Cinéaste burlesque amoureux de la Nouvelle Vague, Antonin Peretjatko revient avec La Loi de la jungle, tourné dans la forêt tropicale de Guyane avec un drôle de casting (Vincent Macaigne, Vimala Pons). Et fait souffler un sacré vent de fraîcheur sur le cinéma français. Rencontre.
Une comédie drôle et romantique, ça vous dit ? Un film d’aventures émouvant, ça vous tente ? Un film politique qui ne pratique pas le prêchi-prêcha manichéen, ça vous intéresse ? Un film bourré d’idées, d’invention et de fantaisie à chaque plan, ça vous chauffe ? Avec La Loi de la jungle, Antonin Peretjatkoa tout ça en magasin. A tel point qu’en sortant de la projo, des étoiles et des rires plein la tête, on s’est dit comme un réflexe : “Génial ! Mais pourquoi c’était nulle part à Cannes ?!”
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Plus articulé, posé et sérieux que l’aspect superficiellement foutraque de ses films ne le laisserait supposer, Peretjatko a sa petite idée sur la question : “Peut-être que mon film est trop contestataire. Pourtant, ce n’est pas un brûlot qui dit ‘on va tous les tuer’, mais peut-être que certaines scènes ont déplu… Comme celle où le ministre – joué par Jean-Luc Bideau – explique que tout va bien en France ; ou celle qui se moque du cléricalisme et de la bigoterie.”
Un oiseau rare
Cannes, et plus précisément la Quinzaine des réalisateurs, Peretjatko y était il y a trois ans, quand le public l’a découvert avec La Fille du 14 Juillet. On s’était dit alors qu’on avait dégoté un oiseau rare dans le cinéma français, quelqu’un qui réconcilierait Godard et Pierre Richard, la comédie et le politique, le cinéma inventif pointu et le plaisir grand public.
“Un type qui n’aimait pas mes films leur reprochait d’être trop absurdes, remarque-t-il. C’est vrai, je filme des absurdités, qui sont en l’occurrence celles de notre époque. Nous vivons dans un monde totalement absurde dont je ne vois pas la finalité.”
Vimala Pons et Vincent Macaigne sont restés fidèles à Peretjatko
Avec des cinéastes comme Justine Triet (La Bataille de Solférino), Sébastien Betbeder (Marie et les naufragés) ou Guillaume Brac (Tonnerre), des comédiens tels que Vincent Macaigne, Laetitia Dosch ou Vimala Pons, Peretjatko apporte un grand coup de fraîcheur, d’énergie, d’humour et de sous-texte politique dans un cinéma français parfois sclérosé entre grosses pochades à casting télé et cinéma d’auteur droit dans ses bottes qui se regardent en chien de faïence, de part et d’autre d’un gouffre grandissant au box-office où s’abîment de plus en plus les films “du milieu”.
Vimala et Vincent sont restés fidèles à Peretjatko et l’ont suivi jusqu’en Guyane pour cette nouvelle aventure dans la jungle. “J’ai rencontré Antonin quand il m’a passé le scénario de La Fille du 14 Juillet, raconte Vimala Pons. Il m’a suppliée de ne pas le lire avant d’avoir vu ses courts métrages. Ce que j’ai fait. Et j’ai été charmée par son cinéma. Pour La Loi de la jungle, il m’a amené le synopsis alors que j’étais hospitalisée au service neurologie de Lariboisière et ça m’a bien fait rigoler.”
Du lâcher-prise et du boulot
Selon elle, le cinéma d’Antonin n’est pas aussi déglingué et potache qu’il en a l’air ; il ne fait qu’exagérer légèrement le réel avec une dimension politique et tragique derrière le rire : “Dans un de ses courts, un mec va se suicider et un autre lui jette une bouée où il y a écrit ‘sens de l’humour’. Cette scène synthétise l’esprit d’Antonin, mélange d’humour et de pessimisme critique.”
Vincent Macaigne abonde, estimant que “ses films disent des choses politiques, parlent de la France.Il a une folie, une singularité, il est un des rares à laisser arriver le burlesque aux acteurs. Beaucoup de gens ont peur du burlesque, et avec Antonin il y a du lâcher-prise.” Du lâcher-prise mais aussi du boulot, de la prise de risques, de la précision. Comme on le sait, réussir une comédie est un travail minutieux et pas toujours une fête du slip pour ceux qui la fabriquent.
“Dans son cinéma, continue Vimala, c’est hyperdur de trouver le lieu de son jeu. Il ne faut pas être naturaliste mais naturelle. On tourne très vite, on n’a pas le temps de penser, d’installer une psychologie. On ne se marre pas forcément sur ses tournages ! Pour ce nouveau film, il a choisi la jungle parce qu’il aime bien se mettre et nous mettre dans la merde. Ce genre de difficulté fait advenir le jeu, la comédie.”
