A Cuba, la chorale Creole Choir Of Cuba perpétue le chant des ancêtres, venus
d’Haïti. “Des gens pleurent à nos concerts”, disent-ils : préparez vos mouchoirs.
« Quand il y a eu le séisme en Haïti, on s’est sentis obligés d’y aller, comme pour aider un ami en difficulté. On est restés quarante-cinq jours, en dormant sur le sol, on a vécu la réplique. Ce fut une expérience douloureuse, mais inoubliable. On a fait des ateliers de chant pour les enfants, on leur a apporté un peu de calme, on a senti qu’on faisait du bien aux autres”, explique, les larmes aux yeux, Emilia Diaz Chavez, la patronne du Creole Choir Of Cuba. Un vrai remontant, les “desandann”, nom d’origine du choeur.
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Fondé en 1994 dans la ville de Camagüey, dans le sud de l’île, il regroupe une dizaine de chanteurs qui ont en commun d’être issus de l’immigration haïtienne à Cuba (les “descendants”, donc). Emilia Diaz Chavez ne sait pas quand ses ancêtres sont arrivés à Cuba, elle ne connaît pas sa famille à Haïti. La première vague de migration date de la fin du XVIIIe siècle, quand les colons français chassés par la révolution noire de Toussaint-Louverture se sont enfuis avec leurs esclaves. Beaucoup d’autres ont suivi. Exil de pauvres, d’anciens esclaves qui ont fui la misère haïtienne pour travailler la terre à Cuba dans des conditions à peine meilleures.
Aujourd’hui, un Cubain sur dix a des origines haïtiennes. Le créole y est la deuxième langue après l’espagnol. “On le parle avec les anciens, mais les enfants parlent plutôt espagnol, le créole se perd”, constate Emilia. Quand elle a créé le choeur avec des élèves de son école de chant, c’était justement pour retrouver, et redorer, la créolité haïtienne à Cuba : “Haïti est un pays pauvre, sans ressources, où il y a de la corruption et de la criminalité. Beaucoup de Cubains d’origine haïtienne préfèrent ignorer leurs origines. Aujourd’hui, il n’y a pas de chorale équivalente à la nôtre en Haïti, et nous sommes la seule à Cuba. Au départ, il n’y avait pas d’objectif commercial, nous voulions juste faire exister de manière plus formelle cette tradition très importante pour nous. Notre répertoire est constitué de chansons haïtiennes créoles qui sont chantées en famille, transmises de génération en génération.”
Une affaire de famille : la fille d’Emilia a rejoint le choeur. Soutenu par le régime, le groupe commence par beaucoup tourner à Cuba, puis aux Etats-Unis (où il sort un premier album, confidentiel, en 1996), puis dans quelques festivals européens. Dans les années 2000, la chorale bénéficie de l’effet Buena Vista Social Club. En 2009, après leur passage remarqué au festival d’Edimbourg, Peter Gabriel leur propose de sortir un album sous son label, Real World. Tande-La est donc enregistré en une semaine, et c’est une bombe.
Accompagné de percussions cubaines, le choeur fait preuve d’une énergie, d’une intensité cathartique rares. “Quand on chante, on est impliqués émotionnellement, on doit ressentir ce qu’on chante pour transmettre de l’émotion. Il y a des gens qui pleurent à nos concerts.” La beauté de ce disque, c’est d’être une vraie oeuvre créole, musique de sangs mêlés, dans laquelle on entend le croisement ému d’influences latines, caribéennes, mais aussi gospel ou même européennes. Les chanteurs sont tous formés au chant et issus de l’autre chorale, classique, dirigée par Emilia. De la chanson pauvre à la musique savante, une autre forme de créolité émerge. “Ma fierté personnelle, c’est que partout où nous avons chanté, de Singapour à la Hollande, les gens ont compris notre musique. Et mon rêve, ce serait que le groupe continue à exister bien après la formation actuelle, encore beaucoup d’années avec d’autres descendants.”
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