Même quand elles font semblant de devenir sages et classiques,
les chansons de TV On The Radio demeurent un fascinant magma. Critique et écoute.
Il y a quelques années, David Bowie s’invitait en studio avec TV On The Radio : les cyniques y décelèrent une preuve de plus du vampirisme de hype avec lequel l’Anglais a bâti son commerce florissant, entre underground et grand public. Ses fans se mirent à rêver d’une collaboration plus poussée, où la production de David Sitek condamnerait Bowie au surpassement, à une excellence rarement croisée depuis qu’il avait ainsi servi de cobaye consentant à Brian Eno, mentor justement de Sitek.
Cet album de pop moderne épurée et pourtant luxuriante, ce grand album de David Bowie, TV On The Radio l’a fait… sans David Bowie. En simplifiant les propositions parfois saturées du groupe, en privilégiant l’horizontalité (mélodies étales, lignes sans brisures) à la verticalité (mille-feuille accidenté, dynamique de montagnes russes), la production de Sitek gagne énormément en clarté ce qu’elle perd en mystère, voire en confusion, en opacité. Même plus peur.
Et curieusement, ce retour à la normale n’évoque jamais une capitulation. Car même en pleine lumière, en choisissant de juxtaposer les éléments plutôt que de les opposer, les caramboler, la production demeure une matière vivante assez prodigieuse. Cette paix est nouvelle, tant ce groupe était en guerre furibonde contre toute idée de confort, de sédentarité. Le cosmos était son terrain de jeu ? Tout tient aujourd’hui dans le coeur, gros : album étonnamment romantique, évidé de toute tension et anxiété. La danse de travers était son arme fatale ? Aujourd’hui la section rythmique, autrefois si massive, semble jouer sous tranquillisants pour éléphants.
Deux exemples de la traîtrise infernale de cet album : le pâle et ondulant Second Song pourrait se contenter, et ça serait déjà énorme, d’être un de ces funks affolés et réduits à la Prince ou Pharrell Williams. Mais il intègre de vastes passages contemplatifs, des fantasmes de crooner lunaire et des rafales de cuivres avec une fluidité assez déroutante. Plus loin, Forgotten continue ce travail de sape des acquis, en une pop vierge, perturbée de mille parasites féeriques, pour rêver en volutes.
Revenu à la maison après différentes aventures solo et collaborations, le groupe joue ainsi plus collectif, nettement plus physique et épuré, évoquant régulièrement les Talking Heads (un autre groupe dévié par Eno). Peut-être parce que la maison en question n’est plus un taudis au centre d’un Brooklyn agité, bombardé de sons et d’idées, mais un studio avec vue, lumière et soleil d’une banlieue pacifiée et neutre de Los Angeles, où Sitek est venu chercher (et trouver) la sérénité. Elle lui va à merveille.