Nigel Farage milite pour sortir de l’Union Européenne depuis plus de 10 ans mais il est perçu comme un personnage clivant. Le leader du Ukip est-il un atout ou un boulet pour les partisans du Brexit ?
Le référendum sur le Brexit devrait être l’heure de gloire de Nigel Farage. Depuis son accession à la tête du Ukip, le parti pour l’indépendance du Royaume-Uni, en 2006, il s’est imposé comme le visage de l’euroscepticisme de droite. Si le Premier ministre conservateur David Cameron a promis ce référendum qui lui a probablement assuré sa réélection en 2015, c’était en partie pour endiguer la montée du Ukip, arrivé en tête aux élections européennes de 2014.
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Mais en avril dernier, le groupe soutenu par Nigel Farage, Grassroots Out, n’a pas été choisi comme campagne officielle. La commission électorale a préféré Vote Leave, le groupe mené par deux conservateurs, l’ancien maire de Londres Boris Johnson et le ministre de la justice Michael Gove, jugé plus pluripartite. Et Vote Leave n’a pas tendu la main à Nigel Farage, bien au contraire. Quand la chaîne ITV a annoncé que le leader du Ukip représenterait le camp pro-Brexit face à David Cameron lors d’un débat télévisé sans confrontation début juin, la campagne officielle a réagi au quart de tour et menacé la chaîne privée de la poursuivre en justice. Selon elle, Nigel Farage n’est pas la personne la mieux placée pour convaincre les indécis. « Ils disent tous les jours que je suis toxique », se plaint-il au Guardian par la suite, en traitant au passage les responsables de Vote Leave de « crétins ».
« Nigel Farage n’est qu’un amateur »
Ces « crétins » font partie de l’ancienne famille politique de Farage, le parti conservateur, au pouvoir quand le Royaume-Uni a signé le traité de Maastricht en 1992. Déçu, Farage rejoint les rangs l’Anti-Federalist League renommé UKIP en 1993, un parti de protestation fraîchement créé par l’historien Alan Sked. Résolument europhobe, le parti n’a « pas de programme politique ou économique » et « n’aura plus grand intérêt en cas de Brexit », analyse Michael Skey, professeur de sociologie à l’Université de Londres-Est.
« Nigel Farage n’est qu’un amateur, il ne veut pas professionnaliser son parti », lâche au bout du fil Alan Sked qui a claqué la porte en 1997 et dit désormais que son parti est devenu « raciste ». Si Ukip n’a pas réussi à s’imposer dans le paysage politique britannique autant que le FN en France, il se présente lui aussi comme un parti anti-establishment et tente de se débarrasser de son étiquette de parti d’extrême droite xénophobe pour élargir son socle électoral – composé majoritairement d’hommes blancs issus de la classe ouvrière et du milieu rural. C’est d’ailleurs à cause du « bagage historique compromettant » du FN que Nigel Farage refuse de s’allier à Marine Le Pen au Parlement européen en 2014.
Et pourtant, il est tout aussi clivant qu’elle. Mais pourquoi la campagne officielle cherche-t-elle à marginaliser Mister Brexit ? Probablement parce que Nigel Farage est un personnage clivant : il attire autant qu’il rebute. Quand il débarque à bord de son bus de campagne couleur aubergine dans le quartier de Kingston, situé au sud-ouest de Londres, il est accueilli par des « Nigel, on t’aime » et quelques « raciste ! ». « Il n’est pas raciste », nous assurera l’un de ses fans venu à sa rencontre malgré la pluie, « Nigel est honnête et la vérité dérange parfois ». Quitte à aller trop loin. Beaucoup trop loin.
« Exploiter la misère des réfugiés syriens »
Quelques heures avant l’assassinat de Jo Cox, le jeudi 16 juin, Ukip dévoile une affiche de très mauvais goût qui confirme l’analyse de Michael Skey : « Plus le référendum approche, plus Nigel Farage joue avec les peurs ». Cette affiche reprend une photo prise en 2015 qui montre une file de réfugiés traverser la frontière entre la Croatie et la Slovénie. Elle est accompagnée d’un slogan rouge alarmiste « Point de rupture » et d’une légende : « L’UE nous a déçus. Nous devons nous libérer de l’UE et reprendre le contrôle de nos frontières. »
La campagne du #Brexit menee par Nigel Farage du UKIP joue la carte de la xenophobie et du racisme. #EUreferendum pic.twitter.com/Tw8jYrkJ1O
— Philippe Marlière (@PhMarliere) 16 juin 2016
Quasiment unanime, la classe politique l’accuse d’« exploiter la misère de la crise des réfugiés syrienne », de pratiquer « une politique de bas étage », de « nuire à la cohésion de la communauté britannique ». De son côté, Michael Gove « frémit » et le chancelier de l’Échiquier, pro-européen, compare l’affiche à de la « littérature des années 30 », tandis que des internautes la met en parallèle avec de la propagande nazie sur Twitter.
