Deux jours de festival, de nombreux groupes, une grande cohérence artistique : des moments rares et beaux.
L’avantage des festivals, c’est qu’ils permettent d’entendre beaucoup de musique en peu de temps, et de découvrir des futurs grands avant tout le monde. Mais rares sont ceux qui ont une véritable cohérence, où les artistes semblent communier dans un même esprit, une même vision de la musique. C’était le cas du récent festival Minimum qui, lors de deux soirées à la Maroquinerie, présenta un mélange d’artistes du label et de coups de cœur. Une sélection impeccable pour des moments rares et beaux.
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C’est à Alban Dereyer qu’incombe la lourde tâche d’ouvrir les festivités. Epaulé par le souriant Vincent Mougel, ce jeune homme au look d’étudiant en pharmacie pratique une pop anglophone aussi précieuse que le titre de son récent EP, Underneath the Myrtle Shade. C’est souvent très beau, parfois drôle, quand les deux compères tentent de s’installer derrière un petit clavier pour un morceau à quatre mains – chose qu’on voit rarement ailleurs que dans les concerts de musique classique. Un interprète talentueux et un mélodiste inspiré, entre Nick Drake et Neil Hannon, à suivre de très près. Et qui sera d’ailleurs omniprésent ce printemps : le 6 mars à la Java, le 13 avril à la Flèche d’or, le 17 avril au Printemps de Bourges et le 1er mai à l’Ogre à Plumes.
Suit alors le Nancéen Mehdi Zannad alias Fugu, accompagné d’une formation inédite (des membres de Housse de Racket, qui joueront deux heures plus tard à quelques centaines de mètres, sur la scène de la Flèche d’Or). La prestation est courte mais dynamique, l’artiste enchaînant les morceaux de son dernier album As Found et dévoilant la sublime chanson L’Allemagne, composée pour la bande originale du film La France de Serge Bozon qu’il a signée l’automne dernier. Comme souvent, le concert s’achève sur une impressionnante version de Vibravox, extraite du premier album, sur laquelle Fugu pose quelques paroles de Fresh as a Daisy d’Emitt Rhodes, son maître officiel. A peine le temps de boire un verre et le New-Yorkais David Mead, méconnu en France et pourtant auteur l’an passé du joli Tangerine, s’assied seul à son piano. On regrettera le manque d’arrangements mais on saluera les compositions soignées, mélodiques en diable comme chez un Badly Drawn Boy des débuts.
Déjà trois concerts et c’est au tour de l’Américain Luke Temple de venir divulguer son deuxième album Snowbeast– et un physique entre Damon Albarn et Jude Law à rendre hystérique la gent féminine de la salle (« Take off your shirt » lui criera une courageuse demoiselle). Dévoilant un timbre de voix élevé digne de la paire Buckley (Tim et Jeff), le songwriter passera presque une heure à enchaîner les cantiques de son dernier album, éloignés, et c’est le seul reproche qu’on lui fera, des pop-songs courtes et bricolées de son premier disque Hold a Match for A Gasoline World.
Clou de la soirée : le concert du très attendu Jim Noir, plus présent en France dans les publicités avec Zinedine Zidane que sur scène. Visiblement ravi d’être là avec une poignée de copains anglais, le jeune homme (il est né en 1982) présente un paquet de nouvelles chansons, utilisant claviers, guitares et vocoders. Artisanales mais franchement mélodiques, à la fois bidouillées, drôles et élégantes, les pop-songs de Jim Noir sont des pépites cachées de l’Angleterre qu’on aime et, lorsque la première soirée s’achève, les sourires sont sur toutes les lèvres.
Dimanche 2 mars
Dans l’ensemble moins pop que la première, la deuxième soirée du festival s’ouvre devant un public encore très clairsemé avec un étrange olibrius nommé Greg Gilg. Ce Grenoblois en costume-cravate, ex-membre des Barbarins Fourchus, s’accompagne le plus souvent au violoncelle (dont il joue sans archet), parfois au mini-clavier ou au ukulélé (instrument très tendance, décidément). Il interprète des textes de poètes et écrivains (Tchekhov, William Carlos Williams…) en français, anglais ou espagnol ; une bourrée auvergnate à la façon de Comelade ; ou une chanson de quinze secondes introduite par de longues considérations sur l’Amour et le Temps. Drôle, absurde, décalé : à suivre.
Lui succède l’un des artistes les plus attendus de ce week-end, pour son premier passage en France : le New-Yorkais Sport Murphy. Auteur de trois albums (dont le dernier, Uncle, paru en 2003, est une merveille absolue), ce quadragénaire bavard et débonnaire, grand amateur d’absinthe et de pastis, est l’un des secrets les mieux gardés du songwriting américain. Murphy avait répété avec quelques musiciens locaux (dont Silvain Vanot, qu’on était content de revoir enfin sur une scène) une dizaine de morceaux relativement simples – il compose paraît-il sur une guitare à quatre cordes accordée en open tuning… Très ému – il avouera après le concert s’être retenu de pleurer –, il vit vraiment ses chansons, à la façon d’un Brel, et c’est souvent bouleversant, car les chansons elles-mêmes sont magnifiques.
Le Français sévèrement rouflaqué Sing Sing livre ensuite un court set en duo avec son ami Bertrand Belin à la guitare et au banjo. Mélodies dépouillées et textes étranges ne cherchent pas la séduction immédiate, mais on se laisse prendre par son dandysme décavé et par l’habituelle excellence du jeu de Belin – l’univers musical de Sing Sing n’est d’ailleurs pas très éloigné du sien.
La suite est plus rock, avec le revenant Eric Deleporte, alias Perio, en trio guitare-basse-batterie. On a droit à une version réarrangée du sublime Billboard 2 (en écoute sur sa page MySpace), mais la plupart des morceaux sont tirés du dernier album, le brillant The Great Divide, entre folk, pop et rock, sorti il y a quelques mois chez Minimum. Chansons désenchantées, à la hargne rentrée, magnifiées par une interprétation au cordeau et une voix qui monte dans les aigus à la façon de Neil Young. L’occasion de se souvenir que le trop rare Deleporte est l’une des plus fines plumes de la musique d’ici.
La soirée se termine avec le quintette folk-rock norvégien Minor Majority. Au sommet des ventes dans son pays, le groupe a beaucoup tourné en France, récoltant un joli succès d’estime. La parution sur le label bordelais Vicious Circle d’une compilation, Candy Store, rassemblant les meilleurs morceaux de leurs quatre albums ainsi qu’une douzaine d’excellents inédits, est prétexte à un concert best-of où se glissent quelques nouvelles chansons. On apprécie comme toujours la voix grave et racée de Pal Angelskar, la virtuosité contenue du guitariste Jon Arild Stieng, la bonne humeur et la modestie du groupe. Des morceaux plutôt dépouillés sur disque prennent sur scène un relief nouveau, mais c’est avec une reprise que les Scandinaves étonnent le plus : normal, il s’agit de West End Girls, premier single des Pet Shop Boys (et premier disque acheté par Pal), qui a droit ici à un traitement aux antipodes du son synthétique d’origine.
Sur le week-end, on aura d’ailleurs été gâté question covers : Biff Rose, Everly Brothers, Steely Dan, Bill Fay… C’est toujours un plaisir de passer ses soirées avec des gens de goût.
Johanna Seban & Vincent Arquillière
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