Notre récent rédacteur en chef invité rend hommage à Maurice G. Dantec, mort à Montréal le 25 juin, à l’âge de 57 ans.
Soyons clairs, je pense à peu près la même chose qu’à peu près tout le monde : durant ses années Albin Michel, Maurice s’est astreint (a été astreint ? ou quel obscur mélange des deux ?) à un rythme de publication trop élevé ; et les excès pharmaceutiques auxquels il soumettait son corps n’ont probablement rien arrangé (je me souviens encore de son étonnante consommation de pilules variées, et de sa sudation excessive, lors de notre concert commun à Québec en 2000). Il y a cependant toujours, jusque dans ses romans mal fichus, des phrases, des paragraphes, parfois des pages entières illuminées de cette beauté cristalline qui lui appartenait, et lui appartiendra à jamais, en propre.
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Curieusement pourtant (curieusement parce qu’il semblerait a priori que la réflexion philosophique et historique demande un cerveau plus affûté, un temps de réflexion plus long que la construction narrative d’un roman), la partie “essais” de son œuvre ne souffre nullement de cette altération de ses facultés, et il reste du début à la fin à son niveau normal : un peu au-dessus de tous les autres.
Les Résidents, prémices d’une résurrection romanesque
Récemment pourtant, quelque chose était advenu, et Les Résidents montrait indéniablement les prémices d’une résurrection romanesque. Rentrer dans les détails prendrait du temps, ce travail sera fait tôt ou tard, je demande juste pour l’instant qu’on me croie sur parole : Maurice est mort alors qu’il s’apprêtait à donner sa pleine et entière mesure, sur le plan romanesque. Donc là on a une perte sèche, totale. C’est un horrible jour pour l’humanité, pour la beauté, et pour tout.
Nous n’étions pas ce qu’il est convenu d’appeler des proches, je ne connais ni sa femme, ni sa fille, c’est pire pour elles bien évidemment, mais un auteur c’est quand même une espèce de monstre, et il était ce genre de monstre lui aussi, alors je me sens autorisé à parler comme je le fais.
Nous devions nous revoir en novembre, il avait enfin accepté de quitter Montréal pour une conversation avec moi, à Lausanne, en novembre. C’était une espèce de cosmic junction, qui devait avoir lieu, à Lausanne, en novembre. Je m’y préparais avec une joie enfantine, sans le dire à personne, et je savais bien que ce ne serait qu’un début.
Et puis Maurice meurt…
Tout allait bien, pour moi, hier soir. Le vernissage au Palais de Tokyo, le numéro spécial des Inrocks… Et puis Maurice meurt, alors que j’étais persuadé qu’il allait beaucoup mieux. Maintenant j’ai un regret, parce que j’ai failli demander à Nelly de me payer un billet pour Montréal, de faire la rencontre tout de suite (et puis je me suis dit qu’on avait le temps, que c’était déjà organisé pour novembre).
Notre junction c’était apparemment un détail, mais en fait non : je voulais lui dire que je l’aimais toujours, que les bavasseries du Monde sur son “dialogue avec les identitaires” n’avaient rien changé à mes yeux, et puis que j’avais des objections sur la construction de ses romans de la période Albin Michel, enfin c’était sans doute la personne au monde à qui j’avais le plus de choses à dire. On pense toujours qu’on a le temps, on a beau savoir que la mort existe, on n’arrive pas à intégrer l’information. Inattentive children, tels sont les hommes.
J’adresse mes condoléances effarées à ses vrais proches, ceux qui ont accompagné ce génie dans son parcours. Et mes condoléances à ses lecteurs, dont l’horizon est d’un seul coup retréci. Et mes condoléances à moi-même, lecteur aussi mais autre chose, je viens d’en prendre un sale coup (après Guillaume Dustan, après Bernard Maris). Et je regrette pour la Littérature, divinité obscure, qui vient de perdre une manche importante, dans sa lutte avec le Destin.
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