« Des complications différentes dans la jungle »
Dans cette jungle guyanaise, chacun en a un peu bavé. Chaleur humide, insectes en tout genre, serpents, mygales et larves grouillantes ingurgitées par Vimala : autant de paramètres qui ont compliqué le travail technique, le positionnement de la caméra, les déplacements, le souci de la lumière. Antonin rappelle : “Fuller avait voulu tourner un film dans la jungle avec John Wayne et Wayne était OK. Mais le studio a refusé et le film ne s’est pas fait. Dans La Mort en ce jardin, Buñuel a une manière très poétique de filmer la jungle. Ça m’a incité à insérer des pauses poétiques, des respirations.”
Cela dit, les comédiens tiennent à ne pas trop en faire sur les difficultés de tourner en milieu “hostile”. “Ce genre de tournage crée des complications différentes, nuance Vimala. Tourner dans un appart peut aussi devenir un enfer psychologique. C’est par les contraintes que le style advient et qu’on finit par dire des choses plus fortes, mais je tiens à préciser qu’il y a des choses plus dures dans la vie que d’aller tourner en Guyane !”
Le proverbial choc esthétique arrive en fac de maths
Vincent Macaigne confirme que la forêt tropicale ne constituait pas un obstacle insurmontable, expliquant que les bestioles apeurées fuyaient l’équipe, que les mygales sont velues mais nullement dangereuses (ne pas les confondre avec les tarentules !) et que le seul gros problème (un vol de carte bleue) s’est produit en ville.
Avant d’envisager les tournages comme des aventures de Tintin, Antonin Peretjatko a grandi à Brest, dans une famille qui refusait la télé. Enfant, ado, il va beaucoup au cinéma mais pour voir le tout-venant du samedi soir. C’est en fac de maths qu’il découvre le cinéma d’auteur et reçoit le proverbial choc esthétique.
L’école Godard et l’école Méliès
Du coup, il fait l’école de cinéma Louis-Lumière, celle qui est supposée convenir au bac S, par opposition à la Fémis, plutôt littéraire. “La Fémis est plus ‘cinéma moderne’ alors que Lumière est plutôt ‘qualité française’, remarque Antonin, rigolard. Fallait pas trop dire qu’on aimait la Nouvelle Vague, ça faisait mauvais genre ! Les intervenants étaient des critiques de Positif. C’était sérieux, fallait pas rigoler ! On nous avait demandé : ‘Qui veut réaliser ?’ J’avais levé le doigt. ‘Ah ben vous vous êtes trompé d’école, fallait aller fumer des joints à la Fémis !’…” (rires)
Etudiant Lumière mais plutôt d’obédience Cahiers, Peretjatko semble avoir retenu le meilleur des deux tendances dans son cinéma et dans les influences qu’il revendique, citant aussi bien Hawks et Eastwood que Buñuel ou Herzog. “Mon cinéma découle à la fois de l’école Godard et de l’école Méliès, de la modernité et des origines”, résume-t-il. On pourrait ajouter Keaton, Tati, Pierre Richard.
Mais si la comédie est un vrai marqueur chez Peretjatko, son approche n’a pas grand-chose à voir avec le “golri” un peu cynique, un peu brutal, un peu aigre des stand-up comiques, des youtubeurs, des twittos ou de l’esprit Canal en train d’agoniser. Chez lui,la marrade fait feu de tous les bois de l’histoirede l’humour : dialogues ciselés, situations absurdes, gestuelle poétique, langage des corps.
Le gag pour le gag, c’est stérile
“La difficulté d’une comédie, dit-il, c’est de savoir si l’humour va marcher ou pas. Le dialogue drôle, c’est plus simple pour obtenir le financement parce que ça se voit à l’écrit. Le burlesque en revanche, ça ne se voit pas bien sur scénario et c’est du coup plus dur à financer. Et puis il y a tellement de comédies ratées que présenter une comédie est casse-gueule, les gens se disent que ça va être nul.”
Faire rire est un don qui n’est pas donné à tout le monde. Peretjatko le détient mais ça ne lui suffit pas. Le gag pour le gag, selon lui, c’est stérile. Il ne l’envisage qu’à condition que cela fasse avancer le récit et que cela finisse par servir un propos plus sérieux, plus politique.
Le personnage joué par Mathieu Amalric est modelé sur le politicien caldoche Jacques Lafleur
Dans La Loi de la jungle, il a ainsi modelé le personnage joué par Mathieu Amalric sur le politicien caldoche Jacques Lafleur, a repris des extraits de discours de Christine Lagarde en guise d’envolées satiriques, a truffé son film de scènes de coulisses ubuesques prélevées dans des récits vus depuis l’intérieur du monde politique.
“Une ministre a dit un jour que les ministères, c’est la jungle, parce qu’il y a un tel enchevêtrement d’intérêts qu’on ne voit plus l’horizon ni la logique des décisions qui sont prises. Ce qui m’intéressait, c’était de montrer comment on impose des normes (d’architecture, de construction, etc.) à des endroits inadaptés en raison de leur climat, de leur géographie ou de leur culture radicalement différents des nôtres. Après, on peut vite franchir le pas pour imposer des normes intellectuelles, culturelles…”
Refus de l’étiquette militante
Peretjatko revendique l’aspect politique de ses films mais récuse l’étiquette militante :
“Je ne cherche surtout pas à prêcher pour des convertis. Prenons la scène du parcours de sangles devant le guichet de l’aéroport. Un jour, il n’y avait pas de queue, je suis passé sous les sangles pour couper court ; un vigile m’a ordonné de suivre le parcours sanglé, ce qui était saugrenu mais conforme au règlement. Les règlements remplacent les lois comme la norme des multinationales remplace la norme des Etats. C’est le sujet du film. Mais dans la scène des sangles, quand un groupe de touristes déboulent et passent sous les sangles, on ne leur dit rien : ça montre que collectivement, on peut résister aux normes.”
