On les appelle les “makers”. Dans l’espace ICI Montreuil, ils sont environ 160. Ce sont des artisans, des informaticiens, des designers ou bijoutiers. Dans un esprit de partage mais aussi de survie financière, ils ont mis en commun les idées et le matériel dans ce lieu pas tout à fait comme les autres.
La première chose qui marque quand on pénètre dans cet immense entrepôt est l’odeur. Celle, bien appréciable, du bois frais qui, à défaut de nous transporter dans une véritable forêt, laisse au moins au bout du nez un souvenir sylvestre. Dans le hall, des créations en bois, des tee-shirts, des tables où des résidents partagent un café ou un repas entre deux cuirs à découper ou bijoux à forger.
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Au fond, une porte avec écrit ‘’accès ateliers’’. Au 135, boulevard Chanzy, à Montreuil, se tenait jadis l’usine de matériel électronique Dufour. Depuis janvier 2013, cette adresse est devenue celle d’ICI Montreuil (ICI pour « Incubateur de créations incontournables”). 1 750 mètres carrés dédiés à la création sous toutes ses formes, où le bois côtoie le plexiglass ou la modélisation 3D.
Photo Ella Micheletti
Tous les jours, le lieu accueille des artisans qui viennent travailler des matières brutes mais pas que. Des informaticiens qui maîtrisent les technologies de pointe mais pas que. Des artistes inspirés et passionnés mais pas que. C’est là tout l’intérêt de cet endroit singulier.
Maker, le terme ‘’faute de mieux’’
Le terme “maker” est communément employé pour définir la foule d’hommes et de femmes qui viennent œuvrer à ICI Montreuil. On les qualifie volontiers d’adeptes du ‘’do it youself’’. Mais ce mot ne fait pas consensus, au sein même du collectif.
‘’Maker est un mot trop réducteur, il donne l’impression que ce sont des bidouilleurs alors que rien n’est dû au hasard. Ils ont tous les bases voire des formations dans un domaine. Il ne faut pas les confondre avec des gens qui disent ‘regardez j’ai fait trois bouts de tissus.’’ Christine Bard ne mâche pas ses mots. Elle est la première que l’on croise quand on franchit la porte d’entrée. Elle et son époux Nicolas sont les fondateurs d’ICI Montreuil.
Photo Ella Micheletti
Tout est parti d’un amour, celui que Christine porte à Montreuil, où elle habite depuis douze ans, et au bouillonnement créatif qui s’y trouve avec ‘’75 % de créateurs, artisans, chefs cuisiniers, sculpteurs ou même poètes’’, énumère cette ancienne employée de banque aux pétillants yeux bleus. En outre, de nombreux compagnons du Tour de France et des artisans d’art s’installent à ICI Montreuil.
Le but de ce regroupement ? Créer un espace d’entraide où des travailleurs d’horizons professionnels parfois antagonistes échangent des idées ou des services et s’allient fabriquer de nouveaux objets. Au total, ICI Montreuil propose 8 ateliers où des professionnels peuvent s’inscrire : cuir, métal, bois, textile, bijouterie, etc.
Pour un peu moins de 400 euros par mois, les résidents peuvent profiter à l’année des locaux, du matériel et moduler leur emploi du temps. Certains viennent toute la journée comme Ronan, juste en soirée ou même uniquement l’après-midi comme Marion.
Ronan est un passionné de jeux vidéo. A tel point que cet ancien élève en Arts appliqués en a fait son métier. Il vient travailler à ICI Montreuil depuis deux ans.
Photo Ella Micheletti
Du lien social plutôt que la solitude du freelance
Lui et quelques autres forment un petit groupe dans la grande salle du coworking (espace dédié aux informaticiens de toutes sortes). C’est devant son ordinateur mais entouré de ses amis et collègues que Ronan passe ses journées à concevoir puis créer véritablement des jeux vidéo indépendants.
‘’ICI Montreuil permet une vraie liberté par rapport aux grosses boîtes par lesquelles je suis passé. Le côté ‘entreprise’ devenait étouffant pour moi alors j’ai voulu retrouver une fraîcheur créative et artistique’’, confie-t-il.
Les grandes entreprises imposaient tel ou tel type de jeu à Ronan. Maintenant, lui et l’équipe font vendre leurs jeux à des éditeurs. En échange, ils perçoivent des royalties. Si Ronan ne fait pas référence à un salaire précis, il assure que lui et ses amis vivent sans problème de leur travail. Le dernier jeu en date qu’ils ont conçu, White Night, est entièrement en noir et blanc.
