Après une troisième saison qui manquait d’intensité, la série de Netflix signe un excellent nouveau volet, savant mélange de pop culture, enjeux sociaux et luttes de pouvoir.
[Cet article contient des spoilers sur toute la saison 4 d’Orange Is the New Black]
« Cette prison est en train de se transformer en une expérience sociale grotesque« , assène Alex Vause. Face à elle, une détenue vient de passer 48h debout sur une table, dos vouté et pantalon trempé par l’urine, pour tenir tête au régime tyrannique imposé par les nouveaux gardes fraîchement embauchés par le pénitencier de Litchfield.
Alors que la troisième saison d’Orange Is the New Black avait pris un virage résolument comique – à la limite du déceptif, tant le deuxième volet était sombre et intense –, la série originale la plus visionnée sur Netflix est parvenue cette année à retrouver un équilibre remarquable entre humour et drame, sur fond de critique sociale parfaitement maitrisée.
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Rarement une série tournée entre quatre murs – à l’exception des flashbacks qui rythment encore cette nouvelle saison – a dépeint avec autant de précision la société contemporaine. Bien qu’à l’écart des civils, les détenues de Litchfield alignent les punchlines et les références furieusement modernes avec un naturel propre à la génération Y. De Game of Thrones à Breaking Bad en passant par la mode des campagnes de crowdfunding ou la folie des mini-hamster en ligne, la pop culture est au centre des conversations qui rythment les épisodes d’Orange Is the New Black.
Entre tension et comic relief
Mais Alex Vause n’a pas tort : Litchfield a changé. Alors que les prisonnières entretenaient jadis des relations cordiales avec leurs matons, les nouveaux gardiens – d’anciens vétérans de guerre – instaurent immédiatement un climat anxiogène au sein du pénitencier. A l’image de L’Experience (2001) d’Oliver Hirschbiegel (du nom de celle de Stanford), où des volontaires se prennent tellement au jeu d’une étude comportementale dans un faux univers carcéral que les « gardiens » se transforment en bourreaux sadiques qui martyrisent leurs « prisonniers », les vétérans prennent peu à peu le pouvoir au point de torturer psychologiquement et physiquement les détenues de Litchfield.
La série alterne ainsi entre des moments de tension incroyable et des séquence de comic relief salutaires, principalement véhiculées par le groupe des prisonnières afro-américaines Taystee, Susan « Crazy Eyes » Warren, Cindy, Janae et Poussey. Jusqu’à ce que le comique rejoigne le tragique en milieu de saison, dans une scène qui serait risible si elle n’allait pas avoir des conséquences irréversibles sur les personnages.
Piper Chapman (que la créatrice de la série Jenji Kohan a toujours décrite comme son « cheval de Troie », en tant que petite wasp blonde aux yeux bleus qui lui a servi à vendre sa « série sur des femmes noires, latinas, des femmes âgées et des criminelles » à Netflix), cherchant à protéger son business de vente de petite culottes sales, se retrouve ainsi à son insu leader d’un groupe de détenues blanches qui décident de s’unir pour défendre leur « white power ».
Et soudain tout bascule. Les Blanches se liguent contre les Dominicaines qui se liguent contre les Noires qui se liguent contre les Latinas, le tout sous l’œil amusé des gardes racistes qui font tout pour attiser les conflits. Cette escalade de violence atteint son apogée dans le douzième et avant-dernier épisode, où Poussey Washington, un des personnages les plus appréciés des fans de la série, trouve la mort dans une scène chaotique et terrifiante.
« Un toast ne pourra jamais redevenir du pain de mie mou »
L’épisode, réalisé par Matthew Weiner – qui effectue là son premier retour à la télévision depuis la fin de sa série Mad Men – apporte une sombre conclusion à un débat récurrent tout au long de la saison. « La vie des Noir-e-s ne compte pas », énonce Janae, qui vient de perdre son amie. Une référence au mouvement « Black Lives Matter », né sur les réseaux sociaux en 2015 après que l’Américain blanc George Zimmerman a été acquitté du meurtre du jeune ado noir Trayvon Martin.
Cet amer dénouement – qui résume à lui seul cette saison de par l’absurdité de la mort de Poussey, accidentelle et déchirante – clôt également le thème martelé par ce quatrième volet : il est impossible de remonter le cours du temps. Au fil des épisodes, les détenues se demandent régulièrement ce qu’elles feraient si elles « pouvaient revenir dix ans en arrière » et « changer les choses ».
Se repentir, ne pas sombrer dans la drogue, éviter la case prison, ne pas étouffer une prisonnière par accident. « Les choix qu’on a faits n’ont aucune importance », assène pourtant Alex Vause à la fin de la saison, « on aurait quand même fini par atterrir ici, sur ce putain de lit, assises l’une à côté de l’autre en prison ».
« Un toast ne pourra jamais redevenir du pain de mie mou« , ajoutera un peu plus tard Piper, avec le flegme d’une Taylor Schilling qui incarne toujours à la perfection ce personnage, (injustement) désavoué par les téléspectateurs à cause de sa capacité à multiplier les mauvaises décision avec une nonchalance déconcertante – et pourtant tellement réjouissante.
Mais le pari de Jenji Kohan est réussi : Piper n’est plus la star de la série, elle n’est plus mise en avant autant que les autres (aucun flashback de lui a été consacré cette année), elle est simplement une détenue parmi d’autres, dans une série chorale magnifique qui réussit la prouesse de compter plus d’une quinzaine de personnages principaux équilibrés et complémentaires. On regrettera toutefois la quasi-absence de Sophia Burset (Laverne Cox), grande oubliée de cette saison, ainsi que l’évolution de Poussey, cantonnée au rôle de l’amoureuse transie pendant toute la saison jusqu’à sa tragique disparition.