Brésiliens de São Paulo ou de Paris, Colombiens de New York, Mexicains mancuniens ou Vénézuéliens transatlantiques… les musiques latines irriguent la beauté du monde. La preuve par 10 disques.
Emicida – Sobre Crianças, Quadris, Pesadelos e Lições de Casa…
Il n’a pas encore été bien repéré en France, mais au Brésil, il est une star massivement suivie dont l’intégrité est unanimement saluée. Originaire de São Paulo, Emicida s’est d’abord imposé dans le milieu underground grâce à ses talents d’improvisateur. A 30 ans, il est aujourd’hui un des chefs de file d’un hip-hop lusophone punchy, métis, aussi festif que militant. La variété de son flow, qui va de la poésie récitée au chant, se reflète dans ses orientations musicales, rock, funk, reggae ou inspirées du forró. En “prophet of rage” dénonçant les injustices réservées aux Noirs ou en intello pop devisant à la coule avec Vanessa Da Mata, il donne dans cet album la mesure de son immense talent. L’album sort le 24 juin et le concert du 8 juillet, sur la scène du Flow, fait figure d’événement à ne pas manquer.
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Family Atlantica – Cosmic Unity
On avait déjà pu constater à la sortie de son premier album que Family Atlantica excellait à bousculer les géographies, plonger des chants vénézuéliens dans de l’afrobeat, de la magie maya dans les tambours du Ghana, puis dériver librement en gardant le cap sur le soleil. Alors, quand la maîtresse de cérémonie Luzmira Zerpa et son acolyte percussionniste Jack Yglesias prétendent à l’unité cosmique, on embarque volontiers avec eux. Liikembés, harmonica blues, éthio groove, épaisses fumées amazones, violons et cuivres s’accouplent voluptueusement dans le délire des sens, donnant à ce disque l’allure d’une extraordinaire symphonie pleine de mystères, d’envoûtements et d’étonnements.
Elza Soares – A Mulher do fin do mundo
Grande dame cabossée par un destin romanesque, Elza Soares a survécu à bien des désastres, au point de pouvoir prétendre aujourd’hui au titre de Mulher do fin do mundo (“femme de fin du monde”). Pour autant, elle n’a jamais renoncé à aller de l’avant, ce dont témoigne ce disque impressionnant, en rien apaisé, qui regarde les plus grandes noirceurs de la vie les yeux dans les yeux pour les conjurer dans une foi moderniste toujours aussi crânement assumée. Avec l’invincibilité de ceux qui n’ont plus rien à perdre, Elza rock, secoue, parle sans détours de came et de cul, s’indigne des violences subies quotidiennement par tant de Brésiliennes et prouve que, même âgée, blessée, raccommodée de partout, elle demeure « bigger than life ».
Maria Usbeck – Amparo
Les voyageurs perpétuels gardent toujours avec eux une malle à souvenirs contenant les premières impressions de leur pays natal. Ainsi Maria Usbeck, passée par Brooklyn avec le groupe Selebrities, puis par Buenos Aires, Santiago, Barcelone, Lisbonne et jusqu’à l’île de Pâques, signe-t-elle aujourd’hui sur le label suédois Labrador un album de pop songeuse pailleté de sensations conservées de son enfance équatorienne. Bruit des vagues, cris d’oiseaux, percussions indiennes éparpillées sur l’azur font plus qu’habiller les chansons, elles en sont la consistance même, et sans doute aussi la nécessité. Ce disque ne ressemble à rien de vraiment connu, il dépayse sans violence et nous garde avec lui, au cœur de sa singularité.
https://www.youtube.com/watch?v=bmyWevAnzfg
Mexrrissey – No Manchester
Il émerge de temps en temps de ces phénomènes mal expliqués, anomalies peu rationnelles mais réjouissantes. Ainsi, Morrissey possède au Mexique une communauté de fans immense et parmi les plus endurcies au monde. Un amour total et fortement enraciné qui ne s’explique pas, comme tous les amours vrais, et dont témoigne cet album hommage réalisé par un collectif baptisé Mexrrissey, où figure notamment Adan Jodorowsky, le plus jeune fils du réalisateur et scénariste. S’il ne s’était agi que de pimenter les chansons du Moz de mariachis, on aurait peut-être ri avant de se lasser. Mais c’est bien un western, parfois très urbain, qui défile devant nous, avec sa sécheresse minérale, ses cieux rouge sang, ses odeurs de poudre et de poussière et ses brefs accès de passion. Un cadre surprenant, mais où Morrissey paraît comme chez lui – et nous aussi.
