Le lendemain de la finale de l’Euro, lundi 11 juillet, les Etats-Unis sortent d’une semaine de tragédies, dont le massacre de cinq policiers à Dallas lors d’une manifestation contre les violences policières. C’est le moment choisi par un groupe de 517 universitaires pour lancer un collectif, Historians against Trump, et publier une lettre ouverte au […]
Dans un pays où la tradition de l’intellectuel engagé n’est pas dans les mentalités, les historiens sortent de leur réserve et s’organisent contre l’irrésistible ascension de Donald Trump.
Le lendemain de la finale de l’Euro, lundi 11 juillet, les Etats-Unis sortent d’une semaine de tragédies, dont le massacre de cinq policiers à Dallas lors d’une manifestation contre les violences policières.
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C’est le moment choisi par un groupe de 517 universitaires pour lancer un collectif, Historians against Trump, et publier une lettre ouverte au peuple américain.
« Non affilié à un parti« , le groupe hétéroclite rassemble des sommités, des historiens de musée, des professeurs des écoles, des thésards, unis dans la conviction que « Trump est une menace pour la démocratie« . En photo d’illustration de cette lettre ouverte, un meeting de Charles Lindbergh de 1941. L’aviateur a aussi été une grande figure de l’extrême-droite américaine et, durant un temps, admirateur du régime nazi.
En préambule, ils expliquent que « les leçons de l’Histoire [les] obligent à publiquement s’engager » contre le milliardaire:
« En tant qu’historiens, nous reconnaissons nos limites et notre subjectivité. Notre profession nous oblige à trouver de l’humain en quiconque et à examiner les idées, les intérêts, les mouvements qui façonnent le monde. Le matériel sur Donald Trump – discours, programme, réseaux sociaux – est un monument d’ignorance et et de narcissisme aveugle. […] Sa campagne est violente […] Elle attaque nos valeurs ».
Le collectif poursuit avec une remarque plus inquiétante qui décrit une démocratie américaine au crépuscule de son existence. « C’est le dernier chapitre d’une histoire trouble, entamée il y a plusieurs décennies. Dans une ère précédente, les médias, la justice étaient les garants de la démocratie. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Et Trump n’est pas seul coupable« .
Enfin, Les Historiens contre Trump annoncent qu’ils manifesteront contre Trump à la convention républicaine de Cleveland, de lundi à jeudi prochain.
Une initiative rare
En France, il est courant de voir des intellectuels de s’engager publiquement dans le débat public ; c’est beaucoup plus rare aux Etats-Unis, où l’on déborde rarement de son strict champ d’expertise. Donner son grain de sel sur les événements, peu importe ses distinctions académiques, peut être considéré comme déplacé, voire arrogant.
L’initiative des 517 historiens semble accueillir une majorité de soutiens. Mais elle a aussi été tournée en ridicule par un professeur de droit dans une tribune dans le Sunday Times du 15 juillet. L’auteur, dans un raisonnement d’inspiration populiste, reproche aux historiens de se permettre de dicter au peuple américain comment penser « juste parce qu’ils ont lu des livres« :
« Leurs diplômes ne leur donnent pas le droit de devenir je ne sais quel leader ou guide. […] L’expertise académique ne vous donne pas de diplôme en sagesse politique« , écrit, lapidaire, Stanley Fish, dans une colonne intitulée « Professeurs, arrêtez de donner votre avis sur Trump« .
Quatre jours plus tard, dans le New York Times, un énorme poids lourd de l’histoire contemporaine sort aussi de sa réserve. David McCullough est l’équivalent outre-Atlantique d’un Marc Ferro, avec une expertise universitaire plus imposante – deux Prix Pulitzer pour ses biographies des présidents Harry Truman et John Adams. Sa neutralité fait autorité et il a toujours pris soin, le long de sa longue carrière, de ne pas se mêler publiquement de politique.
Plus aujourd’hui:
« Très souvent dans les amphis le public me questionne à propos du président ou des candidats. Jusqu’à présent, j’ai répondu que ma spécialité, c’était les politiciens morts et enterrés. Comme ça, je pouvais contourner la question sans me mouiller. Aujourd’hui, j’ai changé d’avis« .
Avec Ken Burns, documentariste pour la chaîne publique PBS, McCullough a créé une page facebook, Historians on Donald Trump, où les grandes sommités de la discipline font entendre leur voix parmi la cacophonie médiatique.
« Quand on pense à ce que nous avons sacrifié pour ce pays« , ajoute McCullough, « donner les clés à ce clown monstrueux, avec un monstrueux égo, sans expérience, qui n’a jamais servi la patrie – c’est fou« .
Cleveland, cocotte-minute et milices en armes
Sauf surprise le parti républicain va nommer Donald Trump à Cleveland lors de la convention républicaine. L’événement se tiendra sous surveillante policière étroite. Les autorités se préparent au pire. Les historiens ne seront pas seuls à manifester.
La ville va devenir pendant quatre jours une espèce de cocotte-minute politique, avec des dizaines de milices pro et anti Trump qui annoncent leur venue pour apporter un peu de piment.
Des milliers de supporteurs et d’opposants sont attendus. Certains ont l’air marrants, comme ces cent femmes qui poseront nues devant la Quicken Loans Arena. D’autres moins. Les white supremacists profiteront des lois de l’Ohio très permissives sur le port d’armes pour défiler armés, et ont offert à Donald Trump d’assurer leur protection.
Le port d’armes sera autorisé partout dans la ville sauf aux abords de la Quicken Loans Arena, en toute légalité et en accord avec la sensibilité du parti. Même les hommes politiques annoncent venir armés, comme ce délégué de Pennsylvanie pro Trump, Jamie Klein.
Face à ces milices, des séparatistes noirs on aussi annoncé venir armés. La police a dû recruter des extras dans les Etats voisins pour contenir les foules.
« On n’a plus le luxe de la neutralité »
Les universitaires décrivent leurs initiatives comme inéluctables. McCullough explique être sorti de sa réserve en écoutant un discours de remise de diplômes à l’université de Stanford par son ami Ken Burns, qui a dit aux jeunes diplômés qu’après quarante ans passés à éviter d’être partisan dans son travail, il ne pouvait plus « s’offrir le luxe de la neutralité« .
Problème : Trump n’est jamais aussi fort qu’attaqué.
Certaines sommités sortent de leur réserve maladroitement sans réfléchir aux consquences et s’en mordent les doigts plus tard. Le dernier exemple en date est éclatant : une des huit juges de la Cour Suprême, Ruth Ginsburg, s’est prise au piège de la critique anti-Trump et, à 83 ans, a encaissé une cuisante leçon d’instruction civique.
Les juges de la Cour Suprême prennent des décisions fondamentales pour le pays. Ils sont censés incarner le droit américain, et si aucun texte de loi ne censure leur parole, il est dans leur tradition de ne pas s’exprimer dans les médias sur un fait politique afin ne pas saper leur statut d’impartialité.
Quand la juge Ruth Ginsburg s’est exprimée dans les médias la semaine dernière sur la « tragédie » que serait l’élection de Trump, en le traitant « d’affabulateur« , « d’égoïste« , en suggérant que les médias ne faisaient pas leur travail pour mettre au jour ses mensonges, elle est devenue partisane aux yeux des Américains et de sa profession. Selon les commentateurs de tous bords, elle s’est affaiblie elle-même et l’institution judiciaire avec.
Paradoxalement, elle aurait renforcé Trump. Aujourd’hui, elle dit regretter sa sortie.
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