Le street-artist Goin a réalisé ce 23 juin une fresque murale à Grenoble représentant une Marianne en train de se faire matraquer par des policiers. Plusieurs représentants politiques se sont insurgés. Le maire de Grenoble déplore un « débat incongru ».
« Indigne », « inacceptable », « abject » : voilà quelques uns des qualificatifs peu amènes qui sont utilisés depuis ce week-end par les contempteurs du street-artist Goin à propos de la fresque murale qu’il a réalisée à Grenoble le 23 juin, dans le cadre du Street Art Fest’. Parmi ses détracteurs, les huiles de la politique iséroise : le directeur départemental de la sécurité publique Patrick Mairesse, l’ancienne ministre socialiste de l’Education nationale Geneviève Fioraso ou encore le député (LR) Jean-Pierre Barbier. Le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve n’est pas en reste. Sur Twitter il dit attendre du maire de la capitale des Alpes, l’écologiste Eric Piolle, qu’il exprime « ses regrets » aux policiers à propos de cette fresque.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Plein soutien aux policiers qui protègent chaque jour les Grenoblois, et qui attendent d'@EricPiolle qu'il leur dise ses regrets #fresque
— Bernard Cazeneuve (@BCazeneuve) June 26, 2016
« Si le dessin avait été réalisé il y a trois mois, il n’aurait pas suscité la même polémique »
Le motif de cet affront public s’érige sur un mur près de la gare de Grenoble : une peinture murale représentants deux policiers – dont un muni d’un bouclier « 49-3 » – en train de matraquer une Marianne à terre. Dans le contexte, un peu plus d’une semaine après l’assassinat d’un couple de policiers revendiqué par Daech dans les Yvelines, cette représentation a échaudé les esprits.
#StreetArtFest #Grenoble #Isere #France #streetart #grenoble1jour1photo #GOIN pic.twitter.com/4peJ5QXsL7
— Grenoble1Jour1Photo (@Gre1jour1photo) June 27, 2016
Le dessin vaut-il pour autant la logorrhée d’invectives dont il fait l’objet ? « C’est disproportionné, estime Jérôme Catz, organisateur et commissaire d’exposition du Street Art Fest’. Si le dessin avait été réalisé il y a trois mois, il n’aurait pas suscité la même polémique ».
A titre d’exemple, il est vrai que la Une du Monde libertaire d’avril dernier, illustrée par une Marianne éprise d’un CRS – pour symboliser la « dérive autoritaire » de l’Etat – n’avait pas provoqué les mêmes cris d’orfraie. Le fait que cet graffiti survienne dans ce contexte particulier, à Grenoble (où le PS a perdu les dernières municipales) et que le Street Art Fest soit financé en partie par la collectivité locale change la donne.
Pourtant, « le travail des artistes est de mettre en image une actualité, un point de vue, pour faire réagir. Vu la controverse actuelle, c’est qu’il a vu juste », plaide Jérôme Catz. Le commissaire d’exposition précise que cette idée de dessin date d’il y a six mois, et qu’il s’est enrichi du bouclier « 49-3 » au fil de l’actualité.
Le miroir dystopique de La Liberté guidant le peuple
Ce n’est pas la première fois que Goin fait mouche. Cet artiste engagé, « qui ne vit pas de son activité artistique », s’est fait une spécialité de « dénoncer en amont des sujets qui finissent par exploser dans la sphère publique », estime Jérôme Catz. En 2013 à Athènes, il avait ainsi représenté un enfant affamé sur fond du graffiti « Need food not football ». Il avait d’ailleurs inspiré l’artiste brésilien Paulo Ito, auteur d’un graf resté fameux pendant la Coupe du Monde 2014.
https://twitter.com/lmagineArt/status/701951168205996036
Rien de nouveau sous le soleil : le street art a toujours été – comme d’autres formes d’expression, et Banksy ne le démentira pas – le bras armé de la protestation sociale. Mais cette fois-ci, le climat a rendu l’œuvre explosive. Depuis un certain temps déjà, les syndicats de police protestent contre la « haine anti-flics » qui s’est répandue à l’occasion du mouvement contre la « loi travail » ; et le récent meurtre d’un couple de policiers a rendu toute critique à l’égard des bleus délicate.
Le jour suivant l’inauguration de la fresque, pour désamorcer la polémique, Goin a décidé d’y ajouter le titre qu’il avait préalablement choisi pour celle-ci – L’Etat matraquant la Liberté, miroir dystopique de La Liberté guidant le peuple -, pour bien montrer qu’il ne s’agit pas d’une représentation frontale de l’individu policier. En vain.
« L’art a toujours été subversif et continuera de l’être »
Eric Piolle n’a cependant pas l’intention de courber l’échine face aux pressions :
« L’art a toujours été subversif et continuera de l’être. C’est précisément dans les périodes troubles que la liberté d’expression doit servir de boussole ».
Et de renverser l’accusation du ministre de l’Intérieur, qui l’a interpellé sur Twitter :
« Si Bernard Cazeneuve pense que les élus doivent juger, contrôler, démanteler des œuvres d’art, qu’il le dise. Je pense au contraire qu’il faut défendre la liberté de création et d’expression. »
Dans un détail du dessin de Goin, l’allégorie de la Liberté repose son coude sur une pile de livres, parmi lesquels 1984 de George Orwell, et Brave New World de Aldous Huxley – deux contre-utopies classiques dénonçant les Etats totalitaires ultra-répressifs.
N’allant pas jusque là, Eric Piolle encourage toutefois ses adversaires à aller au bout de leur raisonnement – qui conduirait de facto à la censure :
« Qu’ils disent dans ce cas qu’il faut dresser une liste d’œuvres autorisées et d’œuvres non-autorisées. J’ai derrière moi, dans mon bureau, un tableau représentant la Journée des Tuiles, sur lequel des citoyens lancent des pierres sur des militaires. Est-il autorisé ou pas ? Qu’ils me le disent. Ce débat est incongru. »
Sur son site internet, Goin porte l’estocade à ses contradicteurs en une citation (en anglais, souvent transformée et faussement attribuée à Benjamin Franklin) : « Ceux qui sont prêts à sacrifier leur liberté essentielle en échange d’une sécurité temporaire, ne méritent ni Liberté, ni Sécurité ».
{"type":"Banniere-Basse"}