Metteur en scène des Particules élémentaires en 2013, Julien Gosselin est au Phénix de Valenciennes pour préparer et créer, avec les acteurs de son collectif Si vous pouviez lécher mon cœur, l’adaptation du roman de Roberto Bolaño, 2666. Répétitions marathon pour spectacle fleuve.
Plonger dans les 1 016 pages de l’ultime roman de Roberto Bolaño, 2666, ou s’immerger dans les répétitions du spectacle de douze heures que Julien Gosselin prépare avec ses acteurs en adaptant le livre a ceci de comparable qu’on ne peut plus décrocher.
Mais si l’on peut toujours interrompre la lecture quelques heures sans en perdre le fil, assister au travail de l’équipe artistique et technique soudée autour de son metteur en scène consiste à laisser filer le temps et à s’abandonner au plaisir inouï de voir s’incarner ce texte magistral.
Tout le monde a son mot à dire sur tout
Si Julien Gosselin est bien le metteur en scène et l’adaptateur du roman, le terme de “collectif” désignant le groupe qu’il a fondé avec ses acteurs n’est pas usurpé. Ici, tout le monde a son mot à dire sur tout – le jeu, la scénographie, la musique, la lumière, la vidéo – et la mise au point d’une séquence, qui nécessite un nombre impressionnant d’essais et de reprises, les intègre à mesure.
Composé de cinq blocs narratifs autonomes, 2666 gravite autour d’un point central, la ville de Santa Teresa, située à la frontière du Mexique et des Etats-Unis. Double littéraire de Ciudad Juárez, sinistrement célèbre pour ses centaines de meurtres de femmes dans les années 2000, elle aspire en un tourbillon ténébreux la succession des histoires et des personnages qu’on suit dans chaque partie et qui ne coïncident que rarement. Pour ne pas dire accidentellement.
Enquête littéraire, policière ou journalistique
Et quand cela advient, c’est moins sous la forme d’une passerelle qui donnerait l’apparence d’unifier le réel décrit par Bolaño qu’en empruntant une porte dérobée qui creuse un peu plus l’atmosphère de mystère qui baigne tout le livre. Car le motif récurrent de 2666, c’est celui de l’enquête : littéraire, policière ou journalistique.
Le 25 et le 26 mai, la troupe répète le début du spectacle qui suit le déroulé du livre. C’est la partie des critiques, ou les tribulations d’un quatuor d’universitaires unis d’abord par leur passion pour un obscur écrivain allemand, Archimboldi, puis par une relation amoureuse. Partis à la recherche de leur auteur fétiche, ils feront le voyage jusqu’à Santa Teresa.
Comme dans Les Particules élémentaires, adapté par Gosselin en 2013, il est fascinant de retrouver, quasi intacte, la substance du récit, l’ironie de Bolaño face à la noirceur du monde, en assistant à sa métamorphose dans le champ théâtral. Incarnée, sonorisée, spatialisée, la langue de Bolaño résonne avec toute sa force, son irréductible désir de se battre même si le combat est perdu d’avance. Pour redonner vie au mot de dignité que le réel s’échine à dénigrer.
2666 de Roberto Bolaño, mise en scène Julien Gosselin, le 25 juin au Phénix de Valenciennes, du 8 au 16 juillet au Festival d’Avignon et du 10 septembre au 16 octobre au Festival d’Automne à Paris