Il se pose des questions sur le nez
des baleines et soutient Yvette Horner
contre Marine Le Pen. Quand il chante,
il décrit avec une inspiration inouïe
ses saignements de coeur. Tour à tour
fantasque et écorché, Julien Doré
agrandit la chanson française.
En sortant son premier album, au printemps 2008, Julien Doré avait surpris, en bien. On retrouvait dans Ersatz ce comique un peu théorique, ce goût du calembour conceptuel, toute la verve d’un étudiant des beaux-arts qui a tatoué sur son torse le nom de Marcel Duchamp. Mais l’album offrait aussi autre chose que les facéties d’un pitre intelligent popularisé par la Nouvelle star. La confirmation, par exemple, de ce que ses très grandes qualités d’interprète, révélées par le show télé, laissaient présager : un vrai point de vue sur la musique, le songwriting, le son, qui donnait à cet Ersatz, très peuplé en signatures d’auteurs-compositeurs rameutés pour l’occasion, une patte très personnelle.
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La réussite artistique fut récompensée par une réussite commerciale. Trois cent mille exemplaires se sont écoulés et une poignée de titres ont, une saison durant, infiltré toutes les ondes (Les Limites, Figures imposées, Les Bords de mer…). Mais, même si le parcours fut parfait, on n’anticipait pas un tel saut qualitatif du premier au deuxième album. Bichon (oui, c’est le titre, on y reviendra) est peut-être ce que le genre, sur le papier jamais totalement sexy (en dépit de nombreuses exceptions), de la “chanson française” peut produire, aujourd’hui, au printemps 2011, de plus original, pertinent et abouti.
L’album est bien plus homogène que le précédent. Julien Doré a collaboré (composé ou écrit, parfois les deux) à la moitié des titres. Un pool réduit (The Shoes, Arman Méliès, Dominique A, Katerine) est intervenu sur l’autre moitié. Et malgré la fastueuse production dont peut bénéficier un chanteur dont le précédent album s’est vendu à trois cent mille copies, le son est plutôt maîgre, parfois rêche, préservé de toute forme d’embonpoint. Ce qui frappe surtout, d’un morceau à l’autre, c’est la permanence de ce dont l’album traite. Sur un mode souvent écorché et perçant (L’Eté (Summer), Vitriol, Golf Bonjovi), parfois plus léger et humoristique (Kiss Me Forever, Homosexuel), Julien Doré n’a plus qu’un seul sujet : la demande amoureuse, les contortions du langage et du comportement pour sonder les sentiments de l’autre, cet état d’extrême vulnérabilité, de baisse de toutes les gardes, lorsque, à découvert, on demande à l’autre si ce qu’il ressent est identique à ce que l’on ressent.
“Si tu m’entends/Dis-moi je t’aime” (BB Baleine), “Promets-moi pour demain la plus belle des moissons” (Laisse avril), “Redis-moi qu’en fait on en n’est pas là” (Glenn Close), Kiss Me Forever : tout l’album est une supplication, où le garçon se révèle un amoureux anxieux et, comme tout amoureux, possiblement masochiste : “qu’il est radieux ce bain de vitriol que tu m’as préparé” (Vitriol). “Oui, la demande amoureuse… c’est exactement ça. C’est la trame secrète de l’album, nous dit-il avec empressement. Je voulais raconter un parcours amoureux, tous ses états, parfois contradictoires. Et parler de la demande, du besoin constant d’être rassuré sur ce que l’on éprouve et ce qu’éprouve l’autre.” Rassurer, rassurant : ce sont des mots qui reviennent souvent dans la bouche de Julien Doré.
Le succès du premier album l’a-t-il rassuré ? “C’est compliqué. Ça m’a rassuré sur la possibilité de vivre, en tout cas pour l’instant, de la musique. De pouvoir, tous les jours, composer, jouer, de ne me consacrer qu’à ça. Mais le succès et l’exposition entraînent des choses pas très rassurantes. Tout à coup la lumière sur soi est très forte. La tournée, après l’album, a été une expérience intense. A cause du contact direct avec le public. Après, il y a les festivals d’été, où tu joues devant des gens qui ne sont pas venus pour te voir et qui malgré tout ont l’air contents, s’amusent. Tu te sens vraiment porté par ça. Et brutalement tout s’arrête, la tournée est terminée et tu te retrouves chez toi, physiquement seul, avec cette image de toi que tu as montrée et qui d’un coup t’est étrangère. C’est comme si tu avais été aspiré par un siphon – l’émission de télé, le disque, la tournée – et qu’au bout de plusieurs années tu en sortais, et tu réalises, un peu sonné. Tu retrouves ton appart qui est le même qu’auparavant et tu te demandes d’où va venir l ’énergie pour recommencer.”
Le même appartement qu’avant ? Vraiment ? Julien Doré nous l’assure : il vit dans un appartement de 40m2, à peu près de la même surface que celui où il vivait à Nice quand il était étudiant des beaux-arts et jouait le soir dans les bars avec son groupe Dig Up Elvis. Pourquoi ne pas avoir adapté son mode de vie à des revenus qu’on imagine plutôt confortables ? “C’est vrai que j’ai choisi de ne pas changer de mode de vie. Et d’abord sur la question de l’habitation. J’ai besoin de vivre dans une bulle. Mon appart n’est pas fait pour vivre à deux. J’y vis en solitaire, j’ai besoin d’un refuge, où je me retrouve avec mes rêveries. Pendant que j’enregistrais l’album, il y a eu une fuite d’eau chez moi et je n’ai pas eu le temps de m’en occuper. Des couches de peinture sont tombées du plafond et des formes bizarres sont apparues. Ça me va, j’aime bien les regarder. J’aime bien aussi être sur le même vieux canapé où je compose mes chansons. . Après, évidemment, j’ai aussi les moyens de m’offrir des choses qui me font plaisir. Je ne veux pas me faire passer pour Cosette. J’ai pu m’acheter par exemple la guitare dont je rêvais, ce que je n’aurais jamais pu faire avant le premier album. »
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