Désorientés par le délire de la gentrification, les artistes new-yorkais luttent pour garder en éveil l’esprit créatif de la ville qui ne dort jamais. Reportage intégral à lire dans le numéro des Inrocks disponible en kiosque cette semaine.
Quand on le rencontre au milieu du mois de mai dans un bar cool de Fulton Street, au nord de Brooklyn, Brian Whiteley ressemble à la plupart des trentenaires venus s’installer dans le quartier ulra-gentrifié. De l’autre côté de la rue, une impressionnante fresque à l’effigie de Notorious B.I.G. rappelle l’époque où la légende du rap désossait les rappeurs suffisamment inconscients pour le défier dans les freestyles de rue.
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Vingt ans après l’assassinat du monstre, les stands de pizzas sans gluten et les bars à smoothies ont remplacé les battles de rap et les planques de crack. La baby-sitter de Brian l’a lâché au dernier moment. C’est donc accompagné de ses deux gamins de quatre ans et six mois que l’artiste raconte comment sa vie a basculé une semaine plus tôt lorsque les services secrets ont débarqué à sa porte.
Le motif ? Sa dernière œuvre installée dans Central Park représentant la mort de Donald Trump. Pendant plusieurs semaines, tout New York s’est demandé qui pouvait bien être l’auteur de la sainte provocation. Jusqu’à cette fin de matinée paisible du mois de mai où plusieurs agents en costume ont rappliqué chez Brian pour lui notifier ses droits.
Tu as été interrogé plusieurs fois par les services secrets ?
Brian Whiteley – En fait ils ne m’ont interrogé qu’une seule fois. C’est assez effrayant d’être dans une situation où les services secrets enquêtent sur toi. Mon appartement, mon téléphone et mes mails sont toujours sous surveillance. Depuis qu’ils se sont pointés chez moi la semaine dernière, je suis devenu un peu parano. Je regarde souvent à ma fenêtre pour vérifier que tout est normal dans la rue. Et puis je suis en contact avec mon avocat plusieurs fois par jour.
Comment la police est-elle remontée jusqu’à toi ?
En fait ils sont d’abord remontés jusqu’au mec à qui j’avais commandé la pierre tombale. Il a dû paniquer et il leur a balancé mon nom. Quand ils ont débarqué à ma porte c’était assez flippant. Il y avait des gros bras hyper costauds et d’autres flics en costard cravate. Genre Men in Black. Je ne savais pas que j’étais recherché mais quand ils m’ont dit : “Je pense que vous savez de quoi il s’agit », j’ai rapidement compris qu’ils m’avaient identifié comme la personne qui avait installé la pierre tombale de Donald Trump dans Central Park. Ils ont fouillé l’appartement et l’essentiel de l’interrogatoire a servi à déterminer si je constituais une menace potentielle pour la vie de Trump. Ils m’ont demandé le type de livres que je lisais, si je possédais des armes à feu, si je m’étais déjà rendu dans des meetings de Donald Trump et si j’avais déjà suivi un entraînement militaire. Ils m’ont même demandé si je faisais des arts martiaux. J’ai aussi signé une décharge pour qu’il puisse fouiller mon historique médical et vérifier si j’avais déjà été traité pour une maladie mentale. Ils ont aussi interrogé mon frère pour vérifier que ce que je disais était vrai, que j’étais bien un artiste.
Brian Whiteley – Crédit @ David Brandon Geeting
Comment s’est déroulée l’installation de la fausse tombe de Trump dans Central Park ?
Cela m’a pris presque deux mois pour gérer l’organisation, commander la pierre tombale et établir un petit plan pour mettre tout ça en place. Je tenais à l’installer le dimanche de Pâques pour jouer sur l’aspect symbolique. Donald Trump se réfère souvent à des valeurs et des symboles chrétiens. L’idée c’était que lui et ses électeurs réfléchissent à l’Amérique qu’ils vont laisser à nos enfants après leur mort. Veulent-ils réellement être responsables du retour de la haine dans notre pays ? Pour le symbole, je trouvais ça intéressant d’imaginer que Trump puisse mourir puis ressusciter un dimanche de Pâques sous la forme d’une nouvelle personne avec de nouvelles idées. Je suis allé récupérer la pierre tombale en camion en pleine nuit et vers 4 h du matin j’ai roulé en direction de Central Park. Le truc pesait plus de 300 kilos donc j’avais quelques personnes avec moi pour m’aider dont un photographe pour immortaliser l’instant. Je savais que l’installation ne tiendrait pas longtemps. On a attendu le lever du soleil pour prendre quelques belles photos. Je crois qu’on a placé la pierre tombale vers 5 h 30 du matin et la police l’a retirée vers 8 h.
Quand tu as imaginé cette installation, tu n’as jamais pensé que tu devrais rendre des comptes à la police à un moment ?
Avant de me lancer dans ce projet, j’avais pris soin d’en discuter avec mon avocat. Selon lui, il n’y avait aucun risque pour que j’ai des problèmes avec la justice pour ce genre d’installation. Quand je l’ai appelé pour lui dire que j’avais besoin d’aide car j’étais gardé à vue par les services secrets, il n’arrivait pas à y croire. Je pense que toute cette paranoïa a beaucoup à voir avec le stress et l’animosité qui caractérisent la campagne présidentielle. Certaines personnes ont directement menacé la vie de Donald Trump. Quand j’ai commencé à imaginer le projet, il stigmatisait beaucoup les Mexicains et il n’hésitait pas à parler d’eux comme des criminels ou des violeurs. Je sentais qu’il commençait à grimper dans les sondages et ça me faisait flipper. En tant qu’artiste, j’estime avoir un rôle particulier, une voix à faire entendre. Il fallait que je fasse quelque chose.
