Enfant-star, ado perturbée, sex-symbol, scream-queen… »Ma Meilleure Amie » a beau faire de Drew Barrymore un personnage traditionnel de mélo, celle-ci n’en demeure pas moins transgressive et multiple. Revenons sur quelques uns des visages de cette femme plurielle.
L’enfant
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Drew est née d’une dynastie de comédiens, du grand-père John Barrymore (ayant traversé les oeuvres de Cukor, Lubitsch, Hawks) au grand-oncle Lionel Barrymore, occupant pas moins de la première moitié du cinématographe, entre D. W. Griffith, Raoul Walsh, Tod Browning, Victor Fleming et Frank Capra. C’était écrit : Drew enchaînerait les castings. Si à onze mois elle apparaît dans une pub de croquettes pour chiens, c’est une autre histoire (déformée) de compagnon pour enfants qui la consacrera en mini-mimi-superstar: son rôle, alors qu’elle n’a que sept ans, de petite soeur dans le E.T de Steven Spielberg. Légères couettes, joues rondelettes, air taquin et cris hystériques, Drew est l’incarnation de cet inné décalage poétique propre aux mômes spielbergiens.
Deux ans plus tard, Charlie permet de comprendre qui est Drew Barrymore. Dans cette série B estampillée Stephen King, elle incarne une pyrokinésiste. La mise en abîme d’une gamine incendiaire, qui, dès ses neuf ans, accompagnait sa mère – une actrice ratée – dans les night clubs, passant de kid candide à « party girl » effervescente. Son jeune corps de princesse noctambule vacillait alors du mythique Studio 54 au China Club. A dix ans elle fume son premier joint et se met à la coke dès douze, entre en désintox à treize et s’ouvre les veines l’année qui suit. Ses confessions, Little Girl Lost, (1990) l’imposent selon Le Guiness Book comme la plus jeune autobiographe du monde.
Trois ans après E.T., dans une autre adaptation de King, Cat’s Eye, elle se confronte à un lutin facétieux. Animalisé, le corps de Drew décalque celui de son chat noir, avec ses yeux perçants et son nez croquignolet. Pervertie par le Mal, Drew nous renvoie à la Kirsten Dunst d’Entretien avec un Vampire et aux anges blonds de Chromosome III et Poltergeist (elle passât le casting de ladite production Spielberg). En 2001, la demeure sur Beverly Hills qu’elle occupe avec l’acteur Tom Green part en flammes. Un angoissant écho « in real life » à l’apocalypse conclusive de Charlie – images d’une fille « à la chevelure de feu de bois / aux pensées d’éclairs de chaleur » écrirait André Breton. Drew Barrymore traînerait-elle ses oripeaux d’enfant-star comme une malédiction ?
La teenager
A dix sept ans, l’actrice fait un détour d’une courte durée par l’hôpital psychiatrique. La même année (1992) Drew s’offre une catharsis : Fleur de Poison. Dans la peau d’une ado manipulatrice et excessive, roulant à toute blinde sur l’autoroute au volant de son bolide rouge-sang, elle se met à nu telle qu’elle est. Une figure végétale, belle comme une rose recouverte d’épines. Qu’elle allonge ses jambes sur le capot d’une voiture mouillé par la pluie – en pleine forêt, façon conte de fées moderne – qu’elle porte à sa bouche le goulot d’une bouteille de bière, se dénude en pleine banlieue pavillonnaire ou laisse les bourrasques de vent bouleverser ses longs cheveux blonds, Drew affirme sa sexualité de teenager Nabokovienne. Evoquant la veuve noire Catherine Trammel, elle est sexy comme une Playmate. Elle fera d’ailleurs en 95 la une de Playboy, et dévoilera ses seins lors d’une prestation déchaînée durant le show de David Letterman.
« A l’âge de treize ans » déclare-t-elle pour The Guardian, « j’étais vraiment seule. Je me sentais affreusement mal. C’était le temps de la rébellion. Je voulais fuir. J’étais tellement, tellement en colère. Je suis allé chercher tout au fond de moi la réponse à cette question: contre quoi au juste es-tu en colère? OK, j’ai la rage parce que mes parents n’ont jamais été là pour moi. Mais qui en a quelque chose à foutre au juste ? Après tout, beaucoup d’enfants n’ont pas de parents ». L’âge ingrat barrymoresque semble se raconter au gré des hits de la sulfureuse Madonna, entre célébrité (« Lucky Star »), désinvolture (« Burning Up »), dérives hot (« Borderline »), pureté défunte (« Like a Virgin »), et énigme persistant : « Who’s That Girl ? » pourrait-on se demander. En 1999, College Attitude boucle la boucle. Journaliste infiltrée au sein d’un bahut, ni cheerleader bimbo, ni étudiante dans le vent, ni prof mature, Drew se retrouve bloquée entre deux âges. Le teenage dream est terminé.
L’amoureuse
« Il n’y a rien de plus puissant qu’un sourire. Le bonheur est le meilleur maquillage au monde. J’adore les câlins et j’aimerais devenir une pieuvre pour pouvoir enserrer des centaines de personnes en même temps » a un jour déclaré cette grande sentimentale. Dans la comédie romantique Demain on se marie ! (1998), Drew se couple pour la première fois avec Adam Sandler. Cheveux bien brossés, sourire béat, garde-robe rose bonbon ou à fleurs et collier au cou, Drew est désuète comme les femmes-bds du pop-artist Roy Lichtenstein, Antithèse policée du caméo du film – Billy Idol et ses coutures punk – elle renverse avec autodérision sa propension passée pour le « no future ». Avec sa veste en jeans et sa quiétude juvénile, elle renvoie à la Molly Ringwald de The Breakfast Club. Sandler, lui, la drague en citant « Material Girl » de Madonna. Au sein de cette histoire musicale, Drew est semblable au rêve éveillé d’un collégien: qui n’a pas envie de jouer de la guitare sèche pour charmer la demoiselle ?
