 8 janvier 2015. Pouvez-vous nous parler un peu de l’histoire?
C’est un roman sur le post-colonialisme. Il se passé en 2010, à Paris. Il a pour héroïne Zahira, une prostituée marocaine en fin de carrière à Barbès. Autour d’elle, il y a Aziz qui veut changer de sexe, Mojtaba, un Iranien en fuite, Zineb qui rêve de devenir actrice… Il s’agit de voix qui parlent, qui crient, qui imposent directement dans le récit leurs vertiges. Des êtres qui vivent au coeur de la France, qui participent à la vie, à l’économie et à la sexualité françaises mais qui demeurent pourtant invisibles, déconsidérés. Entre plusieurs frontières, ils sont enfermés dans des rêves romantiques et impossibles. Ils n’ont pas peur mais une fatalité, celle du monde d’aujourd’hui, pèse sur eux. Seule la mort les libérera peut-être. C’est un livre violent, triste et politique. La France est-elle ce pays évoqué dans le titre? Le lecteur se fera de lui-même sa propre idée. C’est un livre que je porte en moi depuis 1999.
Sur quoi travaillez-vous en ce moment?
Pour le prochain numéro du magazine français « Numéro », je suis en train d’écrire un texte sur l’éjaculation masculine.
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