Près de quatre heures de show, des moments de liesse comme des scènes intimistes, Bruce Springsteen a tout donné hier soir lors de sa première date à Paris pour « The River Tour accompagné par le E Street Band « tout en ferveur et passion. On y était, on vous raconte nos deux avis
On nous a informé en amont que Bruce Springsteen allait démarrer son concert très tôt, avant 20h. Bêtement on avait mis cette info sur le compte de l’âge, on s’était dit qu’il voulait sûrement être au lit tôt. On n’avait simplement pas pensé que l’homme de 66 ans resterait presque quatre heures sur scène, avec la même intensité de bout en bout. En cela, il procède totalement à l’inverse de bons nombres de ses confrères d’un tiers son âge.
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L’art de la scène
L’année dernière, le mythique et magnifique album The river fêtait ses 35 ans, l’occasion pour Bruce de sortir The Ties That Bind : The River Collection, un coffret composé d’inédits et de repartir en tournée avec ses vieux potes du E Street Band.
Hier soir, les titres de The River étaient naturellement de la fête : The ties that bind, Sherry Darling, Jackson Cage, Hungry Heart, Out in the street, Crush on you, You Can Look (But You Better Not Touch), The River, sans doute son grand chef-d’œuvre, sur lesquels les frissons se font toujours ressentir, Point Blank, Cadillac Ranch, Independence Day. Il a aussi chanté des titres piochés dans de nombreux autres albums : Nebraska, Tenth Avenue Freeze Out, Born to run, Jungleland, Badlands, ou encore Because the Night qu’il a co-écrit avec Patti Smith, entre autres plaisirs.
Ce qui fait la force de Springsteen c’est son énergie incontestable, capable d’envoyer du gros rock bourrin, mais aussi de savoir calmer le jeu en revenant à des trips plus blues, et acoustiques comme sur Nebraska et Thunder Road qui est venue clôturer tout en émotion ce tour de force impressionnant.
Le Boss est tellement fort qu’il a réussi à nous faire croire qu’on était dans une petite salle cosy et intimiste et non à l’AccorHotels Arena (formerly known as « Bercy ») tant il est parvenu à créer une atmopshère chaleureuse. Bruce a grave déroulé du câble, du coup il a assuré sereinement quand la sono de Bercy a littéralement pété les plombs sur Ramrod, interrompant ainsi le concert pendant quelques minutes. Entre ça et un son absolument dégueulasse sur toute la première heure du concert, il y encore beaucoup de choses à régler pour l’Arène. Pas grave, le boss et ses potes en ont profité pour signer des autographes et discuter avec les fans. Grand seigneur all the way.
Plus qu’un boss, un patriarche
C’est aussi sa relation quasiment inébranlable avec les potes du E Street Band qui fait chaud au cœur. Steve Van Zandt, le fidèle guitariste au look improbable (que les fans de la série The Sopranos connaissent sous le nom de Silvio Dante) est évidemment de la partie et il fait le show, entre facéties et technicité. Max Weinberg, Nils Lofgren, Garry Tallent, Roy Bittan sont là, tout comme Patti Scialfa, sa compagne.
Bruce et le E Street Band
Boss, leadeur, passeur, fédérateur, Springsteen a l’intelligence et la générosité de savoir mettre en lumière ses amis-musiciens et tout particulièrement son nouveau saxophoniste, Jake Clemons, le neveu du regretté Clarence Clemons, membre fondateur du E Street Band décédé en 2011.
Après plus de quarante ans de carrière, des tournées interminables dans des stades du monde entier et surtout ses albums, peintures réalistes et sociales d’une Amérique ouvrière, déclassée, laissée pour compte, Bruce Springsteen a pris des allures de maître spirituel, de guide qui sait mener vers la lumière et des jours plus heureux.
https://www.youtube.com/watch?v=psYGtHWc_Fo
Dur mais romantique, sensible mais cool, on a envie que Bruce Springsteen soit notre père, notre pote ou notre mec. Une chose est sûre : on a définitivement envie que Bruce Springsteen soit dans notre vie. Il est toujours beau, on aime son style toute en sobriété, tout comme sa scénographie hyper épurée, toujours digne, et toujours du bon côté de l’histoire. En tant que démocrate chevronné, il s’était beaucoup investi pour les élections de Barack Obama.
