Eugénie Ravon est une comédienne de 31 ans qui vit à Paris. Pendant deux mois, elle a tenté de vivre au quotidien uniquement grâce à l’économie collaborative. Son aventure est résumée dans le documentaire « 60 jours collaboratifs » réalisé par Sylvain Pioutaz et diffusé sur la chaîne Youtube du site de petites annonces Le Bon Coin depuis le 10 juin.
Le documentaire diffusé sur la chaîne Youtube du Bon Coin compte près de 10 000 vues, est-ce que vous avez eu beaucoup de retours ?
Eugénie Ravon – Nous sommes surpris du nombre de vues sur Youtube parce qu’au début, nous avions un peu peur ! Pour l’instant j’ai de bons retours avec les internautes, cela correspond aux préoccupations dans l’air du temps. Sur ma page Facebook qui s’appelle « Les 60 jours d’Eugénie », beaucoup d’inconnus m’ont envoyé des messages privés pour m’encourager. Les spécialistes du collaboratif quant à eux, me disent souvent que j’aurais pu aller plus loin encore dans ma démarche, je l’entends tout à fait, mais ce n’était pas le postulat de départ de ce documentaire.
https://www.youtube.com/watch?v=jkxK4HUT02o
Quel était ce postulat ?
L’idée c’était vraiment d’avoir le regard d’une novice citadine qui s’intéresse à ce qui se passe autour d’elle sur les nouvelles formes d’économie. C’est un peu un baromètre sur ce qui se passe entre la Suisse, l’Allemagne, la Provence et les Yvelines lointaines. (rires) C’était pour parler à tous, avec humour, du phénomène, plutôt que de faire un documentaire spécialisé sur le collaboratif, sinon je n’aurais pas été la bonne personne parce que comme on peut le voir, je ne suis pas toujours enthousiaste. (rires)
Le but est de montrer la partie immergée de l’iceberg, et si cela peut donner envie à des gens de passer par ces plateformes, et regarder ce qu’il se passe au niveau local, ça serait génial.
Comment s’est déroulé le tournage ?
Pour nous, c’était vraiment intéressant de jouer le jeu de l’immersion. J’avais regardé des documentaires comme Made In France ou Ma vie zéro déchet. Ce qui est intéressant dans les documentaires incarnés comme ceux-là, c’est que les gens jouent le jeu. J’ai vu d’autres choses traitées par des vrais journalistes, par exemple un reportage sur l’ubérisation, on voyait bien que le journaliste avait testé l’application pendant une heure seulement, ce n’était pas suffisant. Pendant l’étape du vélo (Eugénie a livré des plats chauds à vélo pendant deux mois-ndlr), mon appréhension n’était pas du tout la même, j’ai eu une expérience très empirique des choses ! Nous sommes très en retard par rapport à l’Allemagne. Dans les dix prochaines années, l’économie collaborative est inéluctable, c’est comme dire « je ne suis pas sûr que j’aime internet » il y a dix ans. On va faire avec cette économie là.
Ça peut paraître surprenant d’avoir choisi une comédienne plutôt qu’une journaliste de terrain
C’est vrai qu’une journaliste aurait été bien plus compétente que moi sur les interviews, ce n’est pas mon métier et j’ai bien compris qu’il était très exigeant ! L’ambiguïté réside dans le fait que ce travail repose aussi sur ma personnalité, c’est pourquoi je me suis dit que j’allais être moi-même au casting. Je ne pouvais pas leur faire croire que je connaissais tout sur le collaboratif, ça m’intéressait absolument d’en savoir plus et ça correspond à des préoccupations citoyennes. Avec tout ce qui se passe en moment dans le monde, ça donne un tout petit peu envie de regarder autour de soi. Une partie de l’économie collaborative permet de rencontrer du monde, et j’adore cette perspective.
Est-ce que vivre à 100% du collaboratif n’est pas une utopie ?
Le but était de voir dans quelles mesures cela était possible et tout au long de mon expérience, cela s’est fait progressivement. Mes habitudes ont changé, ce sont seulement de nouveaux réflexes à prendre. Ce qui au départ me semblait un peu étrange entre finalement complètement dans l’ordre des choses. Ça crée un nouveau rapport au temps. Dans une période de course avec les médias et les réseaux sociaux, c’est la course à l’immédiateté. Ce documentaire m’a permis de comprendre comment chacun reprenait possession de son temps. On peut avoir une vie empreinte de toutes ces habitudes.
Mais la condition de base c’est d’être connecté ?
C’est là toute la schizophrénie du système. Aujourd’hui nous sommes en train de créer de nouvelles valeurs en utilisant des choses très modernes comme un Iphone produit au fin fond de la Chine. Il permet de créer du lien avec les gens et de contribuer à de la low économie et à la décroissance. Aujourd’hui quelqu’un peut être soucieux de la façon dont le monde fonctionne et en même temps participer à cette société de consommation très développée. On y cherche nos repères pour qu’elle nous ressemble un peu.
Certaines personnes vivent une utopie comme en Allemagne, ils cherchent à vivre à 100% dans une logique d’horizontalité mais là, on bascule dans le militantisme alors que dans ma démarche, n’importe quel citoyen peut changer ses pratiques.
Qu’est ce qui a changé dans votre quotidien depuis la fin de ce documentaire ?
J’essaye de répertorier les produits qui sont produits en France mais cela coûte plus cher. Pour le même prix, je peux m’acheter une fringue au lieu de quatre chez H&M. J’essaye de repenser les choses. J’aurais trouvé ça triste qu’après mes aventures, aucune de mes habitudes n’aient changées. J’ai l’impression d’être beaucoup moins passive et beaucoup moins défaitiste car j’ai vu des des initiatives qui fonctionnaient. Dans mes pratiques quotidiennes, je vais à la coopérative alimentaire, je suis plus soucieuse de manger bio, j’ai tendance à aller dans des friperies. Je ne vais plus dans les grandes enseignes pour tout ce qui est vêtement. Finalement, j’accepte d’avoir moins, mais mieux.
Quand vous cherchez des objets, à manger ou un logement, vous utilisez le site du Bon Coin, l’économie collaborative ne se limite pourtant pas au Bon Coin…
Au départ l’idée était de partir du Bon Coin car l’équipe voulait savoir ce qui était possible avec cette plateforme. Beaucoup de transactions immobilières passent par ce site aujourd’hui. Mais il y a d’autres enseignes qui ne sont pas citées. Pour une diffusion télévisée, il faudrait citer toutes les plateformes ! Je me suis sentie vraiment libre et je me reconnais totalement dans ce documentaire. Heureusement que l’aventure ne dure pas un an, car tout d’un coup, toute notre vie est tendu vers cet objectif là. Il faut savoir prendre un peu de recul sinon, tu dors collaboratif, tu manges collaboratif, tu vois tout à travers ce prisme.
Quelle est la suite ?
Je ne sais pas trop ce que je peux vous dire pour l’instant. Je sais que le documentaire passera à la télé à la rentrée dans une version plus courte, mais je ne sais pas encore sur quelle chaîne. C’est en train de se faire. Ce qui est bien c’est qu’il y aura une vie télé pour ce documentaire pour avoir plus de visibilité. Etant donné que ce film a été impliquant pour moi, (rires) c’est bien de se dire qu’il sera vu en dehors du net.