Chef-d’oeuvre drogué, fondateur, jonglant
entre rock et electro, le Screamadelica des Ecossais
de Primal Scream ressort vingt ans plus tard
en différentes versions luxueuses. On en crie(delica)
de joie.
C’est l’histoire d’un disque dingue. Un disque psychédélique et bourré de drogues qui, en 1991, change la face de la musique en propulsant les machines et les samples dans le rock. Dans son sillage hallucinogène, il engendre aussi bien Oasis que les Chemical Brothers. C’est une histoire qui s’est écrite dans une Angleterre en crise, au crépuscule du règne de Thatcher, dans un bain d’ecstasy, dont personne ne devrait théoriquement se souvenir aujourd’hui – ou alors dans les grandes lignes.
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C’est l’histoire de Screamadelica, des Ecossais de Primal Scream. Tout commence à la fin des années 80, lorsque le groupe emmené par Bobby Gillespie, ancien batteur des Jesus & Mary Chain, traîne du côté de Brighton, où les loyers sont bien moins chers qu’à Londres. Primal Scream compte alors à son actif des singles cultes et deux petits albums, Sonic Flower Groove (1987) et Primal Scream (1989). De ce dernier, le NME écrit alors assez justement qu’il est “confus et manque de cohésion”. Une tournée européenne foireuse a suivi et le groupe a le moral dans les chaussettes. “Nous n’étions pas bons, on n’allait nulle part et ma plus grande angoisse était de devoir reprendre un travail salarié. J’avais travaillé dans l’imprimerie et j’avais détesté ça, se souvient Gillespie. A l’époque, Brighton n’était pas une ville très cool, ce connard de Fatboy Slim n’y avait pas encore monté son business. On se faisait royalement chier, on n’avait pas beaucoup d’argent. On était inscrit à un programme du gouvernement qui nous ramenait juste de quoi payer le loyer. On se contentait de picoler parce que nous n’avions pas les moyens de nous offrir autre chose. On rêvait de prendre de l’ecstasy, mais pour nous c’était hors de prix, une pilule correspondait à ce que nous touchions chaque semaine de l’Etat.”
Heureusement, Gillespie a un bon copain d’enfance à Glasgow : il s’appelle Alan McGee, le fondateur de Creation Records. McGee vit entre Londres et Manchester, où il est un pensionnaire régulier de l’Haçienda, antre de New Order et des Happy Mondays. Il descend régulièrement à Brighton voir son vieux pote. Généreux, à chacun de ses passages il fournit la bande de Gillespie en ecstasy et en disques d’acid-house – sa dernière marotte. “Bobby a toujours été un ami et je croyais vraiment en Primal Scream. Je savais qu’il manquait un petit truc pour que ça explose, même si je ne savais pas exactement quoi. C’est pour ça que je leur filais des ecstas et de l’acid-house en même temps, en me disant qu’un des deux trucs finirait bien par marcher, plaisante Alan McGee. J’aimais tellement le groupe que j’avais mis la pression au NME pour qu’il envoie l’un de ses journalistes voir un concert du groupe.”
Le journaliste envoyé au casse-pipe s’appelle Andy Weatherall. Il est maçon dans la vraie vie et, quand il n’écrit pas pour l’hebdo anglais (sous le nom d’Audrey Witherspoon), il gribouille un fanzine, Boy’s Own. La rencontre entre Weatherall et Primal Scream est un succès : tout le monde se colle une énorme race. Plutôt fan du groupe, Weatherall accepte entre deux pintes la proposition du bassiste du groupe (Andrew Innes) de remixer l’un des titres de Primal Scream – le très désespéré I’m Losing More Than I’ll Ever Have.
Quelques semaines plus tard, Andy Weatherall présente trois remixes différents qui enthousiasment le groupe. Gillespie propose à Weatherall d’ajouter à l’une d’elles un sample de la voix de Peter Fonda piqué dans un film de bikers du cinéaste bis Roger Corman, Wild Angels. “We want to be free : we want to be free to do what we want to do! And we want to get loaded. And we want to have a good time!”, crie Fonda avant que des trompettes ne s’envolent vers le ciel et que ne rebondisse sur des choeurs soul une sorte de rythmique proto-dub. Le morceau, rebaptisé Loaded, est clairement une ode à la défonce. “J’avais remarqué que, sur les hits house, on plaquait toujours des samples de trucs qui résonnaient comme des slogans. Je me suis dis que celui-là était assez cool et qu’il poussait plutôt à la fête”, ricane Gillespie.
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