Your new poster resembles outright Nazi propaganda, @Nigel_Farage. Thanks to @brendanjharkin for pointing it out. pic.twitter.com/Rd89XZSvfD
— Connor Beaton (@zcbeaton) 16 juin 2016
Jo Cox, l’anti-Farage
Ce jour-là, la députée travailliste pro-européenne de 41 ans Jo Cox est assassinée par un homme proche de l’extrême droite dans le nord de l’Angleterre. Quelques jours plus tôt, elle avait publié une tribune dans le Yorkshire Post où elle expliquait que le Brexit n’était pas une réponse aux inquiétudes sur l’immigration. En début d’année, elle avait appelé le gouvernement à accueillir des enfants réfugiés et à la fin du mois, elle devait présenter au Parlement un rapport sur l’islamophobie réalisé avec le groupe Tell Mama. Cette étude devrait montrer que les attaques contre les musulmans ont augmenté de 80% au Royaume-Uni en 2015 selon le Guardian. En un mot, elle était l’anti-Farage.
Suite à cet assassinat, plusieurs personnalités politiques, comme le maire de Londres Sadiq Khan, ont appelé à calmer le jeu. « Le Premier ministre et la campagne pour le maintien essayent d’associer les actions d’un individu fou et les motivations de la moitié des britanniques », peste de son côté Nigel Farage sur LBC lundi matin. De mauvaise foi, il ose même affirmer que son affiche n’aurait pas suscité une telle polémique sans ce tragique événement.
En vérité, ce n’est pas la première fois que le leader du Ukip diabolise les migrants et se fait incendier. Au tout début du mois de juin, il a prévenu que les attaques de Cologne pourraient se reproduire au Royaume-Uni si les migrants obtenaient un passeport et profitaient de la libre circulation pour s’installer sur l’île. « Je pense qu’Angela Merkel a fait une grosse erreur en disant à tout le monde de venir et il y a un grand nombre d’hommes célibataires installés en Allemagne et en Suisse qui viennent de cultures où les comportements envers les femmes sont différents », répond-t-il aux deux jeunes femmes du public qui s’agacent contre lui lors du fameux débat télévisé d’ITV.
Nigel en roue libre
C’est exactement ce genre de discours qui crispe Vote Leave, et les partisans du Brexit. « Il n’aide pas à convaincre les indécis », pense Dreda Say Mitchell, une auteure de polars favorable à la sortie de l’UE.
« Je connais plusieurs personnes issues de minorités ethniques qui ne disent pas ouvertement qu’elles voteront pour la sortie de l’UE, ou pire, qui vont choisir de rester parce qu’elles ne veulent pas être associées à Nigel Farage. »
Dreda Say Mitchell a fait personnellement les frais de l’« honnêteté » du leader du Ukip lors d’un débat organisé par le Daily Mirror en mai. A cette occasion, l’auteure noire s’est retrouvée assise à côté de Nigel Farage. Si le leader du Ukip a été « encourageant » avec elle avant le début des hostilités, il n’a pas hésité à lancer à son adversaire pro-UE : « Vous voulez nous renvoyer la diversité à la figure ! ». « Comment pouvez-vous dire ça alors qu’une femme noire est assise à côté de vous ? », ont protesté en chœur Dreda Say Mitchell et l’intervenant visé.
« C’est une remarque blessante, qui donne l’impression que je ne fais pas partie de la société », explique-t-elle après coup dans un café au cœur de Soho. Une fois le débat terminé, quelques partisans du Ukip présents dans le public sont venus lui dire que « Nigel était allé un peu trop loin », raconte-t-elle. « Mais j’ai aussi reçu des messages de la part de partisans qui m’ont accusé d’avoir délibérément déstabilisé Nigel Farage », glisse-t-elle avant de conclure : « Il n’a pas besoin de moi pour ça. »
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