Alors que le référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l’Union Européenne est soumis aujourd’hui au vote, les tensions entre pro et anti Brexit sont accrues. L’économiste et spécialiste du Royaume-Uni Catherine Mathieu analyse les conséquences d’un éventuel Brexit.
Les Britanniques votent aujourd’hui pour décider de leur maintien ou de leur sortie de l’Union Européenne. Ce possible Brexit agite les débats depuis maintenant plusieurs mois. Quelles en seraient les conséquences s’il est voté ce jeudi 23 juin ? L’économiste et spécialiste du Royaume-Uni Catherine Mathieu a répondu à nos questions.
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Selon vous, les conséquences d’un Brexit auraient-elles un réel impact sur les économies des pays membres de l’Union Européenne (UE) ?
Catherine Mathieu – Tout dépend de la façon dont on mettra en place des accords entre le Royaume-Uni et le reste de l’Union Européenne au lendemain d’un Brexit. Dans le cas le plus favorable, qui me semble être le plus probable, les pays de l’UE négocieront très rapidement avec le Royaume Uni pour permettre de continuer les échanges qu’il y a actuellement entre le Royaume Uni et le reste de l’UE. Dans ce cas, l’impact sur l’économie britannique et sur les économies européennes serait très faible. Les échanges commerciaux entre le Royaume-Uni et le reste de l’UE sont très importants : un peu moins de 50% des exportations britanniques vont vers l’UE et près de 10% des exportations françaises vont vers le Royaume Uni. Il y a, du côté de l’Europe continentale, des excédents commerciaux avec le Royaume-Uni. On a donc intérêt, sur le plan économique, à garder des liens privilégiés avec le Royaume Uni. Si on met en place des accords de libre-échange au lendemain du Brexit, c’est à dire dans les deux ans qui sont prévus pour la procédure de sortie du Royaume Uni, il n’y a pas d’impact économique.
Dans le cas défavorable, au lendemain du Brexit, les pays membres de l’UE décident de mettre en place des barrières douanières pour punir le Royaume-Uni. Si on met en place des droits de douane pour pénaliser les exportations du Royaume Uni vers l’UE, on peut imaginer que les britanniques vont rapidement freiner les importations de l’UE. On rentrerait donc dans une querelle commerciale entre le Royaume Uni et l’UE, qui signifierait une baisses des échanges commerciaux et un impact économique plus important. Malgré tout, cet impact économique serait pour l’économie française de 0,2% à 0,3% de perte sur le PIB, ce qui n’est pas négligeable mais ne constitue pas un choc très important.
Un nouvel accord entre Royaume Uni et l’UE semble donc essentiel au bien être économique des deux parties.
Oui, c’est une question de rationalité économique. Si les pays de l’UE commencent au lendemain du Brexit à réfléchir à des sanctions économiques, les exportateurs allemands, français, vont se plaindre à leurs gouvernements respectifs. D’autre part, il y a aussi un certain nombre de projets communs, comme Airbus qui réunit l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France. Au lendemain du Brexit, il me semble évident que les dirigeants d’Airbus vont compter sur le fait qu’on conserve ce marché libre pour continuer à produire. C’est vrai dans le secteur de l’énergie ou de la défense, où les industriels seront très demandeurs de la conservation de ce marché unique.
Nick Clegg avait affirmé que 3 millions d’emplois reposaient au Royaume-Uni sur l’appartenance du pays à l’UE. En cas de Brexit, quelles seraient les conséquences sur le marché de l’emploi britannique, pourtant bien portant ?
En fait, les conséquences dépendront du type d’accord qui sera mis en place. Dans le cas le plus favorable, où l’on maintient un marché unique, il n’y a pas de conséquences pour le marché de l’emploi britannique et ses millions d’emplois liés aux exportations. Dans le cas où il y a une mise en place de barrières douanières, à très court terme, il y aurait un impact négatif pour les exportateurs britanniques et donc pour l’emploi. Il y a d’autres effets qui jouent sur l’emploi, parmi lesquels le niveau de la livre. Depuis plusieurs semaines, le gouverneur de la Banque d’Angleterre dit qu’il pourrait y avoir une baisse de 10% de la livre sterling. Si elle baisse de 10%, je pense que ce ne serait pas nécessairement mauvais pour l’économie britannique. Actuellement la livre est surévaluée, notamment par rapport à l’euro, et il y a un déficit commercial du Royaume-Uni par rapport à l’UE : c’est le signe que les exportations britanniques ne sont pas assez compétitives et que le taux de change est trop élevé. S’il n’y a pas d’accord douaniers, la livre baissera et donc redonnera de la compétitivité aux exportations britanniques. Il n’est pas dit donc que les exportations et la croissance soient très pénalisées, on aurait donc pas de conséquences sur l’emploi. Mais on se situe dans un univers complètement incertain. Comme l’a dit David Cameron, ce Brexit est « un saut dans l’inconnu ».
