Films porno, magazines féminins, publicités, clips: alors que la pratique était encore méconnue dans les années 70, l’éjaculation faciale est aujourd’hui partout.
Cela fait seulement quelques mois que Tania, 24 ans, pratique l’éjaculation faciale avec son copain. La pratique ne l’avait jamais attirée. Pourtant au fil des années, elle entend ses copines en parler, en voit dans des films pornos et “commence à comprendre que les mecs kiffent ça. Je me suis demandée si j’en étais capable, la réponse était non, alors même que je n’avais jamais tenté”. L’idée de soumission lui fait “un peu peur”. Lorsqu’elle rencontre son copain il y a 6 mois en qui elle a une “confiance aveugle”, elle a envie d’essayer: “Au bout de 2 ou 3 fois, je me suis surprise à aimer ça. Se faire éjaculer dessus, c’est un peu se faire dominer. Je l’accepte parce que ça m’excite et qu’à plein d’autres moment, c’est moi qui domine”.
Historiquement, la pratique de l’éjaculation faciale ne coule pas de source: “Il n’y en a pas sur les murs de Pompéi alors qu’on y trouve des représentations de godemichés et de godes ceinture, explique la sexothérapeute Nathalie Giraud-Desforges. Ni dans le Kama Sutra, ni dans les écrits chinois, particulièrement raffinés dans l’art des plaisirs de la chair et alors qu’ils parlaient de l’orgasme en détail, notamment des femmes fontaines”. Cela ne veut pas dire qu’elle n’existait pas mais elle ne faisait pas partie de la norme. Les premiers écrits qui l’évoquent sont ceux du Marquis de Sade, qui décrit de nombreuses pratiques longtemps passées sous silence. “La pratique est devenue courante lorsqu’elle a été montrée” affirme la sexothérapeute.
Une pratique pornographique
C’est ici qu’intervient la pornographie. Pour Antonio Dominguez Leiva, auteur de l’Esthétique de l’éjaculation et professeur en culture populaire à l’UQAM: “C’est une pratique institutionnalisée par la pornographie hardcore qui a pris son envol dans les années 70. Elle s’opposait au softcore qui ne montrait jusque là que des actes sexuels simulés.”
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Conjuguant la jouissance masculine au visage de l’actrice ou de l’acteur qui la reçoit, la faciale touche à deux aspects de la pornographie. D’abord l’éjaculation, vision esthéticisée de la jouissance par l’industrie pornographique, aussi appelée “moneyshot”, car point culminant du film pornographique qui donne lieu à la rémunération de l’acteur. Ensuite la profanation du visage du partenaire, la partie noble du corps, symbole de l’intelligence, de l’éloquence et de la beauté. La faciale fait le lien entre l’orgasme et l’actrice en les rapprochant. Pour Stephen des Aulnois alias Desgonzo, fondateur du site Le Tag Parfait, spécialisé dans la culture porn: “Le regard de l’actrice est très important pour le spectateur, qui par mimétisme se retrouve souvent à jouir au même moment que l’acteur”.
La faciale devient une figure imposée du porno dans les années 90. La pornographie a bousculé les codes car on y représente une sexualité montrable. Il faut une éjaculation visible, puissante, en dehors du vagin. Les éjaculations dans les pornos sont souvent enrichies par des pompes remplies de liquide, “pour qu’il y en ait le plus possible, partout” ajoute Nathalie Giraud-Desforges. “Cette pratique n’étant pas aussi présente dans la vie de tous les jours, on la vit par procuration à travers ces images, explique Desgonzo, elle représente une petite transgression”. Une mise en scène de l’orgasme masculin fétichisée, spectaculaire et qui marque l’arrêt du rapport.
Faciale et culture porn impactent nos vies
La pratique grandissante de l’éjaculation faciale n’est qu’une nouvelle preuve (s’il en fallait) que le porno, par sa diffusion à très large échelle sur internet, impacte directement nos sexualités. “Quand on demande à un adolescent de 14 ans si une pratique sexuelle est ‘normale’, il va aller voir sur internet, explique Nathalie Giraud-Desforges. S’il trouve une page Wikipédia, c’est que c’est quelque chose qui se fait. Si c’est dans un film porno, c’est une pratique courante. ” Résultat, on ne sait plus si le porno est une représentation de nos sexualités, ou si c’est lui qui nous impose ses normes.
L’industrie normalise des pratiques qui n’étaient pas si populaires il y a cinquante ans. De quoi se poser des questions au moment de passer à l’acte. “Il m’arrive très souvent de ne pas me lâcher, de ne pas dire oui à certaines choses ou de ne pas en proposer parce que je me dis ‘ça fait porno’, et j’ai peur d’être jugée par mon partenaire”, raconte Lise, 21 ans.
Une association entre sexualité et pornographie qui touche particulièrement les jeunes adultes et les ados “qui abordent ou ont abordé leur sexualité avec ces supports visuels, alors qu’avant on avait juste l’imaginaire”, analyse Nathalie Giraud-Desforges. Si psychologiquement elle peut être compliquée à gérer, cette association est en revanche une aubaine pour la publicité.
