En mai dernier, l’Association végétarienne de France publiait un plan du premier “végé-quartier” parisien. Un hotspot à cheval entre les IXe et Xe arrondissements qu’elle a baptisé « Veggie Town ». Un cas rare, mais pas unique au monde.
Tous les jours, à l’heure du déjeuner, c’est la cohue dans les cantines, comptoirs de street-food et restaurants asiatiques des rues de Paradis et du Faubourg-Poissonnière. Les tables sont prises d’assaut par des végétariens (qui ne consomment ni viande ni poisson), des végétaliens (qui refusent les produits d’origine animale, laitages et œufs compris), des véganes (opposés, en plus, aux fourrures, cuirs, laines, soies, et tests sur les animaux) sans oublier les flexitariens (consommateurs de viande modérés). Aux menus de ces nouvelles adresses : burgers aux lentilles corail, steaks de butternut, lasagnes au tofu, hot-dog aux saucisses de soja, spaghettis de radis noir, etc.
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Un village végétarien dans l’Est parisien
C’est justement dans ce quartier que se trouvent les bureaux de l’AVF (rue d’Hauteville). La présidente, Élodie Vieille-Blanchard, est à l’initiative d’une carte de ce qu’elle a appelé le « Veggie Town » parisien. « Mettre un nom sur une réalité contribue à la rendre plus visible, et même à la renforcer”, explique-t-elle.
Le plan du quartier met en lumière une concentration de restaurants, snacks et épiceries spécialisées sur un minuscule périmètre. Au total, une dizaine de commerces végétariens ou véganes, et une quinzaine de spots identifiés comme « végé-friendly » (qui proposent des options veggies) y sont référencés. On y trouve l’une des quatre adresses de l’incontournable Café Pinson, ainsi que de nombreuses enseignes aux noms très explicites : Le Végétarien, Végébowl, VG, Las Vegans… Et la liste s’allonge : « On nous a signalé deux restos rue des Petites-Écuries. » Le Potager de Charlotte, l’une des rares tables végétariennes gastronomiques à Paris, est, lui, installé un peu plus loin dans le IXe, rue de la Tour-d’Auvergne.
Des adresses veggies partout dans Paris
Sébastien Kardinal, rédacteur en chef du site VG-Zone et auteur des ouvrages culinaires À la française et Ma petite boucherie vegan constate lui aussi que « depuis trois ans, il y a une véritable explosion dans le quartier ! » Il est convaincu que l’endroit va devenir « un pôle d’attraction pour de futurs commerces liés au végétarisme. »
Élodie Vieille-Blanchard a repéré des personnalités de la sphère veggie dans le quartier, comme la porte-parole de la Peta France ou le chef végane Olivier Picard. Dans son guide du Paris végétarien, la journaliste Alcyone Wemaere a répertorié une petite centaine d’adresses veggies, véganes et veggie-friendly dans la capitale. Son avis sur la délimitation de Veggie Town est plus nuancé. « On ne peut pas réduire l’offre végétarienne de Paris à un quartier. Il faudrait au moins élargir globalement à l’Est parisien. Et puis, il y a d’autres micro-spots où on peut manger veggie dans Paris, comme le Marais. » Les amateurs de cuisine végétale se donnent aussi rendez-vous chez Oatmeal, dans le Ve, à l’heure du thé, ou au Super Vegan, du côté de la Porte de Clichy (XVIIe) pour le dîner.
Le boum des années 2010
S’il est aujourd’hui relativement facile de trouver une table végétarienne, cela n’a pas toujours été le cas. « Avant, à Paris, c’était compliqué de manger veggie, se souvient Alcyone Wemaere. L’offre se limitait à des restaurants sympathiques mais servant une cuisine assez rustique, dans une ambiance un peu post-soixante-huitarde, comme à l’Aquarius, dans le XIVe. L’ouverture de la cantine bio Soya, dans le XIe, en 2009, a marqué un vrai tournant : c’est un lieu à la fois simple et branché.” Dans les années qui ont suivi, une flopée d’autres espaces ont fleuri dans Paris : « Vegan Folie’s, une petite boutique de cupcakes vegans et bio très branchée, dans le Ve arrondissement. Et le Gentle Gourmet, dans le XIIe. Plus récemment, il y a eu toute une vague autour du burger végétarien, avec des enseignes comme East Side Burgers, Hank ou MOB. »
La Schivelbeiner Strasse : une avenue végane à Berlin
Alcyone Wemaere rappelle que « Paris a longtemps été très en retard sur le phénomène végétarien par rapport à d’autres capitales comme Londres ou Berlin, où on peut manger veggie partout, depuis longtemps. » Un décalage de quelques décennies dont l’une des causes serait que « le végétarisme est traditionnellement plus développé dans les pays de culture protestante. »
Quoi qu’il en soit, d’autres villes sont citées en exemples par les adeptes : Amsterdam, Tel-Aviv, Washington D.C, San Francisco, Los Angeles, New York… Mais, les « végé-quartiers » sont finalement assez rares.
Pour Sébastien Kardinal “à Londres, il n’y a pas de quartier pouvant afficher une telle étiquette, alors que le végétarisme y est largement plus implanté qu’à Paris”. En revanche, “Berlin a son avenue végane, la Schivelbeiner Strasse, avec des boutiques d’alimentation, de chaussures, de vêtements, et bien sûr des restaurants et des cafés végétaliens. »
Une conséquence de la gentrification
L’émergence de ces quartiers « veggies » est-elle tout simplement l’une des conséquences de la gentrification ? Les rues du plan dessiné par l’AVF ont en effet beaucoup changé en quelques années. Les magasins bio (Paris So Bio Tiful, La Vie Claire, Bio C Bon), les épiceries fines (Balibert, Dada Paradis), les adresses gluten free (Fée Nature) et les bars à la mode (Le Fantôme, L’Ours Bar) se sont multipliés pour satisfaire une nouvelle clientèle de trentenaires aisés. Elodie Vieille-Blanchard concède que le coin est « branché, avec beaucoup de start-ups, et une population de bureau qui a à cœur de manger sain. » Alcyone Wemaere remarque que « dans tous les arrondissements bobos, il y a des adresses veggies. »
Cet été, c’est sorbet véganes à volonté !
On ne compterait en France que 2 % à 3 % de végétariens. Mais 10 % de la population envisagerait de le devenir. Les évènements organisés par les militants (la Veggie Pride , le Paris Vegan Day , le salon Veggie World , les marchés « Vegan Place »), ainsi que les campagnes de sensibilisation (les vidéos virales de l’association L214 dénonçant le traitement des animaux dans les abattoirs, les études sur les risques de cancers liés à la consommation de viande rouge, les reportages sur les conséquences écologiques et sociales de l’élevage dans les pays en développement) incitent de plus en plus de gens à repenser leurs habitudes alimentaires. Une tendance qui n’a évidemment pas échappé aux professionnels du marketing. Cet été, les Américains dégustent les glaces au lait d’amande de Ben & Jerry’s, et les Français les sorbets véganes d’Amorino. Dans les quartiers de leur choix, bien entendu.
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