Avec leur pop pastorale mais hantée, les Canadiens Timber Timbre
sont aujourd’hui les vrais champions de l’americana.
Le groupe idéal pour une veillée joyeuse à Twin Peaks. Critique et écoute.
C’est souvent la question subsidiaire, celle qui arrive en fin d’interview : si vous pouviez voyager dans l’espace-temps, où et quand aimeriez-vous aller ? Taylor Kirk, le chanteur-guitariste de Timber Timbre, ne répond qu’à moitié : “Dans les années 50.” Le lieu n’est pas précisé, mais facile à imaginer, parce que la musique de Timber Timbre en réinvente la bande-son déboussolée. C’est l’Amérique du Nord. Les grands espaces et les petites villes. Les églises en bois blanc qui résonnent de l’écho lointain d’un choeur gospel. Les drive-in qui passent des films d’horreur et de SF pendant que John et Betty se caressent derrière le pare-brise panoramique de la Buick. Un serial-killer les attend un peu plus loin sur la route sombre. Elvis Presley, le loup-garou du Mississippi, hulule sous la lune bleue.
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C’est tout cela qu’on entend dans la musique de Timber Timbre : un voyage des années 50 à aujourd’hui, du Sud gothique au Canada (d’où vient le groupe), via la tournée des villes fantômes. Taylor Kirk ressemble à pas grand-chose (un jeune pompiste dans un vieil épisode de Twin Peaks, peut-être) mais il est l’ultime incarnation d’une lignée de chanteurs psychoromantiques maudits, de Roy Orbison à Alan Vega en passant par Nick Cave ou Johnny Dowd.
Le plus inédit dans Timber Timbre n’est peut-être pas sa musique, mais le succès qu’elle rencontre. Le morceau Demon Host, sur le troisième album du groupe sorti fin 2010, est devenu un minitube qu’on fredonne comme une berceuse, avant une nuit de cauchemars. Le nouvel album Creep on, Creepin’ on étant son double légèrement plus psychédélique, on ne voit pas ce qui pourrait arrêter Timber Timbre. Nimbé d’une aura de romantisme noir et tendu, le groupe semble bien parti pour une carrière à la Tindersticks, avec du frisson et de l’aventure. C’est hanté et c’est tentant.
Dans les années 50, Taylor Kirk n’était pas né. Mais là où il a grandi – une propriété de huit hectares dans la campagne autour de Brooklin, province canadienne de l’Ontario –, le temps s’est perdu. “Il y avait beaucoup de forêts, des marais, des chevaux. C’était beau et tranquille mais je détestais ça, je rêvais de vivre en ville et d’avoir des amis.” La musique est son salut. Après s’être défoulé sur la batterie de son père, Taylor Kirk se met à la guitare. Ça ne s’entend pas dans la musique de Timber Timbre mais au départ il aime Led Zeppelin, Pink Floyd et joue des reprises de Nirvana.
Le goût de l’étrange, du folk hanté et du rock tordu, Taylor l’attrape au milieu des années 2000 lors d’“une crise existentielle”. “J’étais en souffrance et je me suis plongé dans la lecture de la Bible. C’était plus symbolique qu’une véritable question de foi, mais lire la Bible m’a fasciné et réconforté. Au même moment, j’ai découvert l’Anthology of American Folk Music, le blues et le folk primitifs, beaucoup de musique religieuse aussi. Une musique vraie, pure, sans prétention ni posture.”
Peu après, Taylor Kirk enregistre en solo son premier album dans un chalet forestier au nord de Toronto. Un disque spartiate de folk lo-fi, qui rappelle les oeuvres de jeunesse de Will Oldham. C’est avec son troisième album, et après avoir fixé la formation en trio, que Timber Timbre est vraiment sorti du bois. Le risque pour ce groupe à l’inspiration monomaniaque était de sombrer dans la redite, voire l’autoparodie. Pour déjouer la fatalité, Taylor Kirk a donc commencé par déménager à Montréal après une dizaine d’années passées à Toronto. Puis il a convié le saxophoniste Colin Stetson à l’enregistrement de Creep on, Creepin’ on. La violoniste Mika Posen et le joueur de pedal-steel Simon Trottier habillent les chansons d’arrangements plus psychédéliques, plus oniriques. Le groupe joue toujours dans une maison hantée, la nuit, mais il est sorti de la cave et a ouvert les fenêtres.
En concert : le 23 avril au Printemps de Bourges
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