Castings de mannequins, couvertures de magazines, Instagram : la mode est accro au selfie, cet autoportrait réalisé à bout de bras avec son smartphone. Décryptage. “Connais tes angles flatteurs. Fais des expériences. Prends en 20 pour en avoir une bonne.” Voici les conseils de la top Crystal Renn pour réussir un selfie – un autoportrait […]
Castings de mannequins, couvertures de magazines, Instagram : la mode est accro au selfie, cet autoportrait réalisé à bout de bras avec son smartphone. Décryptage.
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« Connais tes angles flatteurs. Fais des expériences. Prends en 20 pour en avoir une bonne. » Voici les conseils de la top Crystal Renn pour réussir un selfie – un autoportrait pris avec son smartphone en étendant son bras devant soi. Miss Renn, comme tout mannequin un brin ambitieuse, est devenue une pro de la photo calculée au millimètre pour paraître spontanée. Crystal arty, Crystal bonnasse, la jeune Américaine construit un roman-photo à l’allure intimiste au coeur de l’industrie de l’artifice.
Si le mot hybride a fait son entrée dans l’Oxford English Dictionnary cette année (tout comme le mot « twerk » d’ailleurs), c’est surtout pour le récit qu’il fait de la société actuelle et de sa puissance grandissante. En particulier (mais sans surprise) dans le milieu de la mode. Après un concours de mannequinat via selfie chez l’agence Next, c’est au tour du magazine anglais i-D d’orner sa couverture de la jolie Jourdan Dunn en train de se prendre en photo avec son iPhone. Depuis le boom des blogs de mode et la démocratisation d’outils technologiques toujours plus convaincants et développés, le vrai graal aujourd’hui est la proximité avec une intimité supposée impénétrable et forcément authentique. Précisément la promesse du selfie, photo si spontanée qu’on n’a même pas eu le temps de demander à un pote d’appuyer sur le bouton.
Pour les mannequins, ça présente de sérieux avantages. Souvent réalisé en backstage, le selfie permet d’actualiser son CV en live, et de certifier de sa beauté « naturelle ». « Je tiens à souligner que je défile pour Chanel cette saison, que mon grain de peau est intact malgré les soirées folles que je fais avec mes amis très connus », semble susurrer Lindsey Wixon aux marques via ses clichés par milliers.
Idem pour Gisele Bündchen : quand elle pose en Bikini près de sa piscine, elle rappelle discrètement à son booker qu’elle a perdu ses kilos de grossesse et qu’elle est prête au cas où Gucci appelle.
Mais cette documentation systématique du quotidien, symptomatique de notre temps, a un impact plus fort encore : elle permet la construction efficace de sa propre marque, un self-branding en flux constant, non déterminé par ses clients. Si Cara Delevingne est déclarée « Queen of Cool » par le Vogue Australie, c’est pour sa personnalité fofolle… découverte presque exclusivement sur ses selfies méticuleusement mis à jour : facilité à tirer la langue, galochage de copines connues (dont Rihanna), Cara s’est inventé un rôle dont l’unique scène est Instagram. Un rôle qui dit aussi qu’elle est affriolante en toutes circonstances…
L’écrivain anglais John Berger a décrit le pouvoir du male gaze, ou l’idée d’un œil masculin imaginaire. Intériorisé par chaque femme, il régulerait ainsi son comportement et son apparence, maintenant en permanence ses normes antiques de désir et de domination. Aujourd’hui, cette surveillance est toujours là, version 3.0 et réinjectée dans la lentille de l’iPhone. Et c’est bien pour elle que, perchée bien haut au-dessus de leur tête, Cara, Doutzen, Karlie écarquillent les yeux et font la moue, mi-Lolita, mi-Pokémon. Mannequins pro oui, mais baisables avant tout.
Alice Pfeiffer
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