Trois ans après Let it Die, chef d’ uvre qui a imposé la belle Canadienne, Leslie Feist revient avec un troisième album solo. A l’arrivée, The Reminder (sortie le 23 avril) doit autant à l’empressement d’une vie de tournées internationales incessantes qu’à l’intimité et à la rareté de moments choisis pour enregistrer. De retour à Paris pour quelques jours fin février, Feist nous recevait avant de repartir en tournée.
La première écoute de Let it Die fut une révélation. La voix de Leslie Feist, 28 ans à l’époque, expatriée à Paris sur les bons conseils de Gonzales, impressionnait. A la question (un peu légère) : peut-on être blanche et chanter comme une noire ? On répondait oui. Et quand, à la veille de son premier concert parisien du 6 mars 2004 au Bataclan, on confia à Feist que tous ceux à qui on avait fait écouter Let it Die demandaient si elle était noire, la jeune femme, comblée répondit : « c’est le plus beau compliment qu’on m ait jamais fait ». La voix de Feist cherche donc à être un embrayeur de fantasmes. Et Let it Die peut aujourd’hui quasiment tenir la comparaison avec le Grace de Jeff Buckley. De l’imbrication des reprises complètement revisitées et des compositions originales ressortent la même cohérence intemporelle et le même sentiment d’un petit chef d’ uvre qui se boucle sur lui-même.
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En tant que môme étrangère, non francophone, Feist est ensuite devenue l’enfant chérie de Paris. On ne parlait plus que d’elle. On découvrait alors une constellation d’artistes éclectiques au contact desquels elle avait évolué et qui, désormais, allaient tourner autour d’elle : on connaissait Peaches (ex-colocataire de Feist) et Gonzales période electro / hip hop, il fallait écouter d’autres Canadiens géniaux : Mocky, Jamie Lidell (tous deux présents pendant les sessions de The Reminder), Apostle of Hustle, Broken Social Scene (joyeuse communauté musicale et chaînon sonore et chronologique entre Pavement et Arcade Fire)? Feist enchaînait les collaborations : deux fabuleux morceaux coécrits sur le deuxième album des Kings of Convenience (Riot on an Empty Street), The Simple Story écrit pour et chanté avec Jane Birkin sur l’album Rendez-vous produit par Gonzales et Renaud Letang, des duos avec Albin de la Simone ou Arthur H, une ou deux choses moins heureuses, et bien sûr la participation active aux deux derniers albums de Broken Social Scene. « Je n’ai planifié aucune de ces collaborations dira Feist, les circonstances ont décidé pour moi. Feist est volatile, libre comme l’air ; son signe du zodiac est le verseau, un signe d’air
Cette après-midi là, on a rendez-vous dans un appartement du dixième arrondissement parisien, et ô surprise, c’est Gonzo le groom qui ouvre la porte : « tu t es trompé de porte », dit-il en anglais, avant de reprendre en français : « entre, on est chez un pote de Feist, elle arrive ». Il faut dire qu’il y a pire que Gonzales comme Cerbère. Sur les murs du hall d’entrée sont accrochés les objets d’art qui ont illustré la pochette de The Reminder. Feist a une surprise : Gonzales fera l’interview avec elle parce que ça amuse le pianiste géant de consulter ses mails pendant une interview réalisée pour un site internet. Chez ces deux-là, toute raison est bonne à donner pour être ensemble.
Feist revient d’abord sur la genèse de The Reminder : « Toutes les mélodies et les ébauches de paroles me sont venues en tournée, pendant les soundchecks dans des théâtres où il y a toujours un micro branché. J’ai archivé toutes les idées neuves sur mon laptop, sur le logiciel garage band, qui est une sorte de version de Protools pour enfants. Pendant un break, je suis allée dans un appart avec Gonzales à Berlin pour développer ces idées. J’ai tout réécouté sur l’ordinateur. Puis j’allais dans la pièce à côté, et on a écrit The Limit to your love sur son piano. La tournée a repris. On est allé en studio près de Paris. Ça s’est étalé sur six à neuf mois mais on n’a pas bossé sur le disque plus de deux mois, mixage y compris. J’avais tellement joué les chansons de Let it Die que c’est comme si chaque cellule de mon corps avait besoin de nouveauté, ma voix voulait explorer de nouvelles zones. C’était comme si j’avais emprunté les mêmes sentiers trois millions de fois. C’était trop facile. Je voulais casser la routine, changer de direction. C’est la contrainte, le manque de temps et l’obligation de répéter sans cesse les mêmes morceaux, qui m ont poussé à écrire, à me réinventer ».