Une bande de cinéma, ça inclut aussi le producteur, qui finance, accompagne et (dans le meilleur des cas) aide le cinéaste à accoucher du meilleur de lui-même. Pour Antonin, ce partenaire était Emmanuel Chaumet, également producteur de Justine Triet, Benoît Forgeard ou Sophie Letourneur. Pour La Loi de la jungle, Peretjatko s’est séparé de Chaumet pour des histoires d’argent et d’incompatibilité d’humeur. Il a rejoint Rectangle Productions, boîte de prod d’Edouard Weil, aux épaules plus larges (Giannoli, Donzelli, Lemercier, Gallienne…).
« L’humour et la mélancolie » de Macaigne
Grandir dans le cinéma n’est pas simple quand on a des convictions fortes. Le distributeur Wild Bunch tenait absolument à ce que le film se fasse avecl’autre Vincent (Lacoste), plus en âge d’être stagiaire et surtout plus bankable. Un véritable point d’achoppement. Antonin a tenu. La Loi de la jungle sera finalement distribué par Haut et Court.
“J’ai dit aux gens de Wild Bunch que j’avais écrit le film pour Vincent Macaigne et qu’avec lui le film serait super à coup sûr, alors qu’avec un autre ce ne serait pas certain. Ce n’est pas fréquent qu’un comédien porte à la fois l’humour et la mélancolie. De plus, on vit une époque où on est stagiaire longtemps, ce qui m’a donné envie de filmer un stagiaire de 35 ans. Si j’avais pris un acteur incarnant plus l’âge moyen d’un stagiaire, le film aurait perdu de sa pertinence. L’âge de Macaigne crée une anormalité qui fait réfléchir sur la normalité.”
Ces histoires de financement, de casting bankable au casino du succès, mettent en rage un Macaigne soudain parti dans une diatribe contre un milieu du cinéma français qu’il juge frileux et conservateur. “Au théâtre, s’emporte-t-il, quand un grand comme Christoph Marthaler crée une pièce, ça fait événement, ça attire le public. Je ne comprends pas pourquoi ce n’est pas pareil avec le cinéma. »
« Peretjatko ne devrait pas faire ses films à l’arrache, il devrait avoir du succès, être bankable” Vincent Macaigne
« Peretjatko ne devrait pas faire ses films à l’arrache, il devrait avoir du succès, être bankable comme on dit, et moi aussi. Je crois que dans le cinéma comme dans la société française, ceux qui sont au sommet de la pyramide barrent le chemin à la jeunesse. De ce point de vue, La Loi de la jungle est un film Nuit debout.”
Moraliste cinéphile
Pas sûr qu’Antonin Peretjatko souscrive complètement à ce label, non par désaccord avec Nuit debout mais par méfiance à l’égard des étiquettes. Plutôt ludion amusé par les délires de notre monde libéral avancé (construire une station de ski sous cloche en zone tropicale, produire des stagiaires à perpète, etc.) que militant enragé, posant un tas de questions de façon désopilante plutôt que d’affirmer des certitudes de façon péremptoire, l’auteur de La Fille du 14 Juillet est un moraliste, pas un imprécateur.
Un moraliste cinéphile, attaché à la salle et à la pellicule non par nostalgie mais par romantisme et par goût : “Je ne regarde jamais de DVD, de comiques télé, de séries ou de vidéos sur YouTube, affirme-t-il. Je déteste visionner quoi que ce soit sur un écran télé. Comme cinéaste, je m’adapte aux nouveaux outils. On a tourné en numérique, ce qui nous a permis de gagner une demi-heure par jour quand la lumière baisse. Comme spectateur, je reste très attaché à la pellicule. J’aime l’imperfection de la projection, le tremblement du cadre, les rayures…”
Réac adepte du “c’était mieux avant” ? Pas de jugement hâtif. Quand on voit que le retour au disque vinyle est devenu la dernière aventure du hipster mélomane, un marqueur de la branchitude la plus avancée, peut-être que la séance pelloche en salle sera bientôt le top de la “swagitude”, who knows ?
Antonin aime parsemer sa conversation de citations diverses. Par exemple, celle-ci, de Sun Ra, sorte de haïku confucéen et bon résumé de la touche politico-poético-humoristique de Peretjatko, qu’on vous laisse méditer : “L’humanité a trouvé la bonne voie mais va dans la mauvaise direction.”
(Merci à Géraldine Maurizi et à l’équipe de la jardinerie Truffaut Paris Rive Gauche pour leur accueil)
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