Nouvelle icône médiatique, le chef de la police de Dallas est un peu le symbole d’un espoir d’apaisement après la tragédie qu’a vécue la ville le 11 juillet avec l’assassinat de cinq policiers. Pourtant, lui aussi a connu son lot de drames professionnels et personnels. Deux mois après sa nomination à la tête du service, son propre fils a tué un policier.
C’est le nouveau visage de la police en Amérique. David Brown. Un Afroaméricain de 55 ans, mâchoires carrées, crâne chauve, lunettes à la Buddy Holly. Beaucoup des forces de police du pays aimeraient l’avoir à leur tête. Le grand public l’a découvert la mine sombre, devant une forêt de micros, le lendemain de la tuerie orchestrée par ancien militaire noir, Micah Johnson, qui voulait venger la mort de jeunes Noirs par des policiers. “On souffre. […] On a le cœur brisé. Il n’y a pas de mots pour décrire les atrocités commises contre notre ville.”
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http://www.youtube.com/watch?v=WBm8Ck_V4EU
Avec trente-trois ans de service, Brown n’a pas l’écusson du Dallas Police Department tatoué sur le bras, mais c’est tout comme. Il est même marié à une sergent. Sa copine de lycée.
Depuis sa nomination à la tête du département en 2010, la police de Dallas a grandement amélioré ses relations avec la population. Tout n’est pas parfait. Au moins deux bavures mortelles comparables à Ferguson ont jalonné son mandat. Mais dans l’ensemble, les Texans respectent son travail et les réformes drastiques qu’il a mises en place. Elles sont basées sur la proximité, la transparence statistique, et un entraînement des troupes à la riposte graduée.
Son propre fils tue un policier et sera tué à son tour
La violence des balles a déjà touché Brown personnellement. On peut même dire qu’elle s’est acharnée sur lui et ses proches. En 1988, son binôme, avec qui il fait ses classes à l’académie de police, est tué en service d’une balle dans la tête. Trois ans plus tard, son frère meurt assassiné à Phoenix par des dealeurs de drogue. Mais le pire est à venir. Deux mois après avoir pris la tête de la police, son propre fils de 27 ans, David Brown Junior, connaît une fin tragique. Sous l’emprise de PCP, un après-midi d’été, il tue par balles un inconnu, ainsi qu’un policier venu le neutraliser. Brown Junior sera finalement abattu. Il souffrait de troubles bipolaires. On retrouvera dans son corps des traces de PCP, un puissant hallucinogène.
Keith Humphrey, chef de district, se souvient de l’épisode au micro de la radio NPR : “C’était, comment dire, tragique… Dans le sens où perdre son fils est absolument tragique, mais imaginez que votre fils a en plus abattu un officier en exercice alors que vous venez d’être nommé chef de la police.” Certains, à Dallas, disent que cette horrible tragédie lui a donné de l’empathie pour les victimes de violences policières.
Une vocation due au film Shaft
Brown débute sa carrière de flic en 1983. Texan de la troisième génération, il n’a connu que Dallas, qu’il appelle “Big D”. Gamin, sa vocation est inspirée par le film Shaft, le hit de la Blaxploitation, avec un détective privé noir pour héros. Brown ajoute que c’est surtout les conditions de vie du quartier où il a grandi, Oak Cliff, qui l’ont amené à vouloir devenir policier. Il a la chance d’en partir pour étudier juste avant que le crack détruise Oak Cliff.
Brown a lentement gravi les échelons, en faisant parfois un pas de côté – quelques années chez les SWAT, le GIGN local ; un passage au département des affaires internes, les “bœufs-carottes” ; et enfin un job au budget municipal en 2007, histoire de le préparer à son actuel poste de gestionnaire.
On parle d’un homme privé, au style de commandement abrasif. Brown a des adversaires au conseil municipal ; au sein de la police, encore plus. Une association de policiers noirs, la Black Police Association of Greater Dallas, a demandé la démission de Brown au printemps. Pile au moment où il annonçait une refonte des horaires de travail. Brown fait le dos rond. Pour l’instant, la ville le soutient, surtout après les récents événements.
“La confiance, facile à perdre et difficile à gagner”
Brown ne fait pas que parler, il agit aussi, selon un pasteur de Dallas, Richie Butler, qui témoigne que Brown prend souvent sur ses jours de repos pour marcher sur le terrain et prendre le pouls de la population. Dans les réunions de quartier, Brown commence souvent son speech par cette petite blague : “Je suis entré dans la police, j’avais la coupe afro. Vous avez devant vous le résultat de trente-et-un ans de service” (il est chauve comme un oeuf).
Quand Brown était enfant, la police texane était une menace plus qu’un soutien. Il est convaincu que la situation d’aujourd’hui est à des années-lumière de l’époque. Mais comme il le reconnaît lui-même :
“la confiance, c’est facile à perdre et difficile à gagner. A cause de notre passé, de ce qui est arrivé dans les années soixante dans certaines communautés. Les grands-pères et les grands-mères nous racontent toutes ces histoires d’abus policiers.”
Malgré la diminution massive des plaintes contre les violences policières, tout n’est pas rose à Dallas, qui connaît cette année un pic d’homicides (+ 71 % comparé à 2015) qui met Brown sur le gril. Sans compter l’attaque à main armée du commissariat principal par un fou, en juin 2015. Cette première fois, aucun policier ne sera blessé et le forcené sera finalement abattu par un sniper. N’empêche, l’épisode a profondément marquée la police municipale. “On pensait que nos bureaux étaient inviolables, commentera Brown au Texas Observer. On arrive le matin, on met son gilet, et on sort patrouiller… Tout ça, c’est du passé maintenant. L’espace de travail n’est pas un sanctuaire. C’était naïf de le penser.” Ces paroles ont un écho tout particulier aujourd’hui. Les vitres du commissariat trouées de balles ont aussitôt été changées. Il faudra davantage de temps pour soulager les peines de Dallas et celles de son premier flic.
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