A voir hier soir ce ballet de bras en l’air, les sourires sur les visages lumineux des 16 000 personnes en délire, on se dit qu’on a définitivement assisté à une représentation messianique.
Et d’un coup, nous est venue une idée bizarre (pas tant que ça, en fait) : si Reagan et Trump, deux clowns, ont osé se présenter aux présidentielles américaines, Springsteen, lui, semblerait décidément plus que légitime. En tous cas, on voterait pour lui. En attendant on peut simplement lui dire « Merci, patron ».
Par Sarah Dahan
66 ans, 3h45 sur scène, voilà deux chiffres qui résument l’unicité du bonhomme, sa passion, sa générosité, son éthique, son sens du « dépassement de fonction » pour reprendre le jargon du foot. Hier soir, dans une Accor Arena blindée jusqu’aux cintres, Bruce Springsteen et son gang de vieux potes ont commencé par assurer leur fonction : envoyer la sauce sur Badlands ou The Ties That Bind, avec un son tellement musclé que les finesses d’arrangement se noyaient dans le mix EPO. C’était pro, efficace, mais un peu froidement bastonnant, fonctionnel. De la bonne routine, bonne donc, mais routinière.
Le concert était structuré autour de l’album The River, joué intégralement dans l’ordre. Sauf que Bruce finit toujours par piétiner la routine, par dépasser la fonction. Par exemple en cassant l’ordonnancement trop prévisible du concert calqué sur disque, retirant certaines chansons, les remplaçant par celles d’autres albums. Il a ainsi shunté I Wanna Mary You, pour enchaîner Death to My Hometown et The River, deux chansons politiques chroniquant la dévastation de la classe ouvrière. A la faveur de classiques comme Hungry Heart, Cadillac Ranch ou Because the Night, la température a grimpé, la communion/fusion entre le groupe et son public est montée en intensité et à mi-concert, la partie était gagnée.
Les rockers font sauter les plombs
Faisant respirer les enchaînements de rocks incendiaires, les ballades de The River ont aussi donné leur pleine mesure, entre un Point Blank hanté à souhait et un Drive All Night féérique. La longue ligne droite des rappels était à peine empruntée (Jungleland, Born to Run, Ramrod) quand les plombs de l’Arena ont sauté. Moment de flottement : simple panne, alerte à la bombe, couvre-feu comminatoire comme à Londres il y a trois ans ? Des hôtesses nous demandent d’évacuer alors que le E Street Band, nullement inquiet, reste sur scène, puis entame un tour de la fosse, réjouissant les fans.
https://www.youtube.com/watch?v=RF2Tq8NZLrs
De retour sur la scène, Bruce brandit un panneau où il a écrit « 5 mn », nous indiquant que tout sera bientôt réparé. (Faudra un jour nous expliquer pourquoi le système électrique d’une grosse salle de concert peut disjoncter). Avant que l’électricité ne soit rétablie, Bruce signe des autographes aux chanceux des premiers rangs. Coolitude absolue, alors que la plupart des chanteurs seraient sans doute retournés en loge. Ainsi, au lieu de couper l’élan du show, la panne l’a décuplé et le E Street Band a balancé une dernière demi-heure combinant la vitesse d’Usain Bolt et l’énergie résiliente du onze portugais, culminant par un Shout (reprise des Isley Brothers) anthologique, dix minutes de fausses fins et de redémarrages à fond.
Bruce a pris l’antenne à 19h50, l’a rendue à 23h35 et comme chaque fois, malgré les dizaines de concerts vus en plus de trois décennies springsteeniennes, on en est ressorti essoré, vidé, débordant de joie et de sueur, avec une idée lancinante qui nous trottait en tête : s’il existe un type comme ça, tout n’est pas foutu.
Par Serge Kaganski
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