LADY DIT
« Je suis plutôt une fille de l’ombre », avoue la comédienne
Marina Hands, en pleine lumière depuis la sortie de Lady Chatterley.
Depuis la sortie de Lady Chatterley
il y a deux mois, Marina Hands
savoure le succès de ce qui restera
probablement l’un des plus
beaux rôles de sa carrière. Les
nominations et les victoires
s’enchaînent, des spectateurs
bouleversés lui écrivent ou lui parlent dans la
rue, et même si elle répète quotidiennement à
la Comédie-Française Le Partage de midi (avant
de tourner dans le prochain film de Patricia
Mazuy et Simon Reggiani), Lady Chatterley
vibre encore en elle. Retour sur la réception
idyllique d’une expérience forte mais difficile.
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ENTRETIEN > Lady Chatterley est-elle un
personnage à part dans votre carrière ?
Marina Hands – Pour moi, ce film est une expérience
totalement à part, construite en plusieurs
étapes, et qui s’est véritablement
transformée lorsque le film est sorti, que les
gens s’en sont emparés. ‚a a été un travail
tellement long, tellement dans le détail, une
véritable immersion avec Pascale (Pascale
Ferran, réalisatrice et coscénariste du film
– ndlr), avec l’équipe, avec l’oeuvre, que tout à
coup j’avais l’impression de quitter ma cabane
et retrouver la lumière du jour. Pour
moi, la sortie a été aussi le moment de la réconciliation,
après avoir traversé des gouffres
de doutes et de peur.
Vous aviez peur de quoi ?
J’avais peur de ne pas arriver à donner vie à
un personnage aussi éloigné de moi.
Qu’est-ce qui en elle est loin de vous ?
Son rayonnement. Moi, à la base, je suis plutôt
une fille de l’ombre. Le personnage m’a
permis de libérer quelque chose. Je savais
d’où elle partait : sa période de dépression, le
carcan dont elle doit se défaire, son questionnement…
Mais j’avais le sentiment de n’avoir
aucune référence pour jouer son épanouissement.
Vous avez trouvé une clé ?
J’ai beaucoup travaillé sur le corps, j’ai essayé
de trouver les points de tension. ‚a a été plus
libérateur que d’essayer de justifier son parcours
intellectuellement. L’autre clé, ça a été
la confiance de Pascale. Au début, je ne me
sentais pas capable de dire oui, de jouer toutes
ces scènes qui bousculaient ma pudeur, abso-
lument énorme… Pascale
me disait qu’elle ne s’imaginait
pas confier le rôle
à une actrice qui lui dirait
« Ah ouais, OK, lady
Chatterley, moi je vous
la fais comme ça » (elle
claque des doigts). Mais
bon, il fallait que je franchisse
beaucoup de barrières
personnelles. Du
coup, comme on tournait dans la chronologie,
j’avais le sentiment que son éclosion à elle se
faisait au rythme de mon aisance progressive
avec le rôle.
Pouvez-vous situer une scène où vous avez
eu le sentiment d’attraper le personnage ?
Il y en a eu une très importante. Celle où elle
résiste à son mari, chez eux. Elle fait un bouquet
de fleurs, mais elle répond à tout ce qu’il
lui dit, récupère ses arguments et les retourne…
A ce moment, je me suis dit que
j’arrivais à ressentir quelque chose qui dépassait
la simple opposition carcan/libération.
J’avais l’impression d’arriver à jouer les
choses dans le détail, à ne pas me sentir écrasée
par le rôle. Mais c’est vrai que le sens de
tout ça s’est vraiment imprimé pour moi à
partir du moment où le film est sorti.
Dans la rue, les gens vous arrêtent pour
vous parler du film ?
Oui, c’est la première fois que ça m’arrive. Ils
me disent que le film les a émus de façon très
intime. Souvent, les gens sont portés par l’enthousiasme
et livrent des choses qu’ils n’ont
jamais dites et que le film a libéré. Mais au
bout d’un moment, la barrière de la pudeur
leur fait réaliser qu’ils racontent quelque
chose de très intime à une personne qu’ils ne
connaissent pas du tout ! (rires) J’ai été aussi
très touchée par des hommes d’une quarantaine
d’années, parfois plus, qui me disaient
s’identifier à Parkins. Souvent, ils prenaient
la parole dans les avant-premières mais ne savaient
pas trop quoi dire, voulaient juste exprimer
qu’ils avaient été touchés par le fait
que cette femme ait posé son regard sur un
homme comme lui.
Est-ce que le film a déplacé quelque chose
de votre rapport au cinéma, qui jusque-là
semblait moins fort qu’avec le théâtre ?
J’ai toujours pensé que le cinéma était
quelque chose qui viendrait à moi ou pas.
Mais que ça ne serait pas de mon fait. Que
quelqu’un comme Pascale Ferran se soit intéressée
à moi, m’ait donné un rôle comme celui-
là, ça m’a permis d’apprendre beaucoup
de choses. Un travail très étroit avec un cinéaste
donne beaucoup plus l’impression
d’oeuvrer en collaboration, d’être pris en
charge par une vision, que le théâtre. Au
théâtre, on peut être très seul.
Même à la Comédie-Française, où on travaille
toujours avec la même famille ?
C’est vrai que le sentiment de troupe existe.
Mais il est moins fort que l’intimité du rapport
avec un cinéaste. La nécessité de trouver en
soi ce dont cette personne là et elle seule a
besoin constitue une relation tout à fait particulière.
Le théâtre, c’est plus guerrier. ‚a reste
une arène. On parle souvent de la chaleur
du public. C’est vrai quand ça se
passe bien, mais bon, ce n’est jamais gagné.
‚a peut aussi cogner fort. Un tournage donne
un sentiment très fort de vase clos, surtout
lorsqu’il est aussi long que celui de Lady Chatterley.
Le rapport avec les techniciens est lui
aussi très intime. Julien Hirsh, le chef opérateur,
m’a filmé pendant 105 jours ! ‚a crée un
lien un peu unique.
Y a-t-il un terrible coup de mélancolie,
après 105 jours, à cesser du jour au lendemain
d’être lady Chatterley ?
Oui, je suis tombée dans un trou. Mais il y a eu
le succès du film, qui nous a donné beaucoup
de bonheur. L’accueil de la presse aussi nous
a rendu très fiers. On a tout à coup ressenti le
gain de sueur. Lorsque le travail est reçu et entendu,
un sens se met en place.
Vous les sentez comment les César ?
Je ne sais pas du tout. Je n’ai pas de prises. Ce
qui est amusant, c’est que ça fait quand même
un peu changer le regard des gens sur moi. Ce
qui me fait plaisir, c’est que lorsque Pascale
m’a choisie pour le rôle, elle savait qu’elle ne
pourrait débloquer aucun financement sur
mon nom. Maintenant, tout ce que je reçois,
mes petits prix, mes petites nominations, j’ai
envie de les déposer à ses pieds. (rires)
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