L’esthétique de l’éjaculation faciale s’est infiltrée partout. Dans les magazines, dans les clips, jusque dans les pubs pour les yaourts. Pour Antonio Dominguez Leiva, il est normal que la publicité s’approprie les codes du porno “parce qu’ils sont transgressifs. La publicité a toujours joué sur ce terrain, c’est le meilleur moyen d’attirer l’attention.” Mais pourquoi sommes-nous instinctivement attirés par une pratique qui dégoûte encore une majorité de personnes ? “L’Homme reste un animal qui s’ignore. Parfois, le discours rationnel doit faire face à des tendances qui ne fonctionnent pas selon la morale. Cependant, je pense que le répertoire érotique de la publicité perd de plus en plus de son efficacité, ajoute le chercheur, parce que la pornographie est en libre accès et donc beaucoup plus admise aujourd’hui.”
Jouir du pouvoir
Pour le sexologue Jacques Waynberg, cette pornographie omniprésente « permet à certains de modifier leurs rituels érotiques, mais il faut que l’autre soit intégré avec un plein consentement ”.
Toujours selon lui, si l’éjaculation faciale est plus prisée qu’une éjaculation sur les seins ou les fesses, c’est parce qu’elle est chargée d’un message. Jouir sur le visage de son partenaire serait une façon de le dominer. “C’est un jeu de domination/soumission au même titre que la levrette, mais le sentiment de domination apporté par l’éjaculation faciale est imparfait. Il vaut mieux inscrire la domination dans un ensemble rituel qui va au delà de l’éjaculation, car jouir c’est bien, mais vient ensuite la période réfractaire (quand l’homme a éjaculé et qu’il débande) qui effondre cette prise de pouvoir la rendant donc extrêmement brève”.
La faciale selon Jacques Waynberg serait donc un “faux-ami” qui met en conflit la volonté de domination avec “l’épouvante de la période réfractaire”, qui signe temporairement la fin de l’excitation. ”D’autant plus que d’un coup de kleenex, la femme enlève l’éjaculation de sa figure et signe la fin de la séance de domination”.
Si on n’éjacule pas sur les épaules, c’est parce que même si le plaisir est semblable physiologiquement, il ne le sera pas de manière symbolique. Fluide reproducteur, le sperme représente le pouvoir.
“Un homme est fier de sa semence, ça sort de lui, c’est ce qui va enfanter. C’est cette puissance qui est magnifiée, glorifiée, sublimée dans les films porno. L’homme, quand il a jouit, contemple combien il y en a, ce que ça couvre…” explique Nathalie Giraud-Desforges. Il existe donc une fétichisation du sperme qui expliquerait pourquoi la faciale est si présente dans le porno. Pour Desgonzo:”On joue avec et on attend qu’il soit présent en quantité, même si en terme de fétichisation du sperme, le porno occidental est très loin derrière le porno japonais ou les fluides des corps sont une obsession”.
Soumission, oui ou non ?
Cette aura de puissance accordée à la semence masculine et la représentation de l’éjaculation faciale dans la pornographie où les femmes sont souvent en position d’humiliation, contribuent à assimiler l’éjaculation faciale à une pratique de soumission. “Quand le porno s’empare des symboliques d’humiliation, comme le bukkake qui est originellement une forme de lapidation destinée aux criminelles, on les reconnaît instinctivement. L’éjaculation faciale, comme d’autres pratiques, est une domination inscrite sur le corps receveur, analyse Antonio Dominguez Leiva. Mais de là à déterminer que toutes les femmes qui la pratiquent sont soumises… Ce n’est pas une position très féministe. Je pense au contraire qu’il peut y avoir un plaisir à faire jouir l’autre.”
Pour ceux qui ne sont pas attirés par les jeux de domination, le plaisir tiré d’une éjaculation faciale reste un mystère. “Cette situation met la femme dans une position humiliante. En plus pour moi c’est vraiment une imitation du porno puisque ça ne procure aucun plaisir supplémentaire aux mecs, c’est juste une éjaculation… Pareil pour la femme, je ne vois vraiment pas quel plaisir elle peut ressentir” témoigne Jacques, 24 ans.
Une interrogation à laquelle répond Louise, 24 ans: “Il n’y a rien de plus excitant pour moi que de voir que je procure du plaisir. Effectivement, ça plaît aux hommes parce que ça renvoie à un imaginaire de domination. Mais dans tout rapport sexuel il y a une part de dominant/dominé, et généralement les rôles sont interchangeables.”
Clouds can make cities lighter
Une photo publiée par Safia Bahmed-Schwartz (@safiabahmedschwartz) le 23 Déc. 2015 à 20h10 PST
Et pour inverser les rôles tout en restant dans ce registre, le squirting (éjaculation féminine) et le face-sitting (s’asseoir sur le visage de son partenaire) sont les alternative féminines les plus ressemblantes à la faciale. Malheureusement, à l’inverse, « le face-sitting est plutôt référencé dans le porno comme une pratique d’humiliation. Accepter qu’une femme peut aussi faire ça à un homme permettrait de faire bouger les lignes » remarque Nathalie Giraud-Desforges. « Toutes les femmes sont aptes à éjaculer, seulement la plupart d’entre elles ne savent pas le faire » explique l’actrice porno Anna Polina, une information qui laisse de l’espoir à celles qui tenteraient bien la faciale, mais de l’autre côté.