Auteur britishissime, Evelyn Waugh a élevé l’humour et la dérision à des altitudes qui le lient aux excentricités de Swift ou aux facéties de Thackeray. Et vous trouvez ça drôle ? Yes, absolutely!
Rien que le prénom, Evelyn, qui n’est pas celui d’une femme mais d’un homme. Et le nom, Waugh, dont son propriétaire disait qu’il fallait le prononcer comme un aboiement. Soit donc monsieur Eveline Ouaou (1903-1966), écrivain britannique, auteur d’une dizaine de romans et d’une palanquée de nouvelles. Sans doute mieux connu des spectateurs de cinéma et de télévision que des lecteurs, certains de ses livres ayant connu des adaptations à succès : entre autres Retour à Brideshead ou Officier et gentleman.
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S’attaquant avec férocité aux tours et détours de la bonne société britannique, la fameuse gentry, Waugh se traîne une réputation de satiriste. Or, pas du tout. C’est d’humour dont il s’agit. Un humour dont la folie transcende un autre cliché, celui d’une drôlerie consubstantielle à la psyché anglo-saxonne.
Une foule d’informations sur le genre humain
Certes, Waugh navigue et dérive dans une civilisation précisément située, pour ne pas dire coincée, entre les deux guerres mondiales, plus campagnarde qu’urbaine, enracinée dans des traditions déliquescentes où la vraie recette du vrai pudding ou l’heure exacte du thé et la durée de son infusion ouvrent à des débats cruciaux.
Mais ses descriptions, collection de peintures à la façon d’un Hogarth, ne sont pas tant des caricatures que des portraits tirant vers les excentricités de Swift (Instructions aux domestiques) ou de Thackeray (La Foire aux vanités). Une foule d’informations sur le genre humain qui est un drôle de genre.
Il n’est pas exagéré de parler de ce fait d’une internationale de l’humour où brilleraient à feux égaux les hilarantes propositions de Kafka (lacer ses chaussures quand on est un chien) ou certaines pages tordantes de Proust quand il canarde les affèteries des Verdurin ou l’art du ragot pratiqué par la bonne Françoise.
“Le soir un souffle de brise s’éleva de l’ouest”
La singularité de Waugh tient à son style et à sa langue, d’une banalité apparente et, partant, parfaitement lisible en VO, même pour qui balbutie l’anglais. Ainsi de son art quasi pacifiste de l’attaque. Première phrase de la nouvelle “Un Anglais et son home” : “Mr. Beverley Metcalfe tapota le baromètre dans le couloir du fond et constata avec satisfaction qu’il avait baissé de plusieurs degrés dans la nuit.” Début du roman Le Cher Disparu : “Toute la journée, la chaleur avait été insupportable, mais le soir un souffle de brise s’éleva de l’ouest…” Ce n’est pas banal de commencer à écrire comme on se met à bâiller. Mais c’est justement cette limpidité proche de la catatonie qui favorise bien des troubles à venir et des obscurités enfouies.
On s’emmerde ferme dans les vies décrites par Waugh
Car, l’ennui, le grand et bel ennui, est le sujet obsédant de Waugh. Des tranchées de la guerre de 14 au salon mal éclairé de quelque manoir victorien, on s’emmerde ferme dans les vies décrites par Waugh. Cela tient pour beaucoup à l’oisiveté sociale des personnages, nantis de naissance pour qui la notion de travail relève d’une faute de goût impardonnable et qui, du coup, s’adonnent à des distractions enrichissantes : l’organisation d’une sympathique chasse au faisan ou la consommation exagérée de diverses liqueurs très alcoolisées, l’une entraînant fatalement l’autre.
Sauf que ces rites ancestraux peuvent dégénérer en perturbations inédites : tel Lord qui saute sur l’occasion d’une garden-party pour se pendre dans l’orangerie avec ses bretelles (ce que son épouse ne lui pardonnera jamais) ; telle lady convenable qui entreprend de terroriser sa dame de compagnie avec le compte rendu d’un adultère lamentable entre une idiote “qui avait tout essayé pour la décoration – faire disposer des plumes de paon, des tambourins décoratifs et des frises très modernes mais le résultat était toujours déprimant” et un jeune arriviste “qui avait des manières très engageantes et disait de telles bêtises !”
Pour Waugh tout étranger est un barbare
Toujours, chez Waugh, un clou chasse l’autre, jusqu’au point où on ne sait plus qui tient le marteau et qui fait office de clou, son récit ne s’engageant sur la ligne droite de l’ordinaire que pour bifurquer assez sec en un virage d’absurdités dont aucun panneau ne signale la dangerosité : Une conversation entre parfaits gentlemen, des “chic types” exilés en Barbarie (Hollywood en l’espèce, mais pour Waugh tout étranger est un barbare, y compris celui qui habite son inconscient), qui nous conduit aux portes d’un funérarium répondant au nom propitiatoire de Célestes Pourpris. Mais encore, une jeune fille à marier qui s’entiche d’un caniche prénommé Victor, en souvenir de son fiancé parti aux colonies africaines cultiver le sisal pour au moins vingt-sept ans. Autant d’itinéraires bis destinés à nous égarer.
Et quand Waugh voyage en personne autour de la Méditerranée (“Bagages enregistrés”), le récit très cruellement autobiographique est encore pire rigolade. Le portrait d’un infernal râleur qui ne fait escale à Naples que pour y dénoncer la malhonnêteté des chauffeurs de taxi qui font vingt fois le tour de la ville pour alourdir la douloureuse. Ou Le Caire, où il trouve les pyramides plus intéressantes de loin que de près. Et Athènes, “seul endroit où les hommes dansent en costume traditionnel pour leur simple plaisir et sans rien attendre de l’étranger”. L’art élégant de tout moquer, y compris soi-même.
(Pratiquement tous les écrits d’Evelyn Waugh sont en collection de poche, notamment chez Robert Laffont-Pavillons poche)
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