Le 23 juin, le Royaume-Uni votait à 52% pour quitter l’Union européenne. Mais alors que 53% des Anglais cochaient la case Leave l’Écosse optait à 62 % pour rester rattachée à Bruxelles. La Première ministre écossaise, Nicola Sturgeon compte bien tout faire pour que la volonté de son peuple soit entendue, quitte à provoquer un deuxième référendum. Mais qui est donc cette femme aussi crainte à Westminster qu’admirée chez elle ?
Une semaine après le vote au référendum sur le maintien du Royaume-Uni à l’Union européenne, Nicola Sturgeon répond fermement aux questions des membres du Parlement écossais. Une tâche à laquelle elle s’attelle chaque semaine pendant trente minutes.
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Entre deux réponses sur l’avenir du service de santé ou des zones de pêche, la first minister n’hésite pas à égratigner ses opposants : “Ce sont les conservateurs qui ont mené ce pays au bord de la catastrophe.” La saillie est vivement applaudie par la quasi-totalité de l’amphithéâtre.
Quelques minutes plus tard, Nicola Sturgeon renchérit : elle affirme que les Tories “devraient avoir honte” et faire preuve “d’un peu d’humilité”. La dirigeante écossaise, regard brûlant et visage sévère, appuie ses dires d’un “Yeah” insolent. Un peu à la manière d’une jeune militante fougueuse obtenant le dernier mot au pub de l’université. Ce tempérament, cette manière d’être, c’est justement ce qui séduit l’opinion publique.
En novembre 2015, un an après sa prise de pouvoir, la quadragénaire était, selon un sondage YouGov la personnalité préférée des Écossais, devant le tennisman Andy Murray. Une popularité à laquelle David Cameron n’oserait même pas rêver. Il faut dire que le leader du Scottish National Party vient d’un milieu bien différent de celui des élites conservatrices de Westminster.
Duran Duran et Culture Club
Loin d’Eton College, l’internat huppé fréquenté par David Cameron et Boris Johnson, Nicola Sturgeon étudie à la Greenwood Academy, une école banale d’Irvine, un bourg morne de l’ouest de l’Écosse. Son ancien professeur, Roy Kelso, la décrivait dans un article de la BBC paru en 2014 comme “une jeune femme polie, très travailleuse, assez sérieuse mais avec qui on pouvait quand même rire ”.
Fille d’un électricien et d’une infirmière dentaire, Sturgeon entre en politique dès l’adolescence. Un an après avoir rejoint le SNP (Scottish National Party) en 1986, elle s’en va frapper à la porte de Kari Ulrich, militante du parti indépendantiste de longue date. Sûre d’elle, elle lance : “Madame Ulrich, pourrais-je vous aider avec votre campagne ? Je m’appelle Nicola Sturgeon.”
À cette époque, la gamine a 16 ans et fait plus jeune que son âge. Elle porte le cheveu en brosse, un blazer ample et un polo clos jusqu’au dernier bouton. Nicola a le look de ses héros pop : Wham, Culture Club et Duran Duran.
Malgré un premier revers politique – le SNP finit bon dernier – Nicola Sturgeon poursuit son engagement au sein du parti et de la campagne pour le désarmement nucléaire, un de ses thèmes favoris depuis le lycée. Pour faire valoir ses idées, elle s’oriente vers des études de droit à l’université de Glasgow. Là aussi, elle semble respecter un équilibre entre sérieux et détente. David Torrance, auteur de Nicola Sturgeon : A Political Life, sorti en janvier 2015 raconte :
“A Glasgow, elle aimait aller danser de temps à autre. Mais sans trop se laisser aller. Elle a eu au moins deux copains, tous les deux dans liés au SNP. Hormis pour raison politique, elle a peu voyagé. Elle lisait beaucoup, surtout des romans policiers et des biographies historiques.”
