L’association LGBT britannique Out and Proud milite pour le Brexit au côté de Boris Johnson. Ses partisans estiment que les conservateurs ont fait avancer les droits des homos alors que ses détracteurs font valoir que c’est l’Europe qui les y a poussé. Décryptage.
« Comment une personne gay peut-elle voter en faveur du Brexit ? » C’est une remarque que Lucy Paton-Brown a l’habitude d’entendre. La faute aux journalistes, selon elle. Pour cette conservatrice qui convoite un siège de députée à la chambres des Communes :
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
« Les médias représentent injustement ce référendum comme l’opposition entre une vision moderne, favorable à la coopération européenne, plutôt soutenue par les jeunes, et un regard rétrograde et isolationniste, celui des personnes âgées. J’ai la trentaine, je suis mariée à une personne de même sexe et oui, je veux sortir de l’Union Européenne ».
Pour cette raison, elle a adhéré au petit groupe de campagne Out and Proud qui rassemble des LGBT prêts à voter pour la sortie de l’UE le 23 juin prochain.
« Un groupe pro-Brexit pour les libéraux »
Son fondateur, Adam Lake, a la trentaine lui aussi. Il est chargé de com dans une organisation caritative qui aide les personnes dans le besoin et en ce moment, il joue Romeo dans la célèbre pièce de Shakespeare au Théâtre de Verdure, à Paris.
« Je pense que le Royaume-Uni devrait quitter l’UE mais je ne veux pas être associé à des figures extrêmes, je voulais créer un groupe pro-Brexit pour les libéraux », explique-t-il.
Ce groupe informel et discret – il participe à divers évènements LGBT mais ne milite pas activement – s’est surtout fait connaître grâce à Boris Johnson. Pour le lancement du groupe en mars dernier, l’ancien maire de Londres a défendu leur argumentaire dans une vidéo qui a suscité pas mal de réactions et de remarques cyniques.
https://youtu.be/2ChAWodUYbQ
Derrière son air j’m’en foutiste, la figure charismatique du camp pro-Brexit (contraction entre « Britain » et « exit ») cherche-t-il à rallier les électeurs gays conservateurs ? « Johnson ferait et dirait tout pour gagner ce référendum », répond Nigel Warner, conseiller de l’ILGA (International Gay and Lesbian Association) au Conseil de l’Europe. « C’est probablement le public visé », avance de son côté Robert Wintemute, professeur de droit à King’s College, à Londres avant de nuancer :
« Certains LGBT n’iront jamais dans le sens du parti conservateur lors d’une élection. Ils se souviennent de la Section 28 et des années sombres sous Margaret Thatcher. »
La Section 28 est un amendement introduit par le gouvernement Thatcher en 1988 et abrogé en 2003 : il interdisait tout bonnement aux autorités locales de promouvoir l’homosexualité. Juste avant son élection en 2010, David Cameron s’excusait auprès des LGBT pour cette mesure gênante et promettait que son parti avait changé. Mais les choses ont bien changé, analyse Robert Wintemute :
« Parce que David Cameron a introduit le mariage pour les couples de même sexe en 2013. Donc, tout est pardonné. Certains pensent que ce n’est pas dangereux de voter pour le parti conservateur ou pour quelque chose, comme quitter l’UE, qu’un Tory, Boris Johnson donc, soutient. »
Si Out and Proud refuse toute étiquette politique, ce groupe semble attirer cet électorat gay de droite, qui ne se retrouve pas dans les discours du parti d’extrême droite Ukip et des Tories qui ont voté contre le mariage gay. En réalité, ce n’est pas l’opportunisme de Boris Johnson qui pose problème à ses détracteurs, mais son argumentaire – et par extension, celui du groupe – jugé fallacieux. « Il dit que les protections légales des personnes LGBT au Royaume-Uni viennent des cours et du Parlement britanniques. C’est venu tardivement. Avant l’entrée en vigueur du partenariat civil et de l’adoption conjointe en 2005, presque toutes les réformes étaient introduites pour se conformer à un jugement de la Cour européenne des droits de l’homme ou à la directive européenne sur l’emploi (votée en 2000 par l’UE) », explique Robert Wintemute, professeur de droit à Kings College. En un mot, c’est grâce à l’UE si les employés ne sont plus discriminés selon leur orientation sexuelle.
« Le Royaume-Uni n’a pas toujours été un modèle »
Bien sûr, le Parlement britannique ne reviendra pas sur le mariage gay en cas d’un retrait de la zone euro. Ce ne sont pas les mesures symboliques comme cet acquis social qui pourraient être menacées, mais plutôt les droits moins « visibles ». « Une grande partie du Equality Act adopté en 2010 se conforme à la directive européenne de 2000. Sans l’UE, le parti conservateur sera libre de proposer l’abrogation de cet Act sous prétexte que c’est un fardeau pour les entreprises », prévient Robert Wintemute. Certes, le Royaume-Uni est aujourd’hui dans le top 3* des pays qui défendent le mieux les droits des LGBT, après Malte et la Belgique, selon l’étude annuelle de l’IGLA. « Mais il faut adopter une vision plus globale. Le Royaume-Uni n’a pas toujours été un modèle et il a aujourd’hui beaucoup à apporter aux autres pays », rappelle Juris Lavrikovs, le chargé de com pour l’Europe de l’organisation, depuis son bureau basé à Bruxelles.
Sauf que Out and Proud fait le raisonnement inverse. « Il faut se battre pour ces droits qui sont menacés en Pologne, en Hongrie, en Roumanie », s’exclame Boris Johnson dans la fameuse vidéo. Alors pourquoi partir, pourquoi ne pas œuvrer à la protection de ces droits ? « Si nous sortons, nous allons devoir négocier nos propres traités commerciaux. Et si un pays avec qui nous négocions ne respecte pas ces droits, on pourra faire pression », argumente Adam Lake le plus naturellement du monde. Mais le Royaume-Uni sera-t-il vraiment en position de force pour imposer ses conditions une fois sorti de l’UE ? Très optimiste, Adam Lake est persuadé que son pays fera affaire avec ses voisins européens. « C’est comme une relation amoureuse : parfois il vaut mieux se séparer et rester amis. » Reste à espérer que la potentielle séparation ne sera pas digne d’une tragédie shakespearienne.
Hélaine Lefrançois
* Les notes sont calculées en fonction de plusieurs critères : l’égalité, les droits familiaux, les actes et discours de haine, la reconnaissance du genre, la liberté d’expression, l’asile.
{"type":"Banniere-Basse"}