Le 16 juin, la version française de Slate annonçait s’être lancée dans la production de podcasts. En France, les grandes radios nationales se sont emparées du médium et l’utilisent pour proposer leurs émissions en rattrapage. Aux Etats-Unis, des producteurs indépendants ont réussi à se tailler une part du lion et vivent de leur activité. De ce côté-ci de l’Atlantique, c’est nettement plus compliqué voire impossible.
« N’oubliez pas de vous abonner à notre émission sur iTunes pour ne pas rater un seul numéro ». On peut entendre cette phrase et ses variantes à la fin de nombreuses émissions de radio. Les podcasts sont ainsi souvent vus en France comme un rattrapage des programmes que l’on a pas pu écouter en direct. A côté de ça, de plus en plus de médias lancent leurs propres podcast, à l’image de Buzzfeed aux Etats-Unis qui produit plusieurs émissions sur des thèmes aussi variés que la culture Internet, la politique, la production télévisuelle et le féminisme. Jeudi 16 juin, Slate.fr lançait ses propres émissions, suivant le chemin tracé par la version américaine du site
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Depuis de nombreuses années, des personnes indépendantes de tous médias produisent leur propre émission. Si la professionnalisation semble accessible aux États-Unis, c’est loin d’être le cas en France. Le top des téléchargements français de podcast sur iTunes laisse la part belle aux radios nationales. Il n’est pas rare que le top 10 soit composé exclusivement d’émissions d’Europe 1, RTL ou Radio France.
Lorsque iTunes a lancé les podcasts il y a une dizaine d’années, l’idée était que des particuliers puissent produire leur propre émission et concurrencent les radios, ce qui semble encore aujourd’hui assez lointain en France. Aux Etats-unis, le Président a fait le chemin jusqu’en Californie dans le garage de Marc Maron, comédien de stand-up, pour enregistrer un podcast. L’invitation d’une personnalité comme Barack Obama dans une telle production indique un certain degré de maturité du format. Aux USA, des producteurs se sont fait un nom en tant que « podcasteur« , des journalistes ou des comédiens ont fondé leur propre société de production et il existe à Los Angeles un festival entièrement consacré au format.
Un développement important aux Etats-Unis
L’économie du podcast est florissante outre-Atlantique. Un regroupement de podcast, Revision3, précurseur dans le domaine, a été racheté par Discovery en 2012. Des estimations font état d’une somme estimée entre 30 et 40 millions de dollars. Gimlet Media, un autre groupement de podcast fondé en 2014 par Alex Blumber et Matt Lieber, compte aujourd’hui 25 employés. « Nous produisons actuellement quatre podcasts leader dans leur secteur » explique Chris Giliberti, cadre chez Gimlet. « Nos programmes comptabilisent près de 5 millions de téléchargements par mois en tout. Notre audience a grimpé très rapidement et continue de croître ». Gimlet Media a engrangé environ deux millions de dollars en 2015.
L’un des modèles économiques les plus répandus parmi les podcasts aux Etats-Unis est le sponsoring. Les producteurs de contenu vendent ainsi du temps de programme pour passer les messages des marques partenaires. D’autres, comme Gimlet, proposent en plus des abonnements aux auditeurs les plus fidèles, le podcast restant gratuits.
L’impasse du sponsoring et de la publicité en France
S’il existe aux États-Unis une dynamique économique pour le podcast, c’est nettement plus compliqué ici. En France, le format n‘est définitivement pas aussi porteur. Des tentatives ont vu le jour mais très peu ont pu permettre une « professionalisation » de l’activité. Les différents acteurs du podcast français s’entendent pour dire qu’il est pour l’instant quasiment impossible d’en vivre. Il est, de plus, difficile de savoir si les podcasts sont très suivis ou non, Médiamétrie ne proposant pas la mesure de leur audience.
Il existe cependant de grandes communautés d’auditeurs et certaines émissions sont extrêmement populaires. « L’Apéro du Captain Web » est l’une d’entre elle. Pour Siegfried Thouvenot, co-animateur et co-créateur, il y a une impasse au niveau du modèle économique. Selon lui, le sponsoring ne pourrait pas marcher.