Nicola Sturgeon dédie sa vie à ses idées et au parti. Un an après avoir rencontré son futur mari – l’actuel directeur général du SNP, Peter Murrell – en 2003, elle devient vice-présidente du mouvement nationaliste. Son mentor, Alex Salmond, fraîchement élu à la tête du parti doit encore siéger à la Chambre des Communes pour trois ans. Elle prend ainsi la direction du groupe SNP au Parlement.
Pour se conformer à sa nouvelle fonction, elle subit un relookage auquel elle était jusque-là réticente, selon David Torrance. “Elle ne voulait pas se conformer aux codes. Mais à partir de ce moment là, puis en devenant vice-Première ministre en 2007, elle a commencé à prendre son apparence plus au sérieux. Puis elle s’est mise à porter des tenues de créateurs et a changé de coiffure. Elle a pris conscience de l’importance du paraître dans la politique moderne, tout en faisant remarquer que ces attentes étaient encore plus grandes envers les femmes.”
Piqueuse de frites
Selon ses proches collaborateurs, Nicola Sturgeon a certes changé sa garde-robe, mais pas vraiment sa personnalité. Ancien représentant SNP de l’Écosse du Nord-Est, Christian Allard raconte :
“Il y a une dizaine d’années, j’avais emmené mes enfants pour une réunion à Édimbourg. On était en train de manger des frites quand Nicola s’est penchée pour en voler une à ma fille. Elles n’en revenaient pas qu’une femme si extraordinaire puisse être aussi ordinaire.”
Une anecdote qui en rappelle plusieurs. Comme en 1996, quand Nicola Sturgeon, en voyage politique à Melbourne sèche une conférence pour aller voir Trainspotting au cinéma. Un côté madame-tout-le monde qui, selon Christian Allard, la différencie de son prédécesseur : “J’ai fait pas mal de campagnes avec Alex Salmond. Dès qu’il était dans la rue, les gens s’attroupaient vers lui, comme s’ils l’idolâtraient. À l’inverse, un jour dans la rue principale d’Aberdeen, Nicola a préféré marcher que prendre sa voiture officielle de first minister. Avec Nicola, il y a un esprit d’égalité et les gens la comprennent, ils la laissent aller travailler. Ça c’est merveilleux, le fait qu’ils puissent l’approcher quand ils veulent.”
Un nouvel indyref dans deux ans ?
Femme du peuple, Nicola Sturgeon doit également ses résultats historiques à la déliquescence de la classe politique londonienne. Professeur de sociologie à l’Université d’Édimbourg, David McCrone confirme :
“Elle est au bon endroit au bon moment. Elle profite de la faiblesse et de l’échec abject des autres leaders : Cameron restera comme celui qui a détruit le lien des Britanniques avec l’UE et l’Écosse, par pure stupidité. Corbyn n’est lui qu’un opposant professionnel.”
Alors que le chaos règne à Londres – où Boris Johnson s’est finalement retiré de la course à Downing Street – le SNP donne une impression de contrôle. McCrone poursuit : “L’Écosse avance en matière de gouvernance. Sturgeon a fait du SNP une force de centre-gauche, compétente et capable de gouverner. Elle sait qu’elle doit construire une coalition sociale, en gagnant le vote de la partie des classes moyennes qui a voté Non la dernière fois.”
D’après Christian Allard, le parti avait envisagé chaque scenario et Nicola Sturgeon se tenait prête en cas de vote leave. Pour certains, de l’opportunisme, pour d’autres du sens politique. Ce Jeudi 30 juin un porte-parole du SNP révélait à The Scotsman qu’un nouveau référendum d’indépendance pourrait avoir lieu dans deux ans. Malgré l’alarmisme régnant sur le continent, les partisans de Nicola Sturgeon voient le Brexit comme une opportunité pour construire une autre Europe.
David McCrone conclut : “On est à un moment charnière de l’histoire européenne. Les 50 années qui viennent ne seront pas comme les 50 années passées.” Une Europe nouvelle, avec l’Écosse. Avec Nicola Sturgeon.
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