Bête de sexe, bête de scène, jusqu’à devenir bête de foire… Sans l’aura animale de Jim Morrison, les Doors n’auraient sans doute jamais percé. A retrouver sur notre hors-série “Jim Morrison et les Doors, au-delà de la légende”
D’Iggy Pop à Patti Smith, de Ian Curtis à Bono, tous ont été impressionnés par ses performances scéniques. Et pour cause : dès les premiers live des Doors, en 1966, Morrison veut en faire des cérémonies. Il susurre, hurle, ferme les yeux, titube, s’écroule par terre, bondit dans tous les sens. Laissant libre cours à son impulsivité, il maîtrise cependant aussi son jeu de scène.
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“Jim, le visage collé au micro qu’il tenait amoureusement de la main gauche, se couvrait l’oreille de la droite. Il avait la jambe droite en avant, le genou plié, le pied tenant le support du micro, la jambe gauche plantée au sol (…). Même les danseuses aux seins nus qui avaient vu n’importe qui faire n’importe quoi restaient assises, en transe”, témoignent Jerry Hopkins et Danny Sugerman dans Personne ne sortira d’ici vivant (1), parlant des concerts du Whisky a Go-Go.
Un chamane hypnotique
Tuniques indiennes, pantalons en cuir et cheveux longs : tel un Sioux, Morrison tourne en rond autour d’un feu imaginaire. Persuadé d’avoir en lui l’âme d’un Indien mort depuis ses 4 ans, Morrison se réinvente en Roi Lézard, auréolé de la richesse sonore de titres franchement expérimentaux comme The End ou Not to Touch the Earth. C’est lui qui, en se jetant dans le public et en se laissant porter par lui, initie le stage diving.
“Morrison, tel un chamane, embarque les gens dans un voyage mystique, à destination d’un sombre royaume psychique”, confiait Ray Manzarek à l’époque du premier album des Doors. “Lors des chansons, la foule était silencieuse car la voix de Jim avait un effet hypnotique qui la captivait”, se souvient le photographe Henry Diltz dans son livre Jim Morrison & the Doors (2). Cependant, cette capacité n’est pas innée. Lorsqu’il étudie la sociologie à la fac, Morrison est fasciné par les théories exposées dans Psychologie des foules (3) de Gustave Le Bon : “Je sais regarder une foule (…). Nous pouvons la soigner. Nous pouvons lui faire l’amour. Nous pouvons la changer en émeute”, confiait-il alors à ses camarades médusés, selon Sugerman et Hopkins.
En témoigne l’un des plus légendaires concerts des Doors, celui du Madison Square Garden en janvier 1969, où, comme l’explique Jean-Yves Reuzeau (4) en 2012, “le chanteur désigne une partie des spectateurs comme étant une force de vie, l’autre comme une force de mort, précisant qu’il se place entre les deux”.
Un air de tyran
“J’avais rencontré un Jim réservé, toujours souriant, sans force visible particulière, confie plus tard son amie Eva Gardoni Hormel à Frank Lisciandro dans Un festin entre amis (5). Puis je l’ai vu sur scène chanter Light My Fire et tous ses morceaux, et l’ascendant qu’il avait sur la foule était ahurissant. Je me souviens qu’il donnait des ordres à des milliers et des milliers de personnes. Elles se ruaient vers la scène, et il fouettait l’air avec son micro, comme un dompteur en leur criant : ‘Taisez-vous ! Assis !’ Et tout le monde regagnait son siège, comme des toutous.”
Son agressivité latente et son tempérament de dominateur (y compris au sein de son propre groupe, qui ne pipe jamais mot durant les performances des Doors) le transforme, dès qu’il monte sur scène, en un tyran rockeur. Animé par une haine féroce envers l’establishment, Morrison chante des hymnes à la révolution comme Five to One, se glisse dans la peau d’un soldat du Vietnam avec The Unknown Soldier où, sur scène, il mime sa propre exécution. Ainsi, il répond violemment aux attentes d’une jeunesse qui refuse de servir de chair à canon.
