Avec un album ambitieux et généreux, l’Américain IRON & WINE transforme sa cabane en rondins en cathédrale. Déjà un grand album de 2011.
C’est un pays où les barbus ont pris le pouvoir : la république du nouveau folk américain. Will Oldham, Bon Iver, William Fitzsimmons, parmi d’autres, en sont les mollahs. Tous portent la barbe de préférence longue et drue. La palme revenant à Samuel Beam, petit génie pluri disciplinaire (cinéaste, peintre, musicien) qui se cache derrière l’énigmatique enseigne d’Iron & Wine et dont le visage aux yeux doux est avalé par une épaisse barrière de poils qui lui ondule jusque dans le cou.
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Ses deux premiers albums révélaient une certaine coïncidence entre ce look d’ermite et une musique semblant s’inspirer de la lecture du Walden de Henry David Thoreau, ce quasi manuel de survie où l’écrivain raconte comment il a vécu seul pendant deux ans dans une cabane en rondins près d’un étang. Beam s’abreuvait alors dans les eaux primitives et les rêveries rousseauistes d’un folk dépouillé à l’extrême, semait ses notes de banjo dans le sillon de ballades tracées à la main, ciselait à même le bois des refrains pour veillée ou des berceuses qu’il chuchotait pour endormir les enfants.
Originaire de Caroline du Nord, l’homme a vécu en Floride avant de s’installer dans une maison des environs d’Austin au Texas transformée en studio, où il vit avec sa femme et leurs cinq enfants, rien que des filles. Cette image d’Epinal du musicien ayant fuit la corruption citadine pour revenir aux valeurs essentielles de la famille, de la vie au grand air et de l’acoustique, l’intéressé s’est lui-même chargé de l’écorner. D’abord en collaborant il y a cinq ans avec les cow boys de Calexico puis en réalisant Shepperd’s Dog où il s’affranchissait nettement du puritanisme monochrome des précédents albums.
Et voici que nous parvient Kiss Each Other Clean. Et là, à l’évidence, le gentil pêcheur de l’étang s’est changé en chasseur de baleines et sa cabane en bois en cathédrale, avec grandes orgues et ruissellement de lumières à travers les vitraux. L’album commence doucement, lentement, par le magnifique Walking Far From Home, confession d’un pèlerin qui s’étant volontairement égaré loin de chez lui rencontre “des pécheurs (au sens biblique cette fois) en train de faire de la musique”. Incapable de résister, il avoue se noyer “dans le son” comme si la tentation était trop forte, la transgression irréversible. Avant la fin, il disparaîtra sous une cascade de voix angéliques. En cheminant, on saisit mieux la parabole.
Les références aux Ecritures ont beau foisonner tout du long (Me & Lazarus), il est clair que pour Mister Beam rien n’est vraiment sacré, rien n’est interdit. La frangipane prog-rock de Rabbit Will Run, le caramel funky de Big Burned Hand, la pièce montée de Your Fake Name Is Good Enough For Me, son prélude ethio-groove et sa bénédiction finale, le prouvent.
Ils font bien plus songer à l’arrivée à maturation d’un fan de Todd Rundgren et de Brian Wilson qu’aux relents tardifs d’un énième disciple de Nick Drake. Ambitieux, généreux, curieux, maîtrisé (le producteur Brian Deck a là sa part de mérite) Kiss Each Other Clean est le grand trek pop de ce début d’année. Beam ne chuchote plus. Il chante comme s’il apercevait au loin les premiers reliefs de la terre promise. Et s’il porte toujours la barbe, c’est à rebrousse poil.
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