« En France, trouver un sponsor pose deux gros problèmes : déjà ça n’intéresse pas les marques, pour peu qu’elles sachent seulement qu’on existe. Ensuite, il y a un risque de se faire sévèrement critiquer par les auditeurs qui ont peur que l’on abandonne notre intégrité pour de l’argent », explique-t-il. « Ce n’est pas du tout la même mentalité à ce niveau entre la France et les États-Unis », continue le podcasteur. « De plus les audiences que l’on peut faire ne sont pas assez importantes pour intéresser un annonceur, à part peut-être pour des podcasts de niche ayant une audience très spécifique »
Patrick Beja fait partie de ces rares personnes ayant réussi à monétiser le contenu qu’ils produisent et qui en vivent. Il fait figure de vétéran dans le paysage du podcast français. Son programme phare, le RDV Tech, est une référence dans le milieu. Et lui non plus ne croit pas à la publicité en France, les annonceurs potentiels ne semblant pas intéressés par les perspectives qu’offrent les audiences des podcasts. « Alors qu’il y a une relation de confiance qui se noue entre le podcasteur et l’auditeur. L’impact de n’importe quelle publicité serait décuplé », analyse-t-il. L’un des projets de regroupement auquel il a participé, Nowatch, reposait sur ce modèle par sponsoring. Celui-ci n’a pas perduré, faute de clients.
Patreon, une solution appréciée
Le modèle économique qu’il a choisi est celui du crowdfunding et plus précisément Patreon, une plateforme de financement participatif qui permet aux internautes souhaitant soutenir un artiste ou, en l’occurrence, un podcasteur, de financer des projets chaque mois ou à chaque fois qu’une émission est publiée. Un grand nombre d’éléments sont paramétrables, de la somme qui est donnée jusqu’au nombre de fois où le donateur accepte de verser de l’argent durant le mois. Le RDV tech, lancé en 2009, lui permet de toucher 2300 dollars par émission.
En plus du RDV Tech, qui paraît deux fois par mois, Patrick Beja gagne environ 400$ à chaque numéro du Phileas Club (un autre podcast qu’il produit). Il ne s’agit cependant pas de don. « Fiscalement le don est très particulier. Là les gens donnent ont accès à du contenu exclusif. C’est du paiement volontaire ce qui implique contrepartie« . En dehors de l’argent récolté via Patreon, il peut compter sur d’autres sources de revenus liés à des animations qu’il assure dans des émissions anglophones.
En septembre 2015, le réseau de podcast Radio Kawa a réussi à récolter presque 800 dollars par mois via Patreon. « Faire un podcast coûte environ 300 euros par an » estime Stanislas Signoud, gestionnaire et créateur de Synopslive, web radio aujourd’hui fermée. « Radio Kawa a permis de structurer une campagne de don pour une quinzaine de podcasts » et facilitera ainsi leur fonctionnement. « En France, il est difficile de gagner sa vie avec le podcast mais il est facile de ne pas perdre d’argent en s’organisant »
« Aux USA, il y a une culture de la contribution financière plus forte »
Pierre Journel a lui aussi tenté d’ouvrir un Patreon mais celui-ci n’a pas fonctionné. Créateur de La Chaîne Guitare en 2009, podcast centré autour de l’univers de l’instrument, il a tenté de monétiser son contenu pour la première fois entre 2012 et 2013 « Au départ toutes les émissions étaient disponibles sur le site Web, iTunes ou une application de son choix » À l’époque, le podcast comptait environ 10000 à 15000 téléchargements par mois. « J’espérais en convertir 1000 à 2000 à la solution Patreon. Mais les gens ne sont pas venus, Patreon n’a pas marché pour moi. Aujourd’hui il y a 20 personnes qui me donnent à travers le service, ce qui me rapporte à peu près 34,5 dollars par épisode, pas grand-chose donc »
Le podcasteur s’est tourné vers une formule par abonnement. Pour bénéficier de tout le contenu et des mises à jour, il faut payer le « pass backstage« , qui coûte 7 euros par mois. Et visiblement, les gens sont prêts à payer pour ce genre de service. 253 personnes sont abonnées à ce jour à La Chaîne Guitare, ce qui correspond environ à 1000 euros de chiffre d’affaires par mois pour son entreprise, créée pour l’occasion. « L’abonnement donne accès à du contenu audio et vidéo mais aussi des masterclass en replay et des tas d’avantages » détaille Pierre Journel, qui vit désormais à 100% de ses activités avec La chaîne Guitare.