Six ans plus tard elle retrouve le comique dans Amour et Amnésie. Dans un décorum hawaïen de carte postale elle joue l’amnésique amoureuse. Cette dérivation charmante d’Un Jour Sans Fin se concentre sur une obsession naïve – certains diraient fleur-bleue : le premier baiser. Pour cause de déficience mémorielle, ce baiser se répétera plus de vingt-trois fois, faisant ainsi du film la rom’com’ définitive et de Barrymore une femme-muse éluardienne. Central, le tracé des lèvres souriantes de Drew, d’où circule la ligne directrice de l’oeuvre, confère au film son mood : une bouche caressante, parfumée, chaleureuse et pure, comme peut l’être un summer movie. De son père aimant à son amant d’un jour, en passant par le travestissement burlesque de Rob Schneider en Barrymore de pacotille, tous les hommes du film s’abaissent aux pieds de la divine idylle. Entre colliers de fleurs et couleurs océaniques, Drew fait d’elle cette citation de son poète préféré, E.E. Cummings : « fie-toi à ton cœur quand les océans s’embrasent, et ne vis que d’amour même si les étoiles vont à reculons« .
Si le nom de son personnage, Lucy, nous élève jusqu’au « sky with diamonds », l’oeuvre se conclura sur l’aérien « Somewhere over the rainbow »…clin d’oeil musical évident au Magicien d’Oz et donc à Judy Garland, cet autre enfant-star de l’Amérique.
L’icône
En 1995, dans Batman Forever, Drew Barrymore rivalise de charme avec Nicole Kidman en incarnant Sugar, avatar de Marilyn, danseuse en froufrous et versa de Spice, sa collègue vêtue de cuir-noir BDSM. Logique pour cette icône sensuelle, classée en quarantième position des femmes les plus hot de 2008 par le magazine Maxim, et des cinquante personnes les plus belles du monde par People Magazine. En 2006, Barrymore se grimera d’ailleurs en Monroe pour la une de George Magazine. Avec Scream (1996), Wes Craven en fait une scream-queen, cet archétype des slasher movies, hurlant pour échapper aux psychokillers sadiques. Avec sa tenue cotonneuse et sa coiffure d’une autre époque, au centre de références nostalgiques (Vendredi 13, Terreur sur la ligne) son corps finira déchiqueté, pour être remplacé par celui, plus moderne, de Sarah Michelle Gellar dans l’opus suivant.
Même fétichisation avec les Charlie’s Angels du clippeur McG, entre l’icono de revues glacées pour adultes et l’excès cartoonesque façon Tex Avery. Drew y synthétise les nuances de la femme cinégénique : combattante d’arts martiaux, fragile comme une enfant, potache comme une lycéenne, fantasme érotique de la touriste ou de la strip-teaseuse, elle met en scène ses jambes nues, ses décolletés très plongeants, et privilégie le gloss sucré. Ce monde too much préfigure l’esthétique et le symbolisme du clip de « Toxic« , au sein duquel Britney Spears associait les déhanchements pin-up à l’impact explosif du girl power. Si Marlene Dietrich était L’Angle Bleu de Sternberg, McG en fait son ange blond.
La working girl
Drew Barrymore créé Flower Films en 1995 en compagnie de son amie Nancy Juvonen. Elle produit des films où elle tient le haut de l’affiche (Never Been Kissed, Charlie’s Angels, Un duplex pour trois, Amour et Amnésie, Terrain d’entente, Le come-back, etc), des fantaisies dérivées (le dessin animé Charlie et ses drôles de dames en 2011) mais aussi le Donnie Darko de Richard Kelly où elle apparaît furtivement. En finançant le premier long d’un auteur prometteur, elle défend l’idée d’une jeunesse créative et privilégie une vision atypique du teen movie. Le film pour ados se fait lynchien, chaotique et évanescent…à son image. Même volonté de fédération lorsqu’elle réalise Bliss en 2009, chick movie en rollers entremêlant insouciance juvénile et crise de la trentaine (elle y invite Juliette Lewis et Kristen Wing). A travers Ellen Page – enfant-star fascinante – elle attribue au topos proustien de la jeune fille en fleur le nécessaire empowerement qu’elle a pu quêter et incarner.
Le motif de la fleur – renvoyant au soleil donc au bonheur, à l’épanouissement, à la maturité et aux romances barrymoriennes – perdure avec la création de Flower Beauty, sa propre ligne de cosmétiques féminins. Elle avouera in fine au Telegraph:
« J’aime écrire, j’aime produire, j’aime avoir une maison de production qui me permette de faire des films et d’être prolifique. C’est un endroit où je peux mettre toutes ces idées qui constamment naissent en moi et m’empêchent de dormir, me rendent fucking crazy. Là ce ne sont plus juste des fantaisies et des rêves. Ce sont des choses réelles qui nécessitent de sortir de ma tête »
Quel sera donc le prochain visage de Drew Barrymore ?
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