Les contraintes imposées par l’UE en matière de régulation économique ont souvent été invoquées par le camp pro-Brexit pour justifier la sortie de l’UE. En cas de Brexit, pourrait-on assister à un tournant libéral de la part du Royaume-Uni ?
C’est un des points important dans ce débat. Aujourd’hui le Royaume-Uni, en étant membre de l’UE, doit respecter se réglementation mais peut aussi l’influencer. Depuis toujours, il essaie de réduire la réglementation européenne. Dans l’accord de février obtenu par David Cameron, il est dit que si le Royaume-Uni reste dans l’UE, celle-ci s’engager à aller vers un modèle moins réglementé. Ce point est toujours présent dans les demandes des britanniques, particulièrement chez les conservateurs. L’argument des partisans du Brexit, c’est de dire que si le Royaume-Uni sort de l’UE, il n’y aura plus d’obligations et ils pourront faire ce qu’ils veulent. On peut imaginer un scénario où les britanniques baisseraient davantage leur impôt sur les sociétés pour attirer les investisseurs étrangers, et abaisseront la réglementation pour favoriser leurs entreprises. C’est vrai pour tous les secteurs de l’économie, et particulièrement pour la City, la deuxième place financière mondiale. Comme le Royaume-Uni est dans l’UE, la City doit respecter les règles européennes. Si le Royaume-Uni sort, la City aurait les mains libres pour faire ce qu’elle souhaite. On aurait donc un grand paradis fiscal aux portes de l’UE.
Un Brexit permettrait-il au Royaume-Uni de se démarquer sur le plan économique mondial ou se retrouverait-il exclu des négociations importantes ?
Chez les partisans du « remain », comme Barack Obama ou certains dirigeants européens, il pourra pousser l’UE à aller vers des accords de commerce libéraux. En étant à l’extérieur, il sera seul mais se trouvera dans une vision libérale de l’économie qui correspond aux types d’accords qui se négocient aujourd’hui. Il sera donc dans la tendance très libérale des Etats-Unis et de l’OMC. Il ne sera pas marginalisé, mais cela fera une force libérale en moins dans l’UE. Celle-ci pourrait donc essayer de mettre en place des politiques moins libérales en cas de Brexit.
L’immigration a été un thème central de la campagne pro-Brexit. Le parti anti-européen Ukip abordait notamment une « reprise du contrôle sur les frontières ». Une sortie de l’UE permettrait-elle un tel scénario ?
Le fait d’appartenir à l’UE oblige le Royaume-Uni à accepter la libre-circulation des travailleurs en provenance de l’UE. C’est très paradoxal que le Royaume-Uni, qui a toujours été pour la libre-circulation des marchandises, des services, des capitaux et du travail, se trouve aujourd’hui à vouloir réduire l’immigration en provenance de l’UE. Les britanniques étaient les seuls en 2004, avec l’Irlande et la Suède, à ne pas avoir mis de restrictions à l’entrée des travailleurs des nouveaux pays membres. Aujourd’hui il y a 250 000 à 300 000 travailleurs de l’UE qui travaillent aux Royaume-Uni. En étant membre de l’UE, le Royaume-Uni ne peut rien faire si ces personnes ont un emploi. En sortant de l’UE, il peut limiter l’immigration en provenance de l’UE comme il le fait avec les pays du Commonwealth.
Dans ce cas, l’inverse ne deviendrait-il pas complexe pour les Britanniques voulant travailler dans l’UE ?
Effectivement, si les britanniques limitent l’immigration, les autres pays de l’UE mettraient en place les mêmes politiques. Pour tous les britanniques qui souhaitent travailler dans l’UE, cela pourrait poser problème. On entrerait dans un contrôle de la circulation des travailleurs à l’intérieur de l’UE, ce qui serait une première depuis sa création. Actuellement les flux de migrations ne sont pas symétriques. Ce sont les nouveaux pays membres qui vont vers le Royaume-Uni, tandis que les britanniques vont plutôt vers la France, l’Espagne ou l’Italie. Cela se passerait donc au cas par cas.
Le point le plus important c’est qu’aujourd’hui, l’économie est en très bonne forme au Royaume-Uni. Les immigrés qui sont abordés dans la campagne du Brexit ont un emploi, cotisent pour le système de santé, et sont vraiment actifs dans l’économie. Il est donc étonnant qu’une partie des britanniques veuille stopper cette immigration. Les raisons n’en sont clairement pas économiques.
Propos recueillis par Margot Zaparucha
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