Pour Patrick Beja, il existe une différence fondamentale entre la France et les Etats-Unis. « Aux USA il y a une culture de la contribution financière qui est plus forte qu’en France, c’est bien plus naturel pour eux. Le pourcentage d’auditeurs qui donnent aux US est de 10-15%, avec une moyenne sans doute autour des 20% pour les émissions qui fonctionnent », détaille-t-il, « on est seulement de 2-3 % pour la France »
Exploration de voies de financement alternatives
Certains podcasts choisissent des voies alternatives, comme l’Apéro du Captain qui est lui passé par plusieurs étapes. « Pendant plusieurs années nous procédions à des appels aux dons, ce qui permettait aux auditeurs de donner mais sans contreparties », détaille Siegfried Thouvenot. A l’époque il s’agissait principalement de financer les besoins en matériel de l’émission. « Ceux qui veulent donner donnent, ce qui est bien mais qui pose un gros problème du point de vue fiscal. Si tu commence à encaisser de l’argent régulierement, il faut une structure, une association ou une société ». Le podcast que Siegfried Thouvenot co-anime est depuis passé à une sorte de formule premium.
Ainsi les auditeurs peuvent s’abonner pour financer l’émission et reçoivent quelques avantages et bonus en échange. « Pour ceux qui ne souhaitent pas donner ou ne peuvent pas participer, ça ne change rien, toutes les émissions restent dispo comme avant sur le site et iTunes« . Il explique que ses co-équipiers et lui avaient hésité avec d’autres solutions notamment le Kickstarter. « Le problème du kickstarter c’est que c’est un one-shot. Tu finances pour un an, mais tu te retrouves vite avec le même souci au bout de 12 mois » L’abonnement s’est ainsi avéré être une solution plus solide sur le long terme.
Apple responsable ?
Pour Pierre Journel, Apple porte une certaine responsabilité concernant ces difficultés que rencontrent beaucoup de podcasteurs « iTunes a commencé à supporter le format podcast en 2006. Mais depuis, la société n’a jamais vraiment investi dedans, son seul autre mouvement vers le média a été la sortie de l’application dédiée aux podcasts en 2014 » Selon l’entrepreneur, il y a un mélange des genres, les productions indépendantes sont mélangées aux émissions des mastodontes, ce qui est forcément néfaste pour les plus petits.
Patrick Beja n’est pas du même avis. Selon-lui, les podcasts amateurs sont bien mis en avant. « C’est difficilement contestable » explique-t-il. « Sans iTunes, pas de podcasts. C’est Apple, il y a une dizaine d’années, qui a mis les podcasts sur le devant de la scène« , résume-t-il.
« Aujourd’hui il y a une domination claire des radios nationales sur iTunes, leurs audiences sont incomparables. La force des podcasts, c’est qu’ils sont de niche. Il y a un effort éditorial indéniable d’iTunes pour mettre en avant des podcasts indépendants. Lorsque l’on regarde les pages iTunes, on remarques 4 à 5 émissions indépendantes. »
Stanislas Signoud aurait aussi tendance à défendre iTunes et Apple. Selon lui, la politique de l’entreprise est volontariste et les podcasts indépendants sont mis en avant. « Après, oui, Apple n’en a pas profité pour développer une solution de monétisation des podcasts. Mais on ne peut pas leur en vouloir« , nuance-t-il. « En France, il y a une sorte de mépris pour les podcasts et tout ce qui en découle. et une aversion pour les nouveaux médias indépendants. On ne considère pas les podcasts comme de vrais médias »
Une acceptation progressive du format par le grand public
Les choses semblent changer cependant. « Le format du podcast commence à être connu« , relativise Patrick Beja, « en 2009 quand j’ai lancé le RDV Tech, lorsque je disais faire du podcast, il fallait que j’explique de quoi il s’agissait. Aujourd’hui, avec les téléphones mobiles et les voitures connectées, l’usage des podcasts a augmenté, les audiences continuent de progresser »
Pour Pierre Journel, certains détails, notamment techniques, empêchent le développement du média. « Ce n’est pas aussi simple que la radio qu’il suffit d’allumer et d’écouter » explique l’entrepreneur. « Il y a des tas de choses qui sont un peu compliquées dans le podcast, les termes n’arrangent rien, on parle de s’abonner alors que le podcast est 100% gratuit pour l’auditeur. S’abonner induit qu’il faut payer, ça peut créer une confusion »
Malgré la difficulté que rencontrent de nombreuses personnes pour vivre de leur passion et de leur podcast, Patrick Beja n’estime pas être un cas miraculeux. « J’ai envie d’être dans les premiers d’une grande et durable vague » explique le posdcasteur, « je n’ai pas envie d’être l’idéal que certains espèrent atteindre, j’ai envie d’ouvrir une voie dans laquelle des dizaines de créateurs indépendants vont s’engouffrer«
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