Contrairement à Let it Die, The Reminder est le disque d’un groupe : « c’était une expérience live, alors que sur le précédent, Gonzales a tout fait, moi je n’avais qu’à poser la guitare et à chanter pratiquement. Sur scène, j’ai dû faire des transpositions à la guitare, et naturellement, les nouvelles chansons sont basées sur la guitare. On était tous (mon groupe, Gonzo, Jamie Lidell, Mocky) dans une pièce comme celle-ci, un salon, dans une maison avec des micros partout ». C’est ici que le témoignage de Gonzales devient précieux. On lui demande comment Feist était pendant les sessions d’enregistrement dans la maison louée à la Frette-sur-Seine, autrement appelée « la perle du Val d’Oise » : « A la Frette, elle était heureuse, parce que c’était la première fois qu’elle passait trois semaines d’affilée dans le même endroit. C’était comme une communauté hippie qui déménage. La Frette, c’était un peu une oasis. En dehors de ça c’était le rush, on avait trois jours pour finir un morceau avant qu’elle ne parte à Los Angeles par exemple. C’était à la fois très relax et très rapide. On était des débutants en studio sur Let it Die, Leslie sonnait plus naïve, mais c’est une fausse impression. The Reminder n’est pas un disque ? qui lui ressemble plus’?. Elle chantait chez moi les chansons de Let it Die comme elle chante sur The Reminder ». Feist poursuit : « de concert en concert, on va plus loin, ma voix est plus entraînée aujourd’hui, c’est une réalité physique. Mais pendant l’enregistrement de ce disque, j’ai passé les deux ou trois meilleures semaines de ma vie, et ça doit s’entendre. »
Le téléphone de Gonzales sonne, il s’éclipse. On en profite pour questionner Feist sur la nature de leur relation : « je suis contente qu’il soit sorti, dit-elle en riant, je peux enfin dire la vérité : c’était avant Monarch, mon premier album solo, je venais de déménager à Toronto, on s’est rencontré à un festival, on avait des amis communs. Dix ans plus tard, ma perception des choses a beaucoup changé. Disons qu’on est sorti ensemble pendant trois mois et cinq ans après, il n’y avait plus de tension, on a fait un disque. La deuxième info qu’il faut ?œdivulguer ?, c’est que Feist a rendu les clefs de son appartement parisien il y a quelques mois pour rentrer à Toronto. Et voilà, comment en plus de laisser filer Johnny Hallyday, on n’a pas réussi à garder Feist ! « Passer de musiciens français à des musiciens canadiens, c’était la première étape de mon retour au Canada confie-t-elle, d’ailleurs, s’essaie-t-elle à dire en français, j’ai perdu tout petit français que j’ai apprendre (rires) ».
Traduction : Feist est en train d’oublier les bribes de français qu’elle avait appris. Est-ce une des raisons pour lesquelles le nouvel album s’appelle The Reminder ? : « je ne sais pas encore, répond-t-elle. Je préfère les questions ouvertes. L’ombre est à mes yeux plus intéressante que la lumière. Quelles sont les choses dont on veut se rappeler, ou qu’on veut oublier ? Quelles sont les preuves qui font remonter les souvenirs ? Voilà de quoi parle le disque. Je ne m étais pas rendue compte, mais j’avais laissé des indices dans les paroles de Let it Die qui, aujourd’hui, m apparaissent comme des évidences. Les significations sont vouées à évoluer dans le temps ».
Avant la sortie de l’album, lesinrocks.com vous propose de découvrir le clip du premier single qui en est extrait, My moon, my man.
Avec l’aimable autorisation de Polydor
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