“C’était une époque agitée, pleine de changements politiques, expliquait le modiste January Jansen, un ami de Morrison, à Lisciandro. Il se voyait parfois comme catalyseur de tout ça. Et après, il retournait la chose et se disait que c’était eux, les jeunes, qui étaient les catalyseurs, que c’était le public qui le poussait dans de nouvelles directions.”
En visionnant les rushes du documentaire des Doors Feast of Friends, Morrison va jusqu’à dire qu’il est dépossédé par son auditoire :
“J’ai soudain réalisé que je n’étais qu’une marionnette manipulée par toutes sortes de forces dont je n’avais qu’une vague notion”, déclare-t-il à Life en 1968.
Sensualité féline
Le nouveau sex-symbol depuis Elvis : c’est ce que clament tous les journaux en 1967, ravis de cet ange exterminateur venu faire hurler les filles et impressionner les garçons. “Nos concerts sont de la politique sexuelle, évoquant la symbiose sensuelle entre le groupe et son public de boule de feu”, prévient Morrison dans les premiers textes promotionnels des Doors. “Je n’ai jamais vu une sexualité aussi flagrante sur scène”, affirmait en 2002 Pamela Des Barres, qui en a pourtant vu d’autres.
Contrairement à un Mick Jagger tout en suggestion, Morrison exhibe une sexualité débridée, doublée d’une certaine sophistication gestuelle. A la fois sombre et lascif, il reproduit les postures savamment étudiées de la Marlene Dietrich de Sternberg. Morrison tire parti de sa beauté aussi bien sur scène qu’en ville. Ce que souligne la femme du manager des Doors, Sherry Siddons, avec Lisciandro : “Sa façon de marcher était incomparable (…). Il avait une élasticité naturelle, cette façon de garder les yeux mi-clos. Une dégaine méridionale, un glissement un peu félin.”
L’icône des sixties parisiennes Zouzou est plus directe lors d’une interview donnée à Rolling Stone en 2014 : pour elle, Jim était “une vraie beauté sur scène. Un chat.” Qui devient un matou irascible…
Le Roi Lézard n’est plus
C’est avec The End que Morrison débute une longue série de provocations. En 1966 (et encore aujourd’hui), il n’est pas de bon ton de hurler dans son micro que l’on va tuer papa et baiser maman. Par la suite, il truffe ses interventions de remarques graveleuses, de gestuelles plus qu’équivoques et insulte plusieurs fois des policiers. Pas très malin face à un public au bord de l’émeute, échaudé après des heures d’attente… Ses retards, ses hurlements d’ivrogne et ses chutes impromptues font, bientôt, partie du rock’n’roll circus des Doors.
On ne va plus le voir pour son allure gracieuse, désormais effacée derrière des kilos alcoolisés, mais pour assister à un dérapage. Lors du tristement célèbre concert de Miami, le 1er mars 1969, Morrison lance d’ailleurs à la foule :
“Vous n’êtes pas venus simplement écouter de la musique, non ? (…) Vous êtes venus au cirque !”
Il dira plus tard que tous, du public aux journalistes en passant par les autorités, veulent le voir mourir sur scène. Le 12 décembre 1970, lors du dernier concert des Doors avec Morrison à La Nouvelle-Orléans, celui-ci s’écroule au bout de quatre titres sur la batterie de Densmore.
When the Music’s Over…
Si, en juillet 1970, la sortie d’Absolutely Live (nourri de plusieurs enregistrements de concerts, dont l’impressionnant The Celebration of the Lizard du 21 juillet 1969 à l’Aquarius Theatre d’Hollywood) démontre toute l’alchimie scénique des Doors, le Roi Lézard est devenu Jimbo, une “parodie de lui-même” selon les termes de la revue Post-Intelligencer – laissant son charisme au fond des bouteilles de whisky.
1. Personne ne sortira d’ici vivant de Jerry Hopkins et Danny Sugerman (Robert Laffont, 2006).
2. Jim Morrison & the Doors de Henry Diltz (Premium, 2011).
3. Psychologie des foules de Gustave Le Bon (Ultraletters, 2016).
4. Jim Morrison de Jean-Yves Reuzeau (Folio, 2012).
5. Morrison – Un festin entre amis de Frank Lisciandro (Le Castor Astral, 1998).
A lire sur notre hors-série Jim Morrison et les Doors, au-delà de la légende
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