Tu as reçu des menaces de la part des électeurs de Donald Trump depuis que ton nom a été diffusé dans la presse ?
Oui, j’ai reçu des trucs effrayants sur Facebook et pas mal de messages sur ma boîte vocale. Toutes ses menaces ajoutées au stress de l’histoire avec les services secrets ça me fait vraiment flipper. J’ai une femme, comme tu peux le voir j’ai deux jeunes enfants… J’y pense beaucoup. Mais au moment de monter ce projet je pensais aussi beaucoup à eux en me demandant ce qui va leur arriver si un mec comme Donald Trump est élu. Je n’ai pas envie que mon fils de quatre ans grandisse sous deux mandats de Trump. Certaines personnes se demandent comment j’ai pu faire ça en tant que père de famille mais je leur réponds que c’est justement en tant que père de famille responsable que je devais agir. Donald Trump n’arrête pas de parler en mal des musulmans, il voit l’Etat islamique dans chacun d’eux. Il dit qu’Hillary Clinton joue la carte de la féminité mais ce qui est sûr c’est qu’il joue à fond celle du businessman blanc, raciste et stupide. Pour moi il constitue une menace beaucoup plus dangereuse que Daech. Ce qu’il fait s’apparente à du terrorisme domestique. Il cible toutes les minorités du pays et n’a aucun respect pour les valeurs qui ont construit notre nation.
Tu peux nous parler de ton parcours, de tes études et des différents projets artistiques que tu as menés jusqu’ici ?
Je suis allé à l’université dans l’Indiana avant de m’installer ici à New York il y a un peu plus de dix ans. Je suis diplômé de l’Ecole d’arts visuels de la ville. C’est de plus en plus compliqué pour les jeunes artistes ici. Les gens se déplacent de quartier en quartier sans jamais pouvoir s’établir quelque part sur la durée. Impossible pour nous de trouver des galeries et de grands espaces collaboratifs pour travailler en commun. Des artistes partent tous les jours s’installer dans des quartiers reculés ou dans des villes comme Jersey City. Le paradoxe c’est que j’ai l’impression que New York est toujours le centre du monde en matière d’art et de culture mais c’est de plus en plus difficile de trouver de jeunes artistes qui arrivent à y vivre.
Par le passé, j’ai déjà été impliqué dans des performances artistiques qui jouaient sur les faux-semblants. J’avais notamment un projet où je me déguisais en clown pour hanter le cimetière de Greenwood pendant la nuit. Beaucoup de journaux ont couvert l’histoire sans savoir qui était derrière le masque et pas mal de gens avaient peur de passer par ce coin de Brooklyn pendant quelques temps. Le but était de créer une mythologie autour de cette histoire. Dans le quartier tout le monde flippait. Il y a même des gens qui me faisaient part de leur inquiétude quand je les croisais en journée sans savoir que c’était moi sous le costume.
Quelle a été la réaction de ta famille quand les services secrets ont débarqué chez vous ?
Ma femme m’a dit que si je me lançais dans un nouveau projet de ce type elle demanderait le divorce. Ca ne la fait pas trop rêver de voir les services secrets débarquer à la maison et de m’imaginer en prison. Elle était au courant du projet mais elle m’avait déconseillé de le faire. Mon père et ma mère ont eu beaucoup de mal à comprendre l’intérêt de ma démarche. Depuis que je leur ai dit que j’ai reçu des sollicitations de différents collectionneurs et de plusieurs galeries d’art dans tous le pays ils semblent un peu plus concernés (rires).
Tu sais où se trouve la pierre tombale en ce moment ? Tu as un moyen de la récupérer un jour ?
Pour l’instant elle est toujours dans les locaux de la police. Ils la gardent comme un élément de preuve. Je suis en train de travailler avec mon avocat pour la récupérer. J’aimerais organiser un événement privé pour la présenter d’ici à la fin de l’été.
Selon toi, Donald Trump a-t-il une chance d’être élu président des Etats-Unis ?
Il a réussi à étouffer la voix de ses concurrents en jouant les gros bras et les grandes gueules. Il n’hésite pas à utiliser l’insulte, que ce soit contre son peuple ou contre ses adversaires. Hillary Clinton n’hésite pas à utiliser le même genre d’armes donc je pense que ce sera une fin de campagne vraiment moche et pitoyable. J’espère quand même que les gens opteront pour le choix le plus sain. Je n’ai jamais vu un homme politique aussi fou que Donald Trump. Personne ne sait ce dont il sera capable si jamais il arrive au pouvoir. C’est très inquiétant. Evidemment, on a déjà eu un très mauvais président comme George Bush ou une candidate complètement tarée comme Sarah Palin. Avec Trump, j’ai l’impression que l’on a affaire à la fusion des deux pires conceptions de l’Amérique. Une personne comme Bernie Sanders aurait été une solution idéale pour élever le niveau du débat.
Propos recueillis par Azzedine Fall
A New York, la culture underground résiste au délire de la gentrification. Retrouvez notre reportage avec les artistes qui gardent la ville en éveil et notre portrait de Blood Orange dans le numéro 1075 des Inrocks disponible en kiosque.
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