M.AK.U. Soundsystem, – Mezcla
M.AK.U. Soundsystem ne trompe pas sur la marchandise en baptisant son premier enregistrement pour Glitter Beat Mezcla (“mélange”, “mixage”). Un peu comme chez Bixiga 70, les courants latins et africains s’y mêlent dans le plaisir de frénésies 70’s, curieuses gigues d’orgues échappés des mains de Ray Manzarek, de cuivres égarés dans la jungle indienne et de percussions en fuite de rites animistes. Ce qu’apporte cette tribu de Colombiens de New York à ce genre néo-psyché afro-latin, outre le parfait empilement sonore et la moiteur des corps attendus, ce sont des voix engageantes et une détermination sans faille à évacuer toutes les toxines dans une fête heureuse et libératrice.
Virgínia Rodrigues – Mama Kalunga
Si les musiques afro-brésiliennes de Salvador de Bahia se distinguent d’ordinaire par leur vigueur rythmique, Virgínia Rodrigues cherche surtout à mettre en valeur leur nature plaintive, leur tristesse et leur suavité. Produit par Tiganá Santana, Mama Kalunga fait ainsi la part belle aux ballades sans fard – guitares, violoncelle et percussions se partagent l’orchestration – permettant à la dame d’étirer longuement ses invocations yorubas et ses romances sentimentales. Le coloris étrange, indéfinissable, de cette voix très pure et le mystère des douleurs qui l’habitent agissent comme un charme, et lorsqu’elle pleure si tendrement les mots de Santana, “mon’ami, mon’ami”, on rend définitivement les armes.
Sandra Rumolino & Kevin Seddiki – Tres Luceros
Née à Buenos Aires mais établie depuis une trentaine d’années en France, Sandra Rumolino ne possède pas qu’une très jolie voix, elle sait aussi l’art de conter et dramatiser ses histoires en recourant aux modulations mélodiques et aux mille jeux sonores qu’autorise la langue espagnole. Suivie pas à pas par la guitare et le zarb de Kevin Seddiki, son complice attentif, elle adresse ici à ses trois lumières (“luceros”), ses enfants, de beaux poèmes en clair obscur, sans fioritures, et qui vont droit à l’âme des choses pour en révéler la lumière interne.
Camarão Orkestra – Camarão Orkestra
Si le Camarão Orkestra (“orchestre crevette”, référence auto-ironique au teint rose de ses membres) se compose de personnalités parisiennes, il ne s’y entend pas moins à faire groover une samba en la mâtinant de jazz, à dévier un maracatu vers le funk et à parader en carnaval disco à la manière dont Marcos Valle ou Ivan Lins le faisaient autrefois en arpentant Ipanema. Il faut dire qu’on retrouve dans ses rangs quelques figures que l’on sait expertes en métissages divers, ainsi le trompettiste Paul Bouclier (Akalé Wubé, Cotonete…) ou le pianiste Florian Pellissier. Derrière la décontraction affichée et l’hédonisme revendiqué, le Camarão Orkestra propose un premier album plus malin qu’il ne veut l’avouer, débordant d’efficacité rythmique et de solos chauffés à haute température.
Arthur Verocai – Arthur Verocai
Les rééditions de grand intérêt se multiplient chez Mr. Bongo, qui nous régale ce printemps de quatre albums sortis au Brésil durant les années 70 : Os Orixás de Eloah, Maria Fumaça de Banda Black Rio, S.P. 73 de Hareton Salvanini et Arthur Verocai, du chanteur éponyme. Compositeur pour les autres, Verocai n’a guère eu l’occasion d’enregistrer sous son seul nom, puisque le successeur de ce disque de 1972 n’est venu que 30 ans plus tard. Mais entretemps, cet étonnant précipité de folk, jazz et samba est devenu mythique auprès des connaisseurs, contraints jusqu’à peu de se l’arracher à prix d’or. Wah-wah paresseuses, voix ténébreuses, cuivres sous acide et violons aériens, c’est tout le reflet frelaté d’une époque qui surgit à l’écoute de cet album onirique et indispensable.
https://www.youtube.com/watch?v=m83hbVAjYvw
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