Dreamgirls propose un curieux jeu de papiers calque. Ce récit assez inepte dans sa facture et desservi par une soupe musicale Broadway assez indigeste – sans rapport avec l’énergie soul des véritables standards de la Motown – intrigue malgré tout par les divers niveaux de superpositions qu’il opère entre ses personnages et leurs différents modèles. […]
Dreamgirls propose un curieux jeu de papiers calque. Ce récit assez inepte dans sa facture et desservi par une soupe musicale Broadway assez indigeste – sans rapport avec l’énergie soul des véritables standards de la Motown – intrigue malgré tout par les divers niveaux de superpositions qu’il opère entre ses personnages et leurs différents modèles. Car les Dreamettes, ce girls-band des années 60 qui accède au sommet des charts, est évidemment modelé sur les Supremes. Le récit voit l’éviction de la chanteuse d’origine, une fille un peu boulotte mais à l’impressionnante puissance vocale, au profit d’une chorus girl, plus canoniquement jolie, et surtout dotée d’un timbre de voix suffisamment impersonnel pour pouvoir agréger le public blanc et pop aux habituels amateurs de soul. On reconnaît là le destin tragique de Florence Ballard, première lead singer des Supremes, supplantée juste avant le décollage commercial du groupe par sa choriste Diana Ross. Derrière les Dreamettes, il faut donc reconnaître les Supremes. Mais parce que le rôle de leadeuse propulsée au dernier moment au devant de la scène est tenue par la star r’n’b Beyoncé, il est difficile de ne pas songer aux Destiny’s Child, formation à géométrie variable, dont plusieurs membres ont été virées et remplacées, et dominée par Beyoncé. Là tient la dimension assez perverse du film : la star réelle du film accepte d’y endosser le rôle ingrat de l’usurpatrice de son titre, et la critique de la prise de pouvoir de son personnage éclabousse forcément son statut réel de poids lourd de l’industrie du disque. Car plus encore que Diana Ross, Beyoncé ressemble à une image virtuelle, un rêve de logiciel en toute conformité avec les standards du marché. Ce rôle de star-pour-de-mauvaises-raisons est d’autant plus cruel qu’il ôte aussi à son interprète les scènes dramatiques les plus payantes du film. De fait, c’est la débutante Jennifer Hudson qui rafle la mise en matière de louanges critiques et de récompenses. Le personnage émouvant, portant les grandes scènes pathétiques, c’est évidemment la “loseuse”. En ayant réussi un parcours sans faute dans sa carrière, Beyoncé se voit donc étrangement punie par la fiction. Pas assez maudite, trop parfaite, la star est mise au piquet au profit de celle qui peut charrier des affects plus tragiques. Le seul intérêt du film, au bord de la télé-réalité, est de s’interroger sur l’étrange masochisme qui a poussé l’artiste féminine la plus powerful d’Amérique à accepter un tel exercice de flagellation. Mauvaise conscience ? Envie d’expier une réussite trop fracassante ? Au fond d’elle, aurait-elle préféré être la moche qui échoue ? Heureusement pour elle, le film est si mauvais que sa façon de ne pas y être tout à fait, de se camper en retrait entre
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les ombres croisées de son maigre personnage, du spectre de Diana Ross et de sa propre gloire, demeure au final ce que le film comporte de plus étrange et intrigant.
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