Comment peut-on être à la fois gardien de verbes et de vaches’ Simplement en entourant les unes avec des clôtures, les autres à l’aide d’une structure poétique assez rigide ? le dizain (10 vers de 8 pieds) ? pour qu’ils ne s’éparpillent pas au gré des vents. Il suffit ensuite de regarder paître les ruminants […]
Comment peut-on être à la fois gardien de verbes et de vaches’ Simplement en entourant les unes avec des clôtures, les autres à l’aide d’une structure poétique assez rigide ? le dizain (10 vers de 8 pieds) ? pour qu’ils ne s’éparpillent pas au gré des vents. Il suffit ensuite de regarder paître les ruminants dans leur enclos et de laisser ruminer les esprits dans le champ ouvert des émotions et des rêves populaires.
C’est ainsi que vont les choses depuis toujours dans le sud de Cuba, entre Trinidad et Cienfuegos, où subsiste la tradition des repentistas’, poètes vachers qui préfèrent se quereller à coups de rimes improvisées que de machettes affûtées. Leur art, le punto, distille depuis la fin du XVIIIe siècle un ensemble d’ingrédients empruntant à la geste des troubadours occitans du Moyen Age, aux madrigaux espagnols, à la musique arabo-andalouse et probablement à l’Afrique des griots. Ces pratiques de joutes orales restent très vivaces dans un grand nombre de pays d’Amérique latine et des Caraïbes. On appelle d’ailleurs punto un mode d’expression équivalent dans le Nordeste du Brésil, à Panama et au Venezuela. Il faut croire que cette partie de l’île cubaine a été comme soustraite au reste du monde pour que ce disque soit en mesure de nous proposer quelque chose d’aussi rare.
On pense à une veillée animée par des artistes qui seraient les voisins de ceux qui les écoutent, avec des chants d’amour, de détresse, des grivoiseries, des conversations flambées au rhum, une humilité lyrique, une folie bien tempérée et des voix théâtrales qui jaillissent au milieu des odeurs de cochon grillé.