A propos des Straub et de leur cinéma courent plusieurs mauvaises légendes : élitisme, intellectualisme, absence de public… Un livre magnifique de Philippe Lafosse vient dynamiter ces paresseuses idées reçues. Les titre et sous-titre de l’ouvrage donnent le ton : L’Etrange Cas de madame Huillet et monsieur Straub – Comédie policière avec Danièle Huillet, Jean-Marie […]
A propos des Straub et de leur cinéma courent plusieurs mauvaises légendes : élitisme, intellectualisme, absence de public… Un livre magnifique de Philippe Lafosse vient dynamiter ces paresseuses idées reçues. Les titre et sous-titre de l’ouvrage donnent le ton : L’Etrange Cas de madame Huillet et monsieur Straub – Comédie policière avec Danièle Huillet, Jean-Marie Straub et le public. Vous pensiez qu’un livre sur les Straub serait théorie absconse et “prise de tête” ? Vous n’y êtes pas. L’Etrange Cas… est constitué d’une série de débats ayant suivi une semaine de projections de leurs films au cinéma Jean Vigo de Nice, puis aux Trois-Luxembourg à Paris. Tous les échanges sont menés par Philippe Lafosse, remarquable passeur straubien, parfois avec des intervenants (Hervé Joubert-Laurencin, Jacques Rancière, Paul Sztulman), parfois en présence des Straub, toujours avec le public. Ce faisant, l’auteur accomplit un livre straubien, fondé sur l’oralité. Il passionnera les straubiens mais, plus important, il montre en actes et en paroles que les Straub, c’est pour tout le monde. Car ces échanges rappellent combien la parole des Straub est simple et claire. Ce ne sont pas des intellos pontifiants mais des terriens, des paysans, des artisans du cinéma qui appellent un chat un chat, rejettent la posture artistique et l’ego. Les Straub livrent ici sans chichis compliqués leur vision du réalisme, du naturalisme, expliquent leurs options esthétiques, leur rapport au texte, mais surtout, ils discutent d’égal à égal avec les spectateurs, plaisantent, digressent, les engueulent : pas de langue de bois, pas de fausses politesses, mais un échange toujours basé sur une exigence de vérité et de simplicité, une franchise rocailleuse. Ah, ça change ! On n’est pas habitué à ce que des cinéastes conseillent à leur public d’aller se promener pendant un de leurs films. Ce qui est beau dans ce livre, parfois même bouleversant, ce sont aussi les interventions des spectateurs. Entre ceux qui sont émerveillés par leur découverte du cinéma des Straub, ceux qui sont intéressés mais déstabilisés, et ceux qui osent la confrontation, on assiste à une formidable circulation de parole, un concentré de démocratie idéale, où idées et pensées avancent, y compris au risque des frictions, confirmant avec éclat que les Straub ne sont pas aimés seulement par les universitaires ou les critiques pointus. Un tel livre, à la fois élevé et modeste, exigeant et accessible, bourré de vie et de sentiments, se lit à la fois comme une excroissance féconde du cinéma des Straub et le plus bel et vibrant hommage qui pouvait leur être rendu. C’est aussi un beau viatique pour tous ceux qui aspirent à un cinéma et à des échanges humains non faisandés.