Photo Ella Micheletti
Mutualisation du matériel
ICI Montreuil leur donne, comme à chaque résident, une plus grande visibilité et accroit leur chance de décrocher des partenariats. En effet, particuliers comme sociétés font appel à l’association quand ils ont besoin de quelqu’un de spécialisé dans un domaine, que cela soit la conception, la fabrication ou le conseil. Ronan développe ainsi son réseau grâce à ICI Montreuil.
De plus, cela lui permet de découvrir des univers différents du jeu vidéo et d’échanger avec de nouvelles personnes. Chose qui se révélait impossible à une époque où il travaillait entièrement en freelance par exemple. ‘’Etre ici me permet de m’aérer l’esprit et de redescendre sur terre. Quand je bossais de chez moi, je pétais un câble’’, admet-t-il.
Photo Ella Micheletti
Une opinion partagée par Marion, jeune bijoutière dont l’atelier est installé non loin de l’espace de Ronan. Chaque après-midi, la jeune femme fabrique des bijoux, essentiellement en argent, parfois en or. Le résultat est à la fois épuré et géométrique. Marion est bien décidée à vivre de sa passion mais si elle continue à côté ses activités de graphiste en freelance. Et elle trouve autant d’avantages à travailler ici que Ronan. Elle vient uniquement avec ses petits outils car la mutualisation du matériel lui permet d’éviter de lourdes dépenses pour les postes de soudure, etc.
Photo Ella Micheletti
Autre qualité selon elle : l’endroit défend la valeur du travail réel, le tout dans des conditions plus agréables que si elle restait seule chez elle. ‘’Quand on est freelance, c’est horrible de ne plus savoir faire la part des choses, de rester en pyjama, de mélanger vie privée et professionnelle’’, juge cette brune au large sourire. Et de renchérir : ‘’Je suis tombée amoureuse d’ICI Montreuil et de leur concept. Il y a toujours quelqu’un avec qui échanger, j’adore ça.’’
Marion vient à midi ou en début d’après-midi et se met directement au travail. Elle enfile d’ailleurs un masque – qui ressemble à ceux du domaine médical – ‘’pour éviter la poussière’’ et passe même un tablier noir. Qui a dit que créer des bijoux était de tout repos ?
Photo Ella Micheletti
Des valeurs qui attirent
Aucun domaine n’est facile à appréhender quand on est novice ou tout du moins débutant. Mais les fondateurs cherchent également à transmettre l’esprit et le savoir-faire d’ICI Montreuil. Pour cela, il accueille des lycéens en décrochage scolaire pour les aider à trouver leur voie ou des stagiaires intéressés par le concept. C’est le cas d’Hugo, Nemo et Théo, tous trois stagiaires pour deux mois. Leur rayon, c’est la modélisation 3D, le codage, les logiciels open source, la découpeuse laser. Du pointu en somme.
Hugo, étudiant en école d’ingénieur, est en train de créer une application web pour fournir la météo de Montreuil. Pour lui, venir à Ici Montreuil va de pair avec son engagement associatif et les valeurs en lesquelles il croit. ‘’Je veux travailler dans l’économie sociale et solidaire plus tard. Je préfère le rapport humain aux grosses boîtes de 7 000 développeurs’’, assure-t-il d’ailleurs en pianotant sur son ordinateur.
https://www.youtube.com/watch?v=SeYzJ4QB_24
Théo et Nemo, respectivement étudiants en BTS conception de produits industriels et en école d’Art et Design, travaillent juste à côté d’Hugo. Eux non plus ne sont pas venus à ICI Montreuil par hasard. ‘’Mon lycée avait organisé des visites dans des Fablab. A ICI Montreuil, j’ai trouvé les résidents accueillants, ils nous permettent d’étendre nos connaissances et puis le matériel est très bien, alors je voulais vraiment venir’’, relate Théo.
Lui et Nemo ont conçu, d’abord sur ordinateur en 3D, puis ensuite grâce à la découpeuse laser, un petit synthétiseur en bois. La découpeuse laser, les stagiaires l’utilisent depuis qu’ils sont arrivés. Pour eux, graver un prénom sur le bois grâce au laser est un jeu d’enfant.
Après quelques clics pour paramétrer la police, la taille du mot et la profondeur de la découpe, la grosse machine bleue se met à lancer un laser rouge qui façonne le bois. En quelques minutes seulement, les lettres sont creusées, au millimètre près. Persiste juste une odeur de cochon grillé, mélangée à celle du bois. Mais ça, les trois compères y sont habitués.
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