Réhabilités par MGMT, l’Anglais Dean Treacy et ses Television Personalities creusent depuis plus de trente ans le même sillon en zigzag : un psychédélisme de plus en plus sombre.
Des statistiques de l’Insee prouvent l’effondrement de l’attribution du prénom Daniel en France ces trente dernières années. Mais qu’on se rassure : dans le rock maboul, givré, toqué, cinglé, brindezingue, louftingue, le prénom demeure une valeur très sûre, grâce à deux hommes qui font beaucoup pour le rendre synonyme de folie douce mais inquiétante. Daniel Johnston aux Etats-Unis et Daniel Treacy en Angletere.
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Depuis plus de trente ans, et les premiers soubresauts punks qu’il traitait déjà, à 16 ans, avec son ironie carnassière sur le génial single Part Time Punks, Dan Treacy et ses Television Personalities sont sans doute l’un des trésors les mieux cachés de la pop anglaise. Il est devenu au fil du temps un authentique objet de culte chez ses pairs : sans lui, Alan McGee, qui ne manque jamais une occasion de rendre hommage à son mentor azimuté, n’aurait jamais démarré son label Creation Records. Des artistes comme The Jesus And Mary Chain, Kurt Cobain ou My Bloody Valentine n’auraient jamais maltraité leurs guitares.
Dan Treacy a même récemment reçu un hommage inattendu : une chanson à son nom, en réhabilitation tardive, sur le second album des Américains de MGMT. Pourtant, durant des années, Dan Treacy avait totalement disparu, un comble pour un songwriter à la discographie si riche et éparpillée. Les rumeurs annonçaient tout et son contraire : mort d’overdose ou très riche et composant, dans l’ombre, les paroles des Arctic Monkeys. La réalité était ailleurs : le frêle Londonien était en prison pour commerces douteux, le corps et le cerveau démolis par les drogues. Pour faire taire les rumeurs, il avait écrit une lettre, drôle et bouleversante, racontant à quel point « la musique, mais pas son industrie, (lui) manquait cruellement… Je n’ai même plus de guitare, encore moins d’ampli… »
A Memory Is Better Than Nothing est son second album depuis sa libération, mais de sa propre prison, Treacy n’est jamais vraiment sorti : « Dans ma tête, j’ai 17 ans », écrivait-il depuis sa cellule. Ce qu’il chantait, il y a plus de vingt ans, sur le merveilleux Jackanory Stories : « Now we’re up to page nineteen and it looks like the Indians will win/But just like life there’s a good beginning but there is no middle/So you may as well skip to the end. » (« On est page 19 et je crois que les Indiens vont gagner/ Mais c’est comme la vie : un bon début, puis rien ensuite. Vous pouvez donc sauter les pages et aller directement à la fin. ») Parolier caustique et mélodiste excentrique, Dan Treacy fut souvent considéré, au début des 80’s, comme le joyeux drille de la pop anglaise, un stand-up comedian raillant Londres, les punks, les mods ou Thatcher sur fond de guitares désaccordées et de psychédélisme primitif. Ceux qui le connaissaient mesuraient pourtant déjà le nihilisme de ce clown triste et émouvant à pleurer, prisonnier de sa voix et de sa carcasse d’éternel enfant. Ni pose, ni distance, aucun chiqué : Treacy fait partie des personnages épinglés avec férocité par ses propres chansons. Il est ses chansons : malade, absurde, vicié et narquois. Génial aussi par intermittence : écouter, par exemple, le sublime She’s My Yoko, la chanson distanciée derrière laquelle les frères Gallagher galopent depuis plus de quinze ans.
Sur la pochette de cet énième et souvent bouleversant album de pop délavée, acide, on retrouve un coffre à jouets dont la moitié sont défoncés, détournés. Encore et toujours ce mélange fascinant d’enfance et de cruauté, de drôlerie et de dinguerie. Il faudra malheureusement attendre sa mort pour qu’un véritable hommage soit rendu à l’un des songwriters anglais les plus importants de ces trente-cinq dernières années.
Dans sa lettre envoyée de prison, il terminait ainsi : « Bon Dieu, Pete Doherty fait trois semaines de tôle (…) et ça y est, c’est le nouveau Johnny Cash. Moi, après ce que j’ai vécu, je suis au moins le nouveau James Brown, le nouvel Arthur Lee, le nouveau Brian Wilson. Même les trois en un seul homme ! » Il n’est bien entendu pas le fils caché d’une partouze entre ces trois-là. Mais il est un descendant très direct, tombé sur la tête, de Syd Barrett. « I Know Where Syd Barrett Lives », chantonnait-il sur un single d’anthologie. Qui disait aussi : « Il a été très connu mais aujourd’hui, personne ne sait s’il est mort ou vif. Mais je sais où il vit, dans une petite hutte. » On sait où